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STIGMATISATION
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qui à certains moments, au témoignage de saint Bonaventure, laissait écouler du sang.

C’est le dernier caractère qui se retrouve le plus ordinairement, chez les stigmatises, pour les plaies des pieds et des mains. La face palmaire de la main, la face supérieure du pied présentent des vésicutes sanguinolentes, ou tout au moins une fine pellicule à travers laquelle transparait le sang ; ces apparences se complètent souvent par des accidents analogues à la face dorsale des deux membres, qui paraissent correspondre à celles de la face interne, comme si le membre avait été transpercé de part en part. Des manifestations du même genre apparaissent parfois aussi au front, imitant les marques faites par les épines à la face de.lesus ; au dos, comme s’il avait été labouré par le fouet de la flagellation ; à l'épaule, comme si elle était meurtrie du portement de la croix. Dans le cas de M. -Th. Noblet, il s’agissait de l’apparition sur la poitrine ou de croix ou d’hosties de grandeur diverse et dont la place variait ; ces stigmates n'étaient pas permanents, et ne restaient visibles que dans le temps pascal. Aucune constatation médicale n’a d’ailleurs été faite à leur sujet. On a fait il y a une soixantaine d’années des constatations analogues sur Palma d’Oria ; cf. ImbertGourbeyre, Les stigmatisées, t. ii, 1873, mais à compléter par les critiques du 1'. Thurston dans The Month, t. cxxxiii, 1919, p. 402 et t. cl, 1927, p. 135.

A l'état ordinaire ces marques se présentent le plus souvent comme des cicatrices plus ou moins desséi -liées ; mais à de certaines dates, à tels jours de la semaine, le vendredi par exemple, à telles fêtes, elles paraissent se raviver et émettent du sang en quantité plus ou moins considérable. Cette hémorragie est d’ordinaire périodique, se renouvelant par exemple tous les vendredis pendant telle partie du temps liturgique, n’apparaissant pas, au contraire, dans tel autre, le temps pascal par exemple. On a remarqué que, passée la période de discharge, il n’y a plus sur les stigmates ni Inflammation, ni suppuration. Par ailleurs ces stigmates résistent aux traitements médicaux que l’on a Unies pour les faire disparaître.

Les sujets.

Quant aux sujets qui présentent

ces phénomènes, ils se recrutent tout spécialement parmi les femmes. La liste de stigmatisés établie par Imbert-Gourbeyre comprend à peine une cinquantaine d’hommes et cette énumération est certainement exagérée. Le plus souvent, dans une personne donnée, la stigmatisation ne reste pas un phénomène isolé. Elle s’accompagne d'états visionnaires ou extatiques, de lectures des pensées, de contemplations de scènes du passé (Catherine Kinmerich voit se dérouler toute la passion du Sauveur, et de même Thérèse N’eumann), de hiérognosie (discernement d’une relique vraie d’avec une fausse, d’une hostie consacrée d’avec une non consacrée), de xénacousie (intelligence de langues normalement inconnues), de xénoglossie (émission logique de sons d’une langue normalement ignorée) ; d’action à distance, de bilocation, etc. La piété, entretenue par la méditation de la passion du Sauveur, dépasse ordinairement de beaucoup la moyenne ; il s’y joint un détachement souvent héroïque, un amour de la souffrance et de la mortification volontaire poussé Jusqu'à l’excès.

Mais il faut ajouter également que beaucoup de stigmatisées présentent — dans une proportion qu’il est difficile de préciser, quand il s’agit de personnes disparues depuis longtemps — des phénomènes pathologiques se rattachant de près ou de loin à un dérangement nerveux. Cf. W. Jacobi, Die Stigmatisierten,

Munich. 1923. Telle ou telle stigmatisée offre des

symptômes Incontestables de l’hystérie ; cela semble bien être le cas de M.-Th. Noblet et — salvo metiuris fudicio de I h. Neuinann. Il n’est pas jusqu'à l’ano rexie (inappétence absolue pour la nourriture ou la boisson) et l’inédie persévérant pendant de très longues durées, qui ne trouve des parallèles dans des cas d’hystérie dûment étudiés. Enfin il n’est pas inouï que des stigmatises aient été ou se soient cru possèdes du démon à l’un ou l’autre moment de leur vie. Le cas du P. Surin, qui figure sur la liste d’ImbertGourbcyre, est bien connu ; celui de.M.-Th. Noblet mériterait lui aussi d'être étudié. Voir Et. carmél., 23<- année, t. ii, oct. 1938, p. 152-176 ; 235-239. C’est assez dire que le phénomène de la stigmatisation se présente comme des plus complexes et que la loi de Descartes sur les « dénombrements complets » devrait lui être appliquée. En tout état de cause cette complexité rend fort difficiles les essais d’explication.

IL Lf.s explications possibles. — Le problème est celui-ci : La stigmatisation, considérée en ellemême, reconnaît-elle une origine naturelle ou préternaturelle ? Faut-il la rapporter aux simples forces de la nature, c’est-à-dire dans le cas présent, de l’organisme humain placé dans des circonstances qui sont d’ailleurs à étudier ; ou bien faut-il appeler à l’aide, pour l’expliquer, une intervention d’agents étrangers à la nature ? En d’autres termes la stigmatisation rentret-elle, oui ou non, dans la catégorie des miracles ?

Liberté de la recherche.

On remarquera d’abord

que, dans la recherche des solutions, l’historien, le médecin, le psychologue, le psychiatre, le théologien même ne se trouve lié par aucune décision à priori de l’autorité ecclésiastique. La mention, dans la biographie liturgique de tel saint, de tel bienheureux, d’une stigmatisation dont il aurait été l’objet, n’engage pas davantage l'Église que le récit de tel miracle accompli par le même personnage ou dont il aurait été l’objet. Si la matérialité même du fait n’est pas absolument certifiée par le jugement ecclésiastique, à plus forte raison l’explication surnaturelle de ce même fait n’estelle pas imposée à l’assentiment des fidèles.

Sans doute l’on a fait grand état des garanties accordées, a-t-on dit, par l'Église au fait de la stigmatisation de saint François et l’on a insisté sur des bulles par lesquelles Grégoire IX, Alexandre IV, Nicolas III se sont portés forts de l'événement, où ils voient, de surcroît, une admirable faveur accordée au Poverello, un effet surprenant de la puissance divine..Mais il n’est que de lire la lettre du pape Pie XI sur le même sujet, du 2 août 1934, pour se rendre compte qu’il n’y a ici qu’un fait historique, avancé, comme tous les autres, sous la réserve de la critique des témoignages. Cf. Acta aposl. Sedis, t. xvi, 1924, p. 362-365. Aux yeux de Pie XI, le fait de la stigmatisation de François est prouvé par les affirmations de témoins de valeur ; c’est tout. Et quant aux explications possibles, il n’en est même pas question.

Il est bien remarquable, d’autre part, que, dans son grand ouvrage sur la béatification et la canonisation des saints, Benoit XIV n’ait traité qu’en passant et d’une manière tout à fait insuffisante de la stigmatisation. Il ne fait cpie rappeler les constitutions apostoliques affirmant le fait dans le cas de saint François ou même menaçant de peines ecclésiastiques ceux qui enseigneraient le contraire ou effaceraient sur les images du saint la représentation des stigmates. Op. cit., I. IV, part. IL c. ix, n. IL S’il discute de la stigmatisation de sainte Catherine de Sienne, t. IV, liait. II, c. VIII, c’est tout simplement en avocat chargé de résoudre le conllit qui mit aux prises sur ce point les frères mineurs et les prêcheurs et qui amena des décisions plus ou moins contradictoires du SaintSiège. A un autre endroit, il exclut, quand il s’agit de la stigmatisation de saint François, l’explication par l’imagination, par l’autosuggestion, comme nous dirions aujourd’hui. Op. cit., I. IV, part. I. c. xxxiii,