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SUAREZ. DOGMATIQUE, LK SURNATUREL


nité du Christ dans la production par le Tout-Puissant des innombrables grâces naturelles et surnaturelles qu’il a distribuées aux hommes depuis les origines du monde. Ibid., sect. 11, n. 7, p. 95 ; sect. iii, n. 2 et 3, p. 97. Se défendant d’ailleurs d’avoir innové sur ce sujet, il n’a pas conscience tic rien enseigne ! en matière de puissance obédientielle active qui ne se retrouve chez le Docteur angéliquc. Ibid., sect. iii, n. 2 ; sect. iv, n. 3 ; sect. v, n. 2 ; sect. m. n. 49, p. 97, 101, 103, 126.

Il n’en reconnaît pas moins que sa thèse a déplu à un certain nombre de thomistes plus récents, qui l’ont âprement critiquée, tant du point de vue métaphysique que du point de vue dogmatique. Philosophiquement parlant, il leur paraît inconcevable que, si elle est naturelle, la puissance obédientielle puisse influer de quelque manière que ce soit sur le surnaturel et, si elle est surnaturelle, qu’elle se confonde avec l'être même des créatures. De deux choses l’une, disent-ils encore, ou l'élément surnaturel de nos actes méritoires doit être intégralement attribué à la causalité du concours divin, ou tout au moins pour une part à la causalité humaine comme telle. Dans la première hypothèse le surnaturel n’est aucunement notre œuvre et dans la seconde nous n’agirions sur lui que dans la mesure où nous posséderions un pouvoir soit complet, soit inchoatif de travailler positivement par nous-mêmes à notre salut, ce qui dogmatiquement ne peut être affirmé sans pélagianisme. Ibid., sect. vi, n. 1-10, p. 107sq. ; n. 43, p. 123.

Ce dilemme n’embarrasse guère Suarez. Comme son nom l’indique, répond-il, la puissance obédientielle n’est précisément ni naturelle, ni surnaturelle. Avant d'être utilisée par Dieu à l’exécution d’une œuvre extraordinaire, elle partage exactement la condition du sujet auquel elle appartient ; elle n’a ni plus ni moins de pouvoir qu’il n’en a lui-même pour agir et l’objet qui la spécifie alors n’est point le terme prêternaturel où elle tend sous condition, mais l’objet propre des facultés de l'être où elle réside. Sa présence en lui n'élève pas cet être au-dessus de sa perfection originelle ; elle ne le hausse pas au niveau de la vision intuitive de Dieu et ne l’en rend pas positivement digne ; tout au plus manifeste-t-elle que rien ne répugne en lui à y être appelé. Mais, au moment où elle s’exerce, sa vertu dépasse celle du sujet dont elle fait partie et s'égale alors à celle de l’influx divin qui l’anime. C’est dire que la puissance obédientielle n’agit jamais comme une puissance naturelle, mais comme une puissance élevée par un concours anormal du Créateur.

On voit par là en quel sens elle nous confère le pouvoir inchoactif de faire œuvre surnaturelle. Ce n’est point en nous dotant d’un habilus qui nous mette sur le plan de la contemplation béatifique, mais seulement en s’olïrant, avec des propriétés naturelles qui n’y contredisent pas, pour toute causalité extraordinaire à laquelle il plairait au Seigneur de l’employer instrumentalement. Ainsi, avant qu’elle ne soit utilisée à la production d’un acte salutaire, rien de positif ne la destine à cette fonction. Et, quand elle y est utilisée, elle n’y contribue qu’avec l’aide du concours divin qui la surnaturalise. Toutefois la valeur méritoire de l'œuvre qui résulte de cette collaboration de la nature avec la grâce, n’est pas uniquement imputable au travail de la grâce. Car il serait vain de vouloir diviser l’opération surnaturelle en deux éléments : l’un vital et humain, l’autre exclusivement surnaturel, de telle sorte que le premier provînt de nos facultés et le second, du Créateur. Pourvues du concours divin nos facultés produisent au contraire tout l’acte méritoire comme il existe au concret, à la fois humain et surnaturel. lit c’est en cela précisément que se manifeste leur puissance obé dientielle active. Ibid., sect. vi, n. 73, 74, 78, 79, 83, p. 135 sq.

2. L’objet formel surnaturel.

Strictement surnaturelles dans leur réalité subjective, nos œuvres salutaires ne se trouvent-elles point par là-même orientées vers un objet rigoureusement surnaturel lui aussi ? Autrement dit, n’est-il pas nécessaire que, de deux facultés dont l’une l’emporte de beaucoup sur l’autre en perfection ontologique, la première se distingue essentiellement de la seconde par son mode de connaître et d’agir ? Historiquement aussi bien que logiquement ce dernier problème s’apparente de fort près au précédent. C’est un fait que la question de l’objet formel de nos actes méritoires n’a été agitée en propres termes et tranchée avec décision que quand la grande majorité des théologiens se fut prononcée en faveur de leur surnaturalité ontologique et il est aussi avéré que, au moins au début de la controverse, on inclinait en général à leur assigner ou à leur dénier un objet exclusivement propre, suivant qu’on les considérait comme surnaturels quoad substantiam ou seulement quoad modum. « Nulle part, a-t-on écrit dans une excellente monographie consacrée à ce point de doctrine, ce sujet n’a été traité ex professo avant le xvie siècle. Quant à saint Thomas, sa pensée et son langage paraissent en cette matière tellement contradictoires qu’on ne voit pas au premier coup d'œil comment trouver une synthèse cohérente qui satisfasse aux diverses formules dont il s’est servi. » David, De objecto formali aclus salutaris, p. 26 ; cf. Salmanticenses, t. ix, tract, xiv, disp. III, dub. 3 ; Lange, -De gratia, n. 905. D’après ce même auteur, c’est Molina qui aurait le premier posé la question en propres termes, se refusant du reste, pour son compte, à attribuer à nos habitus infus un objet plus parfait qu'à nos facultés naturelles. Si son enseignement a été l’occasion de si fréquentes méprises, c’est que, en l’exposant, l’auteur du De concordia a encore employé les termes quoad substantiam et quoad modum dans le sens logique qui leur fut d’abord communément prêté et qui précisément ne fit place à un autre tout différent, qu'à partir et sous l’influence de Suarez. David, op. cit., p. 47, 48. Celui-ci, en pleine divergence de doctrine comme de vocabulaire sur ce sujet avec son célèbre confrère, n’en a pas moins tenté de le ranger parmi ses alliés, n’acceptant pas de lui faire endosser une thèse qu’il estimait, à l’exemple de nombreux théologiens dans les années qui suivirent le concile de Trente, inconciliable avec celle de la surnaturalité ontologique de nos œuvres méritoires. Suarez, t. II, De nec. grat., c. xi, n. 7 et 8, t. vii, p. 630.

D’accord en cela avec Banez, et même, à l’en croire, avec tous ses contemporains (ita sentiunt moderni omnes, loc. cit., n. 8), Suarez ne voyait en effet aucune raison pour que les puissances de notre âme fussent élevées à un ordre d'être supérieur, si les résultats de leur activité devaient demeurer exactement les mêmes après comme avant cette élévation. Ibid., n. 13, p. 632. Aussi ne croyait-il pouvoir être contredit sur ce point que par les rares auteurs qui se contentaient encore d’une surnaturalité quoad modum pour les opérations de nos vertus infuses. Ibid., n. 7.

Les preuves sur lesquelles il s’appuie n'égalent pourtant pas en fermeté la conviction d’où elles procèdent : hanc sententiam judico omnino veram. Ibid., n. 8. A maintes reprises, et à juste titre, celles qu’il a empruntées à la métaphysique ont été jugées insuffisantes et même quelque peu illogiques. C’est que, après en avoir appelé comme à une règle souveraine à l’axiome d’Aristote : aclus specificantur ab objecto et déclaré solennellement que la philosophie s’effondrerait tout entière s’il se rencontrait des actes spirituels spécifiquement distincts l’un de l’autre dont le motif ou le contenu représentatif fût néanmoins identique, il se