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SUAREZ. DikîMATIQI’K, CONCLUSION


Bien que nous laissant entièrement maîtres de notre réponse à ses suggestions, la grâce efficace des moli nistes n’en est donc pas moins assurée d’obtenir notre acquiescement et par là diffère essentiellement de la grâce suffisante, dès avant que notre volonté soit intervenue pour l’aeeepter OU la rejeter. Cette différence toutefois n’est point d’ordre physique et n’affecte pas les deux espèces de grâce de taçon intrinsèque. Rien n’empêche en effel que la grâce efficace soit physique nient identique à la grâce suffisante, ni même qu’elle lui soit inférieure en intensité ou en forée d’attrait. Ce qui distingue ces deux grâces, d’après les molinistes, c’est un élément qui leur est entièrement extérieur : savoir, le fait que le résultat favorable de l’une et défavorable de l’autre est connu d’avance avec certitude par la science divine îles futurs conditionnels. De ver. int. aux. ej].. e. x. t. x. p. 356.

Toutefois si la providence n’est pas moins sûre de ['exécution de ses desseins dans le système de Molina que dans celui de Banez, son amour ne s’y manifeste pas à ses privilégiés exactement de la même façon. D’après Baùez.en effet, la prédilection divine à l'égard des ilus ne se présente pas seulement comme la raison première et exclusive de l’efficacité de la grâce, mais encore comme l’unique moyen de connaître cette efficacité. Suivant les tenants de la prémotion physique. Dieu, avant de créer le monde, fixe tout d’abord par une élection de sa liberté le nombre d'élus qui lui semble convenir le mieux à la glorification de ses attributs et que, sous aucun prétexte, il ne laissera s’accroître. Cela fait, il détermine le degré de sainteté qu’il désire voir atteindre par chacun de ses prédestinés et prépare alors les prémotions physiques qui réaliseront infailliblement le plan ainsi tracé.

D’après cette conception, c’est donc parce que le Seigneur nous a d’abord aimés qu’il nous a ensuite prédétermines à bien agir et c’est parce qu’il nous a ainsi prédéterminés qu’il peut prévoir à coup sûr le consentement que nous donnerons à l’appel de sa grâce.

Selon Molina et Lessius, au contraire, il faut absolument que Dieu connaisse les futurs libres avant d’aimer le monde où ils se réaliseront et leur réalisation n’est point d’ailleurs le premier but qu’il s’est proposé en créant. Car, si telle avait été la fin primordiale de l’univers : savoir, le salut et la sainteté d’un certain nombre de prédestinés, l’on ne serait que trop fondé à contester que Dieu ait voulu sincèrement sauver tous les hommes. Il a doue tiré le monde du néant pour une autre raison dominante que la gloire éternelle de tels ou tels privilégiés. Toutefois comme il savait, par sa science moyenne, en appelant notre univers à l’existence, qu’en fait tant de justes s’y sauveraient et tant de bonnes œuvres s’y accompliraient, ce résultat qu’il prévoyait et dans lequel par avance il se complaisait, peut et doit être considéré comme un effet très particulier de son amour à l'égard de ceux qui parmi nous agiront bien et parviendront au ciel. Si donc.Molina n’a point voulu que la grâce efficace fût, aussi directement et aussi uniquement qu’elle l’est pour Banez, le produit de la bienveillance divine, ce n’est que pour éviter de réduire à trop peu de chose sinon même à rien la bonté du Créateur envers les damnés.

Entre ces deux conceptions de la prédestination et de la grâce efficace Suarez, on le sait, n’a point choisi celle de l’auteur de la Concordia, mais celle de lianeL. â cette différence près que c’est, dans sa théorie, par la science moyenne et non par la prémotion physique que Dieu conduit à ses tins le nombre déterminé de saints dont il a fait le premier but de la création du monde. L’opinion de son célèbre confrère lui paraissait, en effet, sur ce point im onciliable avec l’enseignemenl de saint Augustin et de saint Thomas. be ver. int. aux.

cl]., c. xii. xiii, xiv, xx.xvi, xxxvii, xi. ; De aux. (irai.. t. III, e. xix. t. xi. p. 259.

X. Conclusion. - L’exposé qui précède ne donne qu’une idée très sommaire de l'œuvre de Suarez. Même en ce qui concerne sa théologie spéculative, force nous a été de nous en tenir à quelques aperçus. De parti pris ont été laissées de côté de nombreuses et importantes études de théologie positive : exégèse scripturaire. recherches sur l’enseignement des Pères et les définitions du magistère, études qui occupent pourtant une large place dans les différents traités de notre auteur. Par ailleurs celui-ci n’est pas seulement l’un des meilleurs théologiens scolastiques, ses Disputation.es metaphysiese lui valent de compter aussi parmi les philosophes les plus marquants. I".t son renom n’est guère moindre en morale et en droit canon. A presque toutes les branches des sciences ecclésiastiques il a consacré des ouvrages d’une ampleur et d’une portée considérables. Sa Dejensio fidei ne l’a-t-elle pas fait estimer par certains comme l’un des créateurs de la philosophie du droit ? et ses écrits sur la vertu de religion, l'état religieux et la prière ne le rangent-ils pas parmi les grands auteurs de l’ascèse et de la mystique ? C’est précisément cette universalité qui constitue l’un de ses caractères les plus saillants et qui a particulièrement contribué à frapper d'étonnement et d’admiration ceux qui l’ont étudié de près.

Suarez n’est pourtant pas un simple érudit, un encyclopédiste et un compilateur. Car il ne s’est point borné à lire et à s’assimiler des documents, ni à dresser l’inventaire des opinions les plus diverses. De tous ces matériaux il a fait une critique attentive et méthodique. Avec un rare discernement, sans s’incliner à priori devant aucune autorité, comptât-elle parmi les plus hautes, sans jamais céder à la pression des amitiés ou des coteries, il a analysé, discuté, sondé chaque système pour y séparer l’incertain du solide. Et c’est bien la maîtrise avec laquelle il a fait ce triage, jugé à sa vraie valeur, en tant de matières différentes, l’enseignement de ses devanciers et de ses contemporains, avant de proposer le sien en parfaite connaissance de cause, qui lui a valu son titre de Docteur éminent.

Le jugement porté par M. Grabmann sur ses Disputationes melaphysicæ s’applique sans aucun doute à toute la production de Suarez : « Il a réuni, écrit l'éminent historien de la philosophie scolastique, avec une étonnante érudition sur chaque problème l’ensemble de la documentation connue de son temps. Non seulement il a cité une pléiade d’auteurs aux tendances les plus variées, mais, en règle générale, il a largement exposé leurs théories de façon à en donner une fidèle image. Et, de même qu’il rapporte clairement et textuellement leurs opinions, il en critique aussi les fondements et la portée sine ira et studio. On a justement nommé les Disputationes metaphysiese un répertoire instructif et complet de l’enseignement scolastique et de ses divergences d'école à école. Ce recensement des systèmes n’est d’ailleurs pour lui qu’un moyen et un point de départ pour un travail plus constructif et la formation de son jugement propre sur chaque question disputée. Sous ce dernier rapport il faut signaler parmi ses traits dominants son sens du réel, c’est-àdire cette pénétration aiguë qui le fait aller jusqu’au cœur du problème pour en développer lumineusement, avec les tenants et aboutissants, le processus d’argumentation qui conduit à sa solution. Après l’avoir lu on est renseigné a fond sur fous les aspects d’une question, ses difficultés, ses ramifications, les diverses réponses qui peinent lui être laites. Par cette qualité comme par sa tranquille objectivité, Suarez fait penser à saint Thomas d’Aquin. ICI il lui ressemble encore