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SUAREZ. DOGMATIQUE, LA JUSTIFICATION


sanctifie qu’après s’être bornée, au premier Instant de

sa présence dans l’âme, à exercer sur la contrition une causalité purement élevante du genre de celle d’une motion actuelle surnaturalisant la foi d’un homme dépourvu d’habitus. Llle ne rendrait le pécheur lils de Dieu qu’après l’avoir aidé à se purifier par la charité parfaite. Ibid.. c. mi. q. 7 sq., p. 368,

Vaines arguties, répond Suarez ; la grâce concrète ne se prête pas à pareille dissection. Étant, suivant la définition du concile de Trente, l’unique cause formelle de la justification, c’est-à-dire à la fois de la rémission du péché et de la divinisation de l’âme, il est impossible qu’elle ne confère pas, en se communiquant, tous les elïets que sa présence entraîne avec elle. De même que, le propre de la lumière étant d’éclairer, il y aurait contradiction interne à ce qu’elle s’introduisît dans une chambre sans y répandre le jour, de même, le propre de la grâce étant de réconcilier et d’élever, il répugne qu’elle pénètre en nous sans nous justifier immédiatement par là même. Les thomistes sont d’autant plus mal fondés à contester cette conclusion qu’ils professent par ailleurs, contre les scotistes et Suarez, l’identification métaphysique de l’infusion de la grâce et de la rémission du péché. Si celle-ci se définit formellement par celle-là, comment l’une pourrait-elle se trouver séparée de l’autre, ne fût-ce quc par un instant de nature ? Ibid., c.xii, c. 9, p. 309.

Jamais sans doute les théologiens dominicains n’auraient songé à établir pareille causalité réciproque entre la justice surnaturelle et l’acte de charité qui en est l’ultime préparation, s’ils ne s’y étaient crus obligés par certains passages de saint Thomas où, à première vue, cette doctrine semble affirmée. Ainsi dans la Ia-IIæ, q. cxiii, a. 8, est-il dit que, dans la sanctification de l’impie, l’infusion de la grâce précède vrdine naturse tout mouvement d’amour de Dieu ou de détestation du mal et, à plus forte raison, la rémission des péchés qui ne peut venir qu’après qu’ils ont été détestés. De même dans le De veriiate, q. xxviii, a. 8, la priorité réciproque de la contrition et de la grâce, l’une par rapport à l’autre, ne paraît pas moins nettement enseignée : Si ordo naturæ, écrit le saint docteur, attendatur secundum rationem causse malerialis, sic moins liberi arbilrii prsecedit naturaliter gratiæ infusionem sicut dispositio malerialis formant. Si autem allendatur secundum rationem causæ formalis, este conversa. N’est-ce pas renoncé même de la thèse si malmenée par Suarez ?

Celui-ci répond d’abord en citant d’autres textes, où saint Thomas dénie au contraire aux dons infus toute intervention efficiente à l’égard des actes qui disposent à la justification. La préparation à la grâce sanctifiante, enseigne-t-il par exemple dans la I"-II a’, q. CIX, a. (i, quelques pages avant l’article dont se prévalent les thomistes, ne présuppose dans l’âme aucun autre don habituel, car il en faudrait encore un troisième pour préparer le second et ainsi de suite sans lin. Cette préparation doit donc être attribuée à un secours de Dieu actuel et gratuit qui meut l’âme intérieurement. Voir aussi I » -II », q. cxii, a. 2 ; I", ([. i.xii, a. 2, ad 3um.

Il faut mettre la Somme d’accord avec elle-même. Elle ne peut avoir attribué successivement l’élévation surnaturelle de la charité à un secours actuel et a la grâce sa net i lian te. bai parlant parfois d’une infusion de la grâce antérieure à la contrition, elle n’a donc voulu signifier par là que le concours divin surnaturel nécessaire à chaque œuvre salutaire et nullement le don delà grâce habituelle. Comment, d’ailleurs, concilier a ce la thèse des thomistes l’article même du De VI ri lu le que

ceux ci in oquent avec tant d’assurance en leur faveur, alors que toute causalité efficiente y est déniée à la juslice infuse à l’égard du repentir et que la rémission du

péché y est attribuée à l’insertion même de cette justice dans l’âme, sans qu’absolument rien ne puisse trouver place entre le moment où elle est accordée et la justification ? Suarez, loc. cil., c. xiv, p. 385.

2° Rémission du péché et divinisation » <ir la (/race. — Que ce soit à la grâce sanctifiante ou à la vertu de charité que nous devions formellement d’être justes, un dernier problème spéculatif reste à résoudre sur la manière précise dont l’un ou l’autre des deux habitas obtient ce résultat. Expulse-t-il le péché par nécessité métaphysique et du seul fait de sa présence, ou n’y réussit-il qu’en vertu d’un décret divin l’habilitant à cette fonction bien qu’il n’y soit pas exactement proportionné ? De même exige-t-il absolument l’amitié divine ou ne nous la vaut-il que par convenance et, dans une mesure plus ou moins grande, par faveur ?

Avant Suarez, trois théories principales avaient été proposées par les auteurs catholiques pour résoudre ce mystérieux problème. La première, en cours dans l’école thomiste, qualifiait de métaphysique l’incompatibilité de la grâce sanctifiante et du péché ainsi que sa connexion avec l’adoption et l’amitié divine. Ses preuves étaient principalement dogmatiques. Le péché habituel et surtout le péché originel se réduisant, d’après renseignement de la foi, à une simple privation de vie surnaturelle et foutes les espèces de péché devant pouvoir vérifier une même définition générique, il s’ensuivrait que la privation de la grâce constitue à elle seule l’essence du péché et que, inversement, le don de la grâce équivaut de soi au pardon des fautes. Le concile de Trente axant d’ailleurs déclaré la justice infuse unique cause formelle de notre sanctification, ne signifiait-il point en cela que la constitution même de la grâce entraînait de droit pour les justes tous les privilèges de l’ordre surnaturel.

Les scotistes critiquent vivement cette opinion. Reconnaissant eux aussi que la définition du péché doit convenir à tout acte et tout étal coupable, ils en concluent, à l’inverse de leurs adversaires, que la privation de la grâce n’exprime pas suffisamment l’essence d’une faute grave. Dans le cas. en effet, où il n’eût pas été destiné à la vision intuitive, l’homme aurait péché et se serait réconcilié avec Dieu s.ms perdre ni recouvrer de dons infus. Quant au magistère, autant il a fréquemment inculqué l’existence d’une faute originelle, autant il a toujours laissé grande liberté aux théologiens pour discuter de sa nature, lai attribuant les différents elïets de la justification à une seule cause formelle, il ne voulait désapprouver tout au plus que certains auteurs catholiques d’après qui aucune qualité infuse ne nous sanctifie pleinement, s’il ne s’y adjoint du dehors une application des mérites du Christ. Bien quc n’accordant pas non plus à la grâce le pouvoir d’expulser le pèche et de déifier uni quement par sa vertu propre, le scotisme ne lait pourtant d’elle et de la faveur divine, complétant sous ce rapport son insuffisance, qu’un même principe justifiant, dont les deux éléments essentiels sont enchaînés l’un à l’autre, sinon niétaphv siquement ou physiquement, du moins moralement. La différence est donc notable entre leur opinion et celle qui déplut aux Pères de Trente. Au surplus des disciples du Docteur subtil contribuèrent, avec des théologiens thomistes, à élaborer la doctrine conciliaire sur les causes de la justification : comment la thèse bien connue des premiers aurait elle pu s’y trouver proscrite et celle de leurs

adversaires officiellement approuvée, sans que ne se

soient élevés entre eux de vifs débats dont la trace serait restée dans les comptes rendus des séances préparatoires ? Or. tout au contraire, d’après l’allavicini, ceux qui prirent pari a ces séances s’accordaieiil a

penser que, quoiqu’il en fût. soitqu’à la grâce infuse… fût essentiellement attachée la filiation divine… soit