Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.2.djvu/596

Cette page n’a pas encore été corrigée

269J

SUAREZ. THÉOLOGIE PRATIQI I., CARACTÈRES

2694

do saint Antonin, écrits de C.ajétan. A/or. Molina. Sunchez, etc., développement de la casuistique, de ses cours, de ses exercices et de ses manuels, à la suite « lu concile de Trente et « lu raffermissement de l’institution pénitentielle. La théorie de la vie spirituelle tendait de même à prendre une allure plus personnelle (traités et ouvrages spéciaux d’ascétique et « le mystique), e ! l’on sait l’abondance dos écrits politiques publiés par dos l ; oiis d'Église et par dos laïcs en ces temps bouleversés. Bientôt la philosophie morale se détacherait dans les écoles catholiques de la théologie morale et comprendrait l'étude rationnelle de la morale et celle de la politique.

Suarez. plus que saint Thomas, a entendu utiliser toutes les ressources du droit canon pour traiter les matières qui le comportaient ; mais aussi érudit qu’un eanoniste de profession, il a toujours prétendu, même alors, rester théologien ; pas plus que saint Thomas, il n’a examiné hors de la méthode et de la trame théologiques les questions soit de spiritualité, soit de politique et, comme saint Thomas, il ne s’est donné ni comme un pur moraliste rationnel, ni. quoiqu’il soit descendu plus que celui-ci dans le détail des cas concrets, comme un simple casuiste.

3. Son attitude vis-à-vis de la casuistique, alors en pleine efflorescence, fait bien comprendre, nous sein ble-t-il, ce caractère de sa théologie pratique.

Dans sa formation, on ne voit pas qu’il ait suivi des cours proprement dits de casuistique : Alcala ni Salamanque n’en possédaient encore. Professeur, il n’a pas dédaigné cette discipline, puisque, vers 1579, à Yalladolid, il s’offre à prendre la charge de son enseignement, de Scorraille, t. i, p. 156 ; dans ses œuvres, il ne craint pas d'étudier en détail les cas concrets, même scolaires, par exemple dans le De baptismo, celui de l’enfant projeté dans le fleuve, De særam., disp. XX, sect. iii, t. xx, p. 343 sq., et il se montre au courant de toute la littérature casuistique ancienne et moderne, par exemple à propos de l’absolution de l’absent, De p&nit.. dis]). XIX. sect. iii, t. xxii, p. 417. Devenu célèbre, il est consulté de tous côtés pour affaires de conscience et il remplit avec application ce rôle de casuiste professionnel : une affaire de ce genre, l’interdit de Lisbonne, hâta sa mort par la fatigue qu’elle lui occasionna ; cf. volume posthume de réponses projeté par le I'. Alvarez ; quelques pièces ont été publiées par Mlt Malou, Opuscula sex inedita, 1859 ; le P. de Scorraille. t. iii, p. 42(i, en a réuni une centaine, qui attendent leur éditeur.

Du reste Suarez a noté lui-même l’utilité et la nécessité des ouvrages casuistiques ; dans Y Ad leclorcm du De pænitentia, t. xxii. p. v, il a déclaré : …plerumque homines non sunt suopte ingenio salis instructi ad generalia principia singuluribus casibus applicanda nisi in libris inveniant certas régulas, a quibus langui un manu deducantur. Ce qu’il voulait, et ce qu’il nous donne dans ses œuvres, c'était une casuistique fortement raisonnée. dominée et dirigée par un exposé développé et rigoureux des principes.

En conclusion on voit donc que, pour la casuistique comme pour tout l’ensemble de la théologie pratique,

en un temps où très légitimement les sciences qui composaient cette dernière tendaient de plus en plus a se distinguer scion les exigences de la division du travail, Suarez a maintenu fortement l’unité et la continuité de l’exposé, telles que saint Thomas les avail

pratiquées ; malgré le développement des sciences sacrées, la puissante de son esprit et de son labeur lui permettait de prétendre être un théologien universel. Dépendance de mu ni Thomas. Ce n’est pas sen lement dans sa conception générale de la théologie pratique que Suarez a entendu suivre saint Thomas, il l’a pris aussi comme principal maître et inspirateur

en ce qui concerne la doctrine. Non moins, et plus peut-être, que sa théologie spéculative, sa théologie pratique - c’est le deuxième caractère que nous lui reconnaîtrons dépend immédiatement et étroitement de saint Thomas.

Donnons sur cette dépendance quelques indications se rapportant plus spécialement à la théologie pratique.

1. — Dès 1582, cf. I. élire au provincial de Castille, dans de Scorraille, t. i. p. 2 18, Aquaviva envisageait le projet de faire composer par le I'. Suarez un commentaire complet de la Somme entière. En 1588, il lui faisait demander, tout en continuant son cours, d’en Ireprendre ce travail, à cette condition « qu’il élaguera toute opinion qui ne serait pas généralement admise partout, même chez les Pères dominicains, et qu’il ne marchera que d’accord avec saint Thomas ». 1. élire au P. Bartolomë l'ère :. 25 mars 1588, loc. cit., p. 2 19. Et il ajoutait en 1590 : <.J’espère que le commentaire du 1'. Suarez sur la IIIe partie (pour une grande part il s’agit de doctrine morale), sera tel que les dominicains n’y trouvent pas matière à querelle ; car, nous le voyons, ils ne nous en |>assent pas une. Redites bien de ma part à l’auteur d’y veiller partout où les questions le demandent. » Lettre au recteur d' Alcala, 17 avril, loc. cit., p. 251.

Suarez s’efforça sans nul doute de suivre ces instructions. Ce qu’il écrivit à la première page de son premier ouvrage dogmatique, le De Verbo incarnate — qu’il s'était donné pour tâche d’expliquer la doctrine de saint Thomas avec exactitude et clarté, t. xvii, p. vi — il aurait pu le répéter en tête de celui qui le suit immédiatement, le De særamentis, où les matières île morale ont grande place et qui reste divisé en dispulationes et sectiones, ce qui affirme davantage le caractère de commentaire ; on sait qu'à partir de cet ouvrage, Suarez préféra la forme de « livres » et de « chapitres », pour des raisons de commodité et de brièveté, il le dit du moins, plus que pour affirmer son indépendance de pensée ; le volume posthume sur les traités fondamentaux de la morale reviendra à la division première, sans qu’on puisse tout à fait déterminer si ce retour a été adopté intentionnellement par luimême ou pris par son éditeur. De Scorraille, t. ii, p. 391.

Quoi qu’il en soit, dans la IIe partie du De religione (De statu religionis, Proœmium, t. xv, p. xv). Suarez affirmera à nouveau : « Dans ce travail comme dans tous les autres, nous aurons pour guide saint Thomas, qui nous a laissé sur les divers états de vie une doctrine excellente. »

Et Aquaviva, du vivant même de. Suarez, pourra écrire ces mots qui visent aussi bien l'œuvre pratique que l'œuvre dogmatique : Le P. François Suarez est tenu pour si thomiste que, pour ce motif et aussi pour la sûreté si grande de ses opinions, il semble que sa doctrine est généralement suivie dans les universités principales de l’Europe. » Lettre au provincial du Pérou, 12 décembre 1610, de Scorraille, t. ii, p. 162.

2. Mais il faut se hâter de le reconnaître, si fidèle, si attaché qu’il soit aux doctrines de son maître, Suarez. n’est pas un élève inintelligent ; et servile. C’est

un disciple au vrai sens du mot et il l’est de la manière qui pouvait le plus honorer le grand docteur. Au fait, depuis le XIIIe siècle, la théologie pratique avait poussé plus avant ses recherches ; des questions

nouvelles s'étaient posées. Aussi bien la Somme théo logique ne se donnait-elle pas comme un abrégé des tiné aux incipientes et répondant aux questions du temps ? Saint Antonin de Florence, Cajétan, d’autres encore avaient montré, en complétant et en appli quant aux problèmes de leurs époques la morale tho inisie, comment il fallait continuer s : iini l homas.