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SPINOLA (ETIENNE) — SPINOZA


    1. SPINOLA Etienne##


2. SPINOLA Etienne, somasque, est auteur d’une dissertation De libéra et prudenti agibilium electione in moralibus, Gènes, 1648, in-fol.

Hurtcr, Xonuiiclator, 3° éd., t. iii, col. 120°.

J. Mercier.

    1. SPINOZA##


SPINOZA, philosophe hollandais du xviie siècle (i 632-1677), — Pour le théologien chrétien, cal holique ou protestant, [Importance de Spinoza est immense. D’une part, son œuvre est l’arsenal où, depuis trois siècles, viennent prendre des armes les adversaires du christianisme et de toute religion révélée. Les plaisanteries et les calomnies <le Voltaire sont aujourd’hui usées, mais la pensée de Spinoza continue d’inspirer, en ce qu’elle a de scientifique et de vivant, l’irréligion contemporaine : on la retrouve partout, par exemple, étiez M. Brunschvicg. Si l’on retranchait de L'évolution de la conscience dans la f>hilosophie occidentale tout ce qui provient du Théologico-politique, ce livre cesserait d'être irréligieux. Mais, à l’inverse, les protestants libéraux ont cru trouver en Spinoza une âme, sans doute affranchie du dogmatisme orthodoxe, niais profondément religieuse, et ils ont pris le Théologico-politique pour l’esquisse d’une théologie. Schleiermacher, qui voyait en Spinoza une âme « ivre de Dieu », a bâti une dogmatique spinozdste et, pendant tout le xix c siècle, le protestantisme libéral allemand s’est développé sous cette influence. Il n’est pas sûr qu’aujourd’hui la réaction de Barth et des tenants de la Théologie dialectique ait définitivement compromis cette influence. Or. en France, Auguste Sabatier importa les doctrines de Schleiermacher. Le modernisme en est plein et par conséquent il est plein de Spinoza : la théologie de Tyrrell est celle du Théologico-politique, mise en style mystique et psychologique. Enfin la méthode purement historique et philologique que Spinoza a appliquée aux Livres saints est devenue celle de presque tous les protestants du continent, et elle fut celle des modernistes. Pour ces motifs, cet article devra être assez développé.

Nous étudierons successivement : I. La vie de Spinoza. IL Sa théorie de la connaissance, qui donne la clef pour l’intelligence de son système métaphysique et de sa doctrine religieuse (col. 2492). III. Sa doctrine métaphysique (col. 2496). IV. Sa morale (col. 2499). V. Sa politique (col. 2500). VI. Sa méthode d’interprétation de l'Écriture (col. 2501). VIL Sa doctrine de la religion (col. 2503).

I. Vie de Spinoza.

Nous sommes renseignés sur la vie de Spinoza par deux biographies, celle du pasteur.Jean Kôhler (Colerus) et celle du médecin Lucas, de La Haye ; par sa correspondance ; par quelques allusions de ses contemporains, enfin par des pièces d’archives dont la plupart ont été mises au jour récemment. L’ouvrage fondamental à consulter est celui du P. von Dunin Borkowski.

Baruch Spinoza (ou Espinoza, Espinosa, de Espinoza, etc., les registres présentant des orthographes de toutes sortes) est né en Hollande, a Amsterdam, au numéro 41 de la rue 'aterlooplein (autrefois Iloulgrachtt. le 2 1 novembre 1632, de.Michel Despinoza n’est ainsi qu’il a signé lui-même sur le registre de mariage) et de sa seconde femme Hana Debora. La famille Spinoza, originaire du Portugal, y faisait sans doute profession extérieure de christianisme, les juifs ayant été expulsés île ce pays en 1 196. IL devaient être des « marranes » : inquiétés par l’Inquisition ; ils s’expatrièrent et, une fois installés en Hollande, tirent partie de la communauté juive. Michel Spinoza était un homme d’affaires qui avail très bien réussi ; il possédait une belle fortune, était très estimé île ses compatriotes. Mais il étail loin d'être un juif fervent, il n’aimait pas la bigoterie, et peut-être a-t il poussé,

sans s’en rendre compte, son fils vers l’incrédulité.

Celui-ci fréquenta l'école juive, et y fut instruit très sérieusement de la Bible et du Talmud. Son intelligence profonde, et aussi son esprit critique, s’y manifestèrent : « il n’avoit pas quinze ans, cpi’il formoit des difficultés que les plus doctes d’entre les juifs avoient de la peine à résoudre » (Colerus). Bientôt il se mit à lire les philosophes de sa race, en particulier Maïmonide, qu’il cite toujours avec un grand respect. Il était d’ailleurs parfaitement au courant de tout ce qui concernait sa nation et sa Loi, jusqu'à ce point qu’il composa lui-même une grammaire hébraïque. On trouvera dans le livre de M. Vulliaud, La bibliothèque de Spinoza, des renseignements très utiles pour comprendre l'évolution psychologique de Baruch et les sources de sa pensée religieuse. Mais les auteurs juifs ne lui suffisant plus, il se mit à l'étude de la langue latine (1654 à 1656 ou 1657) sous la conduite de François Van den Knden. Celui-ci, après avoir appartenu à un ordre religieux, fut successivement médecin, juriste, diplomate, libraire. Plus tard, il vint à Paris, et gagna la confiance de Louis XIV jusqu'à être son médecin et son conseiller ; mais il prit part à une conspiration contre le roi (1674) et expia son crime par une mort horrible. La religion et la moralité de Van den Enden étaient assez suspectes : c’est chez lui que Baruch se lia avec des « libertins » qui s’y réunissaient pour se moquer des dogmes et des cérémonies.

Une fois muni de la connaissance du latin, Spinoza put étudier les ouvrages de mathématique et de physique. Il continuait cependant à lire les philosophes ; ceux de la Benaissance, Giordano Bruno en particulier, exercèrent sur lui une grande influence. Il ne semble pas avoir connu directement les grands philosophes chrétiens du Moyen Age, pas plus que le dogme catholique. Le christianisme ne lui a été familier que par les sectes des mennonites et des collégiens, alors florissantes en Hollande. Enfin Spinoza lut Descartes : « Il a souvent déclaré que c'était de là qu’il avait puisé le plus de lumière pour sa science » (Colerus).

Tant que son père vécut, Baruch accomplit extérieurement les devoirs imposés par sa religion. Mais, dès que Michel Spinoza fut mort (1654), Baruch cessa de pratiquer les observances rituelles. Le scandale fut d’autant plus grand qu’il avait lieu dans une famille plus considérée, et cette famille elle-même devint hostile au scandaleux. Celui-ci se résolut à partir et réclama sa part d’héritage que ses frères et sœurs refusèrent. S'étant adressé aux tribunaux hollandais, il obtint gain de cause. Mais il renonça alors à l’héritage paternel, n’emportant qu’un lit et un rideau, et se décida à gagner sa vie par le travail. Cependant deux jeunes gens, à qui il avait dévoilé quelques-uns de ses doutes sur la religion, racontent partout qu’il est un impie. Un soir, des juifs essaient de le tuer : il en est quitte pour un trou dans son manteau. Les rabbins le convoquent, et devant eux il avoue avoir abandonné la foi de Moïse. Le 27 juillet 1656, les « Anciens » procédaient contre lui à l’excommunication.

Le banni s'établit alors en dehors d’Amsterdam, dans un village appelé Ouderkerk ou Ouwerkerk, et, après quelques mois, rentra à Amsterdam et se mit à polir des verres pour lunettes, télescopes et microscopes, métier qu’il avait appris auparavant dans la maison paternelle, et, comme il se connaissait fort bien en mathématiques et en physique, il fut un excellent fabricant, lai même temps, il s’occupait aussi de peinture et surtout de philosophie, sans se laisser arrêter par la phtisie qui commençait à le miner et dont il devait mourir.

Cependant l'étal de sa santé exigeai ! du repos. Ne fût-ce que pour échapper a la malveillance de la Synagogue, il loua a RJjnsburg un I17. de chaussée. L’est