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SPINOZA. THEORIE DE LA CONNAISSANCE


pendant les trois ans qu’il y passa qu’il composa le Court traite de Dieu, de itwmme et de ta béatitude, celui De l’amendement de l’intelligence, une partie notable de L'éthique, et une étude sur la philosophie de Descartes, Renaît Descartes principiorum philosopltiæ pars I, II, more geometrico demonstratæ. Ce dernier ouvrage est le seul de Spinoza qui ait paru de son vivant signé de son nom, et il est le fruit de l’enseignement donné à un élève de l’université de Leyde, Casuarius, qui habita chez Spinoza en 1661 ou 1002.

Vers le milieu de 1003, Spinoza s’installe à Voorburg, village à une lieue de La Haye, dans la maison du peintre Daniel Tydemann. Bien qu’il vécût dans l’isolement, il commençait à être célèbre et à avoir des amis et des disciples, même parmi les gens puissants et les savants. Huyghens vint le voir à Voorburg. Le Grand Pensionnaire Jan de Witt rechercha son amitié. On sait que cet homme d'État, qui gouverna la Hollande pendant une vingtaine d’années, travailla à laïciser la république et à asservir les Églises chrétiennes. Dans un pays libre, il devait compter avec l’opinion. C’est pourquoi il avait besoin d’hommes de science pour soutenir ses idées et sa politique. On s’explique ainsi pourquoi il aurait assigné à Spinoza, selon Lucas, une pension annuelle de deux cents florins. Le Traité théologico-poliliqtie a été composé pour satisfaire aux désirs de de Witt. Il est inutile d’ajouter que Spinoza était bien aise d’utiliser cette occasion pour répandre ses doctrines sur la liberté de conscience ; et en montrant que le christianisme bien compris est simplement la religion de la raison, il espérait se justifier devant l’opinion publique qui l’accusait d'être un athée et un libertin. Cependant le Théologico-politique ne parut pas sous le nom de Spinoza. Si quelques-uns des lecteurs l’approuvèrent, la plupart furent effrayés et révoltés, et les autorités ecclésiastiques condamnèrent l’ouvrage comme « blasphématoire », « impie au plus haut point ». Néanmoins les efforts des synodes et des conseils ecclésiastiques se brisèrent contre la résistance de de Witt : le Théologico-politique ne fut proscrit que sous Guillaume III, en 1074.

En 1670, Spinoza quitte Voorburg, probablement à cause de l’hostilité des habitants, indignés de ce que les amis du philosophe, son hôte Tydemann en tête, aient présenté à l’office de pasteur de la paroisse un individu connu pour ses opinions libérales. Spinoza, après avoir séjourné quelques mois chez la veuve van Velden, sur le Veerkaay, se logea chez le peintre en bâtiments van der Spyck, à La Haye. Sa renommée était alors devenue européenne. Leibniz, qui lui avait déjà envoyé en 1071 un mémoire sur l’optique, essaya d’entrer en relations avec lui par le moyen de leur ami commun, Tschirnhaus, et il lui rendit visite à La Haye en 1070..Mais Spinoza se déliait de lui et l’entretien de ces deux génies ne porta que sur des banalités et des anecdotes de ce temps. Le prince de Condé, durant la campagne de I lollande, a ail désiré voir Spinoza et le manda à i Itrecht ; quand le philosophe y arriva, Condé, appelé par le roi, étail parti pour Taris. La même année, il avait refusé la chaire de philosophie de l’uni versité de Heidelberg, offerte par l'électeur Palatin, (maries Louis. Ce fui l’année de sa mort I 1 070).

Il est incontestable que l’existence de Spinoza a été laborieuse, simple et modeste, bien plus, désintéressée. Son ami de Yries lui lit un jour présent de deux mille florins pour le mettre en état de vivre un peu plus

à son aise. Il les refusa avec sa politesse ordinaire, disant qu’il n’en avait pas besoin (Lucas). Le même

de V i ies voulut l’instituer son légataire universel : Spinoza refusa, afin de ne pas priver l’héritier légal de la pari a laquelle il avait droit, s’il vécut dans la pauvreté, il était néanmoins très soigneusement vêtu. Il évitait tout excès, se levait brusquement et sortait

quand il sentait la colère le saisir. Sa vie solitaire n'était pas triste : Je tâche de mener une vie paisible, joyeuse, disait-il, et non pas de vivre dans la tristesse et les soupirs. » Il était doux, bienveillant, libéral, patient.

Colerus, ses amis et plus tard ses admirateurs ont vu en Spinoza un « saint laïque ». Les théologiens protestants libéraux, et Schleiermacher le premier, ont célébré en lui une grande âme religieuse, un mystique plongé en Dieu. Il semble qu’i] y a là dedans au moins beaucoup d’exagération. Spinoza a mené une vie organisée consciemment en vue de la tranquillité requise par les travaux intellectuels. Si l’on nous rapporte de lui des traits de bonté, nous en connaissons d’autres qui sont le signe d’une aine dure. Il s’amusait à capturer des araignées et des mouches pour les faire ensuite se battre. Les documents publiés récemment par MM. Yaz L)ias et van der Tak, empruntés aux registres de la communauté israélite, à ceux des sociétés de bienfaisance juives et aux archives des notaires d’Amsterdam, nous révèlent un Spinoza qui n’est jamais embarrassé pour se procurer de l’argent quand il en a besoin. Le 20 avril 1055, un débiteur de Spinoza vient lui demander un délai. Quelques heures plus tard, celui-ci se rend chez le notaire pour faire vendre incontinent les biens du débiteur.

Pour porter un jugement d’ensemble sur la personnalité morale de Spinoza, il faudrait, à vrai dire, prendre parti sur l’interprétation de sa pensée totale : est-il un homme religieux, pour qui le mot de Dieu a un sens profond et qui a voulu substituer aux cultes de son temps une piété fondée sur la raison ? ou est-il simplement un athée, soutenant que la nature est un mécanisme, et qui cachait ses véritables sentiments sous une phraséologie empruntée aux théologiens ? Le P. von Dunin Borkowski, qui s’est pris pour son héros d’une sympathie ardente, nous le dépeint comme un héros et un ascète. Mais M. Bivaud remarque avec raison qu’on pourrait tracer du philosophe un portrait tout autre : « Toute sa vie, Spinoza a gardé un masque si bien appliqué sur ses I rails, que seuls ses familiers les plus intimes ont eu, par instants, l’idée de sa personnalité véritable. Il a observé, avec un soin minutieux, la devise gravée sur son cachet : (Prends garde ». Documents inédits sur la vie de Spinoza, dans Rente de métaphysique et de morale, avril 1934, p. 260. Nous ne prendrons pas parti dans ce débat. Peut-être pourtant l’exposé quc nous allons faire du système fournira au lecteur des arguments pour se décider.

II. Théorie de la connaissance. Comme chez Descartes, Malebranche et Leibniz, la théorie de la connaissance est la clef qui ouvre l’intelligence du système de Spinoza. Nous devons donc commencer par elle. Mais cette théorie, pour être comprise, doit être Illustrée dans ses applications les plus Importantes. On nous pardonnera doue de faire déjà ici des allusions a la métaphysique spinoziste, et même, en décelant les parti pris et les erreurs de la théorie de la connaissance, d’apporter par avance les meilleurs ar guments pour réfuter cette métaphysique même. De

plus, la gnoséologie de Spinoza a évolué : nous devrons

en expliquer les différentes phases. Voyons-la d’abord dans le Court traité. Tandis que jusqu’ici le premier problème consiste

à délimiter le domaine de la connaissance empirique cl celui de la connaissance rationnelle, et qu’on n’ar rive à Dieu qu’après un circuit plus ou moins long (Descartes, le maître de Spinoza, arrive à Dieu en passanl par le roi/// », la distinction de la chose pensante cl de la chose elendue. les idées claires), Spinoza part de Dieu, qui ne peut être connu par aucune autre idée, mais par une révélation Immédiate de l’objet luimême à la raison i. Court traité, 11' partie, c. XXII. Ce