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STERCOKANISME. LES ORIGINES


de la mort. Dans la suite, l’une et l’autre conception aboutiront à des conclusions différentes sur le sort fait aux éléments consacres dans le communiant. La première expliquera très bien que ce qui survient dans les espèces corruptibles ne doit pas atteindre le corps du Christ incorruptible : mais la seconde, confondant sacrement corruptible et réalité incorruptible du sacrement, voudra faire partager à des choses corruptibles la fortune des réalités incorruptibles.

1. Distinction entre les éléments consacrés et leur contenu. — Saint Irénée, Cont. hær., IV, xviii, 1, 5, entrevoit la distinction au sein de l’eucharistie de deux éléments (sans se poser évidemment la question métaphysique de la nature des espèces) : Quemadmodum enim qui est a terra panis, percipiens invocationem Dei, jam non conununis panis est, sed eucharistia, ex duabus rébus constans, terrena et cœlesti ; sic et corpora nostra percipienlia eucharisliam jam non sunt corruptibilia, spem resurrectionis habenlia. Il est évident, d’après le contexte, que l'élément terrestre est le pain ou ce qui en reste ; l'élément céleste, étant donnée la doctrine d’Irénée, c’est le corps et le sang glorifiés du Christ. (Le texte n’est point à utiliser pour ou contre la transsubstantiation ; Irénée est en dehors de cette perspective.) Mais il ne pousse pas la distinction des éléments au point de se préoccuper de leur devenir réciproque ; il conçoit les effets de l’eucharistie per modum unius ; par la communion, nous assimilons dans notre corps un germe d’incorruption. « Notre chair est nourrie du corps et du sang du Christ, notre chair physique en vue de sa résurrection physique, ce qui suppose que le corps du Christ est un aliment physique physiquement assimilé par notre corps. » Batilïol, L’eucharistie, 8e éd., p. 175. C'était déjà la pensée de Justin : l’aliment eucharistie » est un aliment dont nos chairs sont nourries en vue de la transformation. Apol., i, 65.

Origène, en face des simpliciores qui étaient tentés de croire que ce qui est appelé pain du Seigneur sanctifie sans condition, est amené à préciser les circonstances dans lesquelles l’eucharistie est sanctificatrice. A cet effet, il commente la maxime du Sauveur : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme », Matth., xv, 11, et il distingue dans l’eucharistie, d’une part l'élément matériel qui entre par la bouche, suit le courant de la digestion et finit in secessum, et de l’autre l'élément mystérieux, efïicace et sanctifiant, le corps du Christ : « Que si tout ce qui entre par la bouche va dans le ventre et finit où l’on sait, l’aliment sanctifié par la parole de Dieu devient efficace ; il cause la perception de l’esprit dont le regard voit ce (pu est efficace. Et non pas la matière du pain, mais la parole prononcée sur le pain est efficace à qui la mange d’une manière non indigne du Seigneur. » In Matth., xi, 14, P. G., t. xiii, col. 948. On pourra trouver que la détermination de l'élément divin, saint et sanctifiant, dans l’eucharistie, reste confuse ; mais il faut souligner ici que l'élément matériel, perceptible et sensible est bien distingué du premier, et bien caractérisé du moins dans son sort ; comme tel, en tant qu'élément sensible, il est indifférent, il est digéré et va in secessum. P. Batiffol est incliné à croire « qu’Origène a voulu surtout marquer la distinction de l’aliment àyiov et de l'élément ÔAix6v sans penser au rapport de l’un à l’autre » et il pense aussi, avec Renz, que ces expressions ne sont pas de celles dont on puisse rien conclure contre la transsubstantiation, bien que ces expressions n'épuisent pas toute la virtualité du sujet. Op. cit., p. 279.

Saint Augustin lui aussi distinguera, avec une netteté plus grande encore, les éléments visibles du pain et du vin consacrés et le corps eucharistique du Christ qui demeure incorruptible. Dans l’eucharistie, il y a ce qui se voit, ce qui se mange visiblement, ce qui est

corruptible, ce qui est le véhicule, le symbole de la rcs sacramenti ; et il y a le corps invisible que l’on adore avant la communion et qui nourrit l'âme tout en restant incorruptible. Dans son Sermon ccxxvii, P. L., t. xxxviii, col. 1101, il parle ainsi tic ce qui est pris visiblement dans le sacrement, et de ce qui est mangé spirituellement, mais réellement : « Ne traitez pas comme de vils objets ces éléments que vous voyez. Ce que vous voyez passe, mais la réalité invisible qui est signifiée demeure et ne passe pas. Ce que l’on reçoit est mangé et anéanti. Est-ce que le corps du Christ est anéanti ? » On ne peut mieux distinguer dans l’eucharistie entre ce qui est corruptible et qui a le sort des aliments terrestres, et ce qui est incorruptible et qui est l’aliment de l'âme. Il faut, dès lors, distinguer entre la manducation réelle, matérielle des espèces, et l’assimilation réelle mais spirituelle, l’union de l'âme au Christ « procurée par la manducation figurative du corps sacré, réellement mais invisiblement présent dans les espèces visibles qui seules subissent une manducation réelle… Même pour ceux qui croient à la présence réelle, la manducation du Christ dans la communion est figurative, car son corps demeure entier, sans atteinte ni morcellement, seules les espèces sacramentelles sont touchées, altérées, assimilées. A cela se réduit la doctrine que l'évêque d’Hippone voulait inculquer à son peuple (lorsqu’il parlait de manducation in sacramento, in figura) ». Marie Comeau, Saint Augustin, exégète du IVe Evangile, p. 180 et 181.

2. Non-distinction des éléments consacrés et de leur contenu : unité de sort du tout complexe eucharistique. — Chez les Pères grecs, en particulier chez saint Cyrille de Jérusalem, saint Jean Chrysostome, saint Grégoire de Nysse, saint Cyrille d’Alexandrie, etc., la distinction des éléments consacrés et de leur contenu est loin d'être aussi nette que chez les Pères analysés précédemment ; ils s’attachent surtout à mettre en relief la transformation miraculeuse des oblats en la chair vivifiante du Verbe ; des conditions d’existence et du sort de ce qu’ils appellent rà <pat, v6[j.sva, ils ne se préoccupent pas ; ce qu’ils voient uniquement dans la manducation de l’aliment eucharistique, c’est une vivification physique du fidèle, corps et âme ; pour cet aliment, dans son être visible, ils excluent le sort des autres aliments.

Tel Cyrille de Jérusalem, Cat. myst., iv, 3-5 : « Avec une foi certaine, prenons ces éléments comme le corps et le sang du Christ. Car dans la figure du pain t’est donné le corps, et dans la figure du vin t’est donné le sang, pour que tu deviennes, en participant au corps et au sang du Christ, consanguin du Christ. Ainsi nous devenons christophores ; le corps du Christ et son sang se distribuant dans nos membres. Ainsi, selon l'Écriture (II Pet., i, 4), nous devenons participants de la nature divine… Dans le Nouveau Testament un pain céleste et un calice de salut nous sont donnés qui sanctifient l'âme et le corps. Car, comme le pain convient au corps, ainsi le Verbe à l'âme. » Un peu plus loin, Cat., v, 15, parlant, en commentant le Pater, du pain eucharistique qui est ordonné à la substance de l'âme, il insiste sur cette idée que le corps et le sang du Christ se distribuent dans tous les membres ; il ajoute que l’aliment eucharistique n’est pas entraîné par le torrent de la digestion. Le texte sera maintes fois reproduit chez les Grecs et certains Latins : outoç ô apTOç oôx sic xotÂîav /ojpeï xal eîç àçcSpcova IxêâXXe-ïat., àXX' eîç tt5aav aoo ttjv (TÔaTaaiv àvaSiSoTca eîç coçéÂsiav owu, a TOÇ >cal <lJ-/TiC.

Même inspiration dans ce texte du pseudo Chrysostome, De psenit, boni, ix, 2, /'. G., t. xlix, col. 345 : « Ne vois pas que c’est du pain, n’estime pas que c’est du vin. Car l’aliment qui t’est donné ne va pas in secessum comme les autres aliments Non, nv pense