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SORCELLERIE ET MORALE


à la parole révélée de Dieu ». (Sir V. Blackstone, 1775). Aux catholiques, au contraire, il sera toujours loisible de faire leur lourde part aux princes chrétiens. recherchant par la voie de la rigueur la tranquillité de leurs peuples, et même aux évêques, suivant d’un cœur léger les errements de leurs ouailles.

C’est trop peu de pouvoir dire que les juges ecclésiastiques se montrèrent moins rigoureux que le^ juges séculiers dans la répression : ils n’usaient pas de la torture et ne recoururent jamais à la peine de mort, sauf quelquefois en Espagne, où la réaction était plus impérieuse : « Aucun pays plus que l’Espagne n'était exposé à la contagion de cette folie ; si elle a été réprimée et rendue relativement inoffensive, cela est dû à la sagesse de l’Inquisition. » Lea, Inquisition in Spain, t. iv, p. 206.

Tous ces excès sont à jamais déplorables et nous ne prétendons point les excuser. Cependant les croyants devront se demander ce qu’ils auraient fait euxmêmes à leur place et en leur temps. Puisque les préjugés étaient alors universels sur tout ce qui concernait les sortilèges et que l'Église ne pouvait les détruire d’un coup en disant que le diable n’existe pas, aurait-il été bien plus efficace de les arracher un à un et tout doucement, par la raillerie et le scepticisme ? Et si les sorciers se doublaient souvent de malfaiteurs, fallait-il leur donner l’absolution ? Sans doute l'Église aurait eu son mot à dire sur la procédure et sur la torture ; mais c’est une autre question.

Des actes des gens d'Église, si nous passons à leurs préjugés, remarquons pour ramener les griefs à de justes proportions : 1. que l'Église de la Renaissance n’a pas inventé le crime de sorcellerie, admis par l’antiquité ecclésiastique et les empereurs romains ; 2. que les docteurs catholiques ne donnèrent jamais de jugement motivé sur les procédés plus ou moins extraordinaires que le vulgaire prêtait aux sorciers ; ils continuèrent seulement à professer la théorie courante des pactes avec le démon, telle que l’université de Paris l’avait formulée en 1338 ; 3. que les papes de la Renaissance, comme on l’a vu précédemment, n’allèrent pas plus loin ; 4. que les juges d'Église, et d’abord l’Inquisition romaine, au xve siècle, l’inquisiteur de Navarre en 1538, inclinaient à voir de l’illusion dans les accusations de sorcellerie par trop extravagantes.

Les théologiens du xvie siècle furent, sur ce point, tout à fait insuffisants à leur tache d’enseignement, quand ils se virent en devoir de faire le point. Ils avaient deux excuses : d’abord ils se trouvaient en pleine crise de répression contre des pratiques excessivement variées et mystérieuses ; mais surtout ils étaient de simples commentateurs de leurs ancêtres et ils ne trouvaient rien dans leurs Sommes ! « Avec Estius, on doit constater que les plus célèbres de nos prédécesseurs, saint Thomas, saint Bonaventure, Durand et les autres n’ont pas même touché la question. » Sylvius, In Summ. theol., Ila-II », q. cxvi, append. Le moment n'était guère aux recherches iréniques, ni aux études d’ensemble ; ils restent dans les généralités. Képugnent-ils à admettre certains détails grotesques, comme les métamorphoses d’une sorcière en souris ou en oiseau, et leurs voyages à travers les airs, c’est au nom de principes métaphysiques sur les forces des mauvais esprits. Mais les documents amassés par les procès de sorcellerie étaient si nombreux et si concordants — et pour cause 1 — que des auteurs assez, modérés, comme I aimer et les Salmanticenscs < accueillirent, avec une crédulité qui nous parait aujourd’hui excessive, les récits les plus extraordinaires.Art. Magie, ci-dessus, t. ix, col. 1Ô26.

Pour l’histoire de la moderne sorcellerie, nous n’avons malheureusement aucun historien bien sérieux a notre disposition ; et ce serait une tâche fort

délicate que de faire le départ entre les attestations enthousiastes des amateurs d’occultisme et les négations dédaigneuses des matérialistes. Pour la vie des sorciers actuels, voir ('.. I.ancelin, La sorcellerie des campagnes, p. 189-260.

V. La sorcellerie et la morale.

Quand il s’agit de se prononcer sur la valeur morale de la magie, l’unanimité se fait entre théologiens anciens et récents pour la sorcellerie vulgaire : ils la condamnent tous comme superstition, a cause de la vanité de ses prétentions ou de l’impiété de ses tentatives ; car, pour cela, il n’est aucunement nécessaire de savoir si ces essais de nuire ont réussi ou si ces pactes avec le diable ont été exaucés. Aussi les théologiens modernes les plus sceptiques sur son efficacité se montrent-ils aussi sévères que les autres sur sa culpabilité, tandis que les anciens théologiens, qui exagèrent, à première vue, l’action diabolique, ont des solutions particulières pleines de bon sens. C’est que l’appréciation des actes humains n’a pas à se préoccuper de leurs conséquences mystérieuses, mais, avant tout, doit considérer les fins poursuivies par les agents et les circonstances aperçues de leurs initiatives.

Les théologiens scolastiques.

Ils partent, il

est vrai, de cet à priori que les sortilèges sont des pactes avec le diable, ou, plus discrètement, pertinent ad quædam pacta signifteationum cum dsemonibus inila, comme disait autrefois saint Augustin, De civ. Dei, t. XXI, c. vi ; et sic operatio dsemonis se immiscet ; tel était le danger, assez lointain, que saint Thomas leur avait signalé, IIMI", q. xcv, a. 5. Il fallait bien qu’ils parlassent du démon ne fût-ce que pour rester dans leur sujet, « la divination et les autres pratiques », comme la sorcellerie, « ne se rattachant à la superstition qu’en tant qu’elles peuvent dépendre de quelque intervention des démons », IIa-IIæ, q. xen, a. 2, ad 2 ura, et la sorcellerie sans démon se réduisant à un vulgaire cas de malfaisance.

A ce thème essentiel, les anciens moralistes, simples commentateurs de la Somme théologique, n’ajoutent que des points de détail. Veut-on savoir le seul problème que se pose, à ce sujet, Sylvius ? Celui-ci, qui montre bien d’ailleurs que la préoccupation des théologiens était celle des simples fidèles : « Peut-on se débarrasser des « signes » des sorciers ? » Voici la réponse, combien prudente : « Oui, s’il s’agit de procédés qui ont une nocivité naturelle, comme le poison dans les aliments, les onguents dans les puits ou sur les prés ; mais, si l’on se trouvait en présence de signa nuda, de signes purement magiques, comme des talismans qui n’ont aucune vertu naturelle, malgré l’avis de Vasquez, De matrimonio, t. VII, dist. XCVI, il faudrait les laisser en place, sous peine de connivence apparente avec le démon. » Sylvius, In Sum. theol., IIMI", q. xevi, append. Il faut dire que des auteurs plus éclectiques avaient soulevé presque toutes les difficultés pratiques de la question, ainsi Denys le Chartreux, Contra vitia superstitionum, Op. omnia, t. xxxvi, p. 213-222, qui donnait déjà des solutions fort sages prises à Barthélémy de Pise, Raymond de Penafort, Guillaume de Paris, à des traités anonymes De superstitionibus, De fide et legibus, etc. Les sorciers dont ils s’occupent sont de ces guérisseurs qui ont le tort d’adjoindre à leurs « secrets » des signes religieux : Eccc quantum errant qui cum rébus naturai libus miscent res sacratas. Mais tout cela ne faisait pas un tout.

Au début du xvir siècle, Suarez donne enfin un traité complet de la magie De rcligione, I. II, c. xivxv, cil. Vives, t. xiii. p. 563-600, où il y a évidem ment bien des distinctions incontestables, par ex, entre la magie naturelle et la sorcellerie supersti tieuse, loc. cit., p. Ô." ».S, laquelle réunit parfois la malice