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SPINOZA. T11ÉOHIK m : I.A CONNAISSANCE


point de départ D’est pas accepté au nom d’un préjugé métaphysique, ni posé absolument à priori. Tout s'éclaire si l’on comprend ce qu’est le connaître pour Spinoza. Connaître est un état absolument passif et consiste donc simplement on une action de la chose ot fait partie, par conséquent, do l’ensemble du réseau causal do la nature. Mes actes do connaissance font parlio du système total des causes ot do-- effets aussi bien que la chute d’un corps. La question do la possibilité du passage du corps a l’esprit n’a donc pas à se poser : d’ailleurs le fait de la perception ou est le signe ot l’explication suffisante. Remarquons qu’en cette perspective la distinction « lu vrai ot du faux perd sa valeur absolue : la chute d’un corps n’est ni vraie ni fausse, elle est simplement ; la nature, en son unité ot son mécanisme, est dépourvue do ces distinctions. Vrai et faux, il n’y a là qu’une opposition subjective, tenant à une considération partielle do la nature. Mais alors, puisque toute pensée faisant partie de l’ensemble des choses exprime un fait extérieur, elle reflète un élément do l'Être, et l’erreur ne peut consister qu'à s’imaginer saisir le Tout quand on no saisit qu’une partie. Ht la connaissance, déterminée directement par l’action du concret, n’est pas une affaire do genres et d’espèces : elle consiste à saisir les moments et les forces do l'Être efficacement présents dans un acte singulier.

Chez Descartes, l’intuition porte sur les principes mathématiques et sur la pensée elle-même qui les trouve en elle. Ici l’intuition est celle de l'Être total : nous sommes, en effet, inactifs, la connaissance étant le résultat de la chose : c’est l'Être total, parle jeu des causes et dos effets, qui s’exprime en nous, qui juge. Nous trouvons ici sans doute l’influence de Campanella. qui définissait la connaissance : inirinsecatio per quam unum fit aliud, qui enseignait que nous saisissons notre être propre dans la connaissance de Dieu, et que nous aimons nécessairement Dieu en qui nous sommes. L'être fini n’existe que par sa participation à l’infini ; la connaissance s'étend donc au delà de toute limite, puisque toute détermination est négation. Campanella écrivait : quod vero est omnino, omnis generis entitales continet et ambit. A nihilo vero ipsum umbiri non potest. Nihilum enim non est neque in mente, neque extra mentem. Oportet ergo sine modo illud esse. Ergo infinitum. Ergo immortale, ut dicebamus, et immensum. Même vue dans le Court traité, I, p. ii, j 19. L’intuition de Dieu, qui est la nature en son infinité, est posée dés l’abord, étant donnée la conception que Spinoza se fait de l’acte do connaissance. Et cette conception, avec le panthéisme qu’elle entraîne, vient tout droit du naturalisme de la Renaissance, de Campanella et de Telesio (voir les textes dans Cassirer, Dus Erkenntnissproblem, 1. 1, p. 240 sq. ; t. ii, p. 80 sq.) et, au delà, de la philosophie juive et arabe. L’idée centrale du spinorisme était déjà parfaitement claire, avant que le philosophe eût réfléchi sur Descartes et sur la méthode des mathématiques.

Le De intellectus emendaiione a le même but que le Court traité : surmonter les désirs passionnels incapables « le nous rassasier, afin d’atteindre l’unité qui relie l’esprit à la nature. Seulement Spinoza indique la voie pour y arriver : c’est la voie de la connaissance, et de la connaissance mathématique. Cette connaissance-là, en ellet, possède en elle-même le critère de sa valeur : vérité et certitude n’y dépendent que de la puissance et de la nature de l’intellect, § G9-71 ; le concept mathématique valable fournil les marques qui nous assu rent de la réalité de son objet. Le point de départ de la métaphysique sera donc de connaître ce qui constitue la forme de la vérité. § 104-105. La logique scolastique est ici impuissante, car le passade deindividus a l’universel, par comparaison des individus entre eux. ne donne pas les principes et conditions de

la chose : nobis autem, si quant minime abstracle procedamus, et a » rimis démentis, hoc est a fonte et origine naturse, quant primum fieri potest, incipiamus, nullo modo talis deeeptio erit metuenda. S, 55, ".">. La méthode mal homalico métaphysique sera doue génétique, synthétique, fournissant l’explication du réel par sa construction ; ut mens nostra… référât objective formalilatem naturse quoad totum et quoad ejus partent. § 91. Telle est, en effet, l’idée mathématique : nous savons ce qu’est le cercle et tout ce qu’il inclut ou exige, parce que nous l’avons construit par une loi posée par nous. Là nous possédons la cause et, parce que nous la possédons, nous possédons ce qui sort d’elle. Il en sera de même en métaphysique : de la cause de toutes choses on tire la série des causes et des essences réelles, non pas la série des choses changeantes, mais celle des « choses éternelles », c’est-à-dire les lois du mouvement et celles de la pensée présentes dans toute réalité concrète. § 100.

Cette conception d’une science universelle dont la mathématique est le type vient de Descartes. Seulement chez Descartes le libre arbitre de l’homme rompait la nécessité et par conséquent l’unité de la nature. Spinoza a corrigé Descartes par Ilobbes, à qui il emprunte les doctrines de la définition génétique, de la méthode géométrique appliquée aux affections de l’homme et au droit. De corpore, part. I, c. vi ; De homine, 10-12. Remarquons que Hobbes n’applique la méthode mathématique qu'à la réalité empirique et que son nominalisme est absolu : au contraire, Spinoza lient le conventionnalisme pour une absurdité qui ne mérite pas d'être réfutée, et il applique la méthode à l'être même. Mais comment la méthode géométrique, qui consiste à engendrer les notions en les construisant, s’appliquera-t-elle à l'être qu’on ne construit pas ? C’est que l’idée de « cause de soi » n’a pas besoin d'être engendrée : si res sil in se, sive, ut vulgo dicitur, causa sui, tum per solam suam essentiam debebit intelligi ; si vero res non sit in se, sed requirat causam ut existât, tum per proximam causam débet intelligi. § 92. Ainsi est justifié le concept de la substance qui va porter le système entier.

La substance se comprend par elle-même, parce qu’elle existe en elle-même. Mais quelle réalité ont les êtres qui existent dans la substance ? Si l’on n’a pas pénétré la gnoséologie spinoziste, on est très embarrassé sur ce point : tantôt les êtres singuliers paraissent être des non-essences n’ayant de réalité que dans notre imagination inadéquate, tantôt ils paraissent être des moments fondés nécessairement dans l’essence de Dieu. Or, dans le De intellectus emendaiione, § 31, Spinoza enseigne que notre souverain Rien consiste dans la connaissance de l’unité qui lie l’esprit humain à la nature totale, et que seule la géométrie nous livre l’intuition de l’ordre absolu de l'être fondé en soimême. Quel est le contenu de ce concept ? On pourrait croire que ce contenu est l'être, car le concept de substance vient de la scolastique et, selon la doctrine spinoziste, toute affirmation pose de l'être. Seulement les notions communes, obtenues par comparaison et abstraction, ont été rejetées pour ce motif que le procédé abstractif est un procédé imaginatif, consistant à ne garder qu’une minime partie et à laisser échapper le Tout. Spinoza prétend ne partir que d’une essentia particularis affirmativa. Ibid., § 55, 93, 98. La difficulté est de trouver une idée positive qui exclue toute limitation, car on sait que omnis determinatio est negatio. Or, la connaissance adéquate nous fournil précisément ce type de connaissance, car elle a pour objet l’ordre des êtres singuliers : l’intellection est a la fois universelle et singulière : quo magis res singulares intelligimus, eo magis Detun inielligimus. Eth., Y. prop. 2 1. L’P.tre total est ainsi pénètre comme un