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    1. SORCELLERIE##


SORCELLERIE. RÉALITÉ

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influence et le contact impur des démons, avec le secours de qui opèrent les magiciens. » Tertullien, Apologet., c. xxii, P. L., t. i, col. 404-411. Saint Cyprien suit son maître sur ce point. De idol. vanitat., c. vii, P. L., t. iv, col. 574. Moins que les autres docteurs, saint Augustin était porté à minimiser l’objectivité des maléfices et le concours des dénions, parce qu’il avait une conviction très nette de l’origine diabolique de beaucoup de maladies, Serm., cxxx, n. 7, P. L., t. xxxvii, col. 1708, et une théorie excessivement souple du miracle et des virtualités de la nature, cf. La théologie du miracle selon saint Augustin, dans Rech. de théol. anc. et médiév., 1939, p. 212-214 ; enfin, plus précisément, parce qu'à ses yeux les procédés et formules magiques étaient si disproportionnés à leurs effets avérés qu’ils devaient être, non des causes, mais des signes faits à des puissances surnaturelles. Après lui, tous les Pères latins font un pas de plus : ils voient le démon dans les moindres gestes des plus vulgaires sorciers. S. Léon, P. L., t. i.iv, col. 218 ; Maxime de Turin, P. L., t. lvii, col. 256 ; Grégoire le Grand, P. L., t. lxxvii, col. 757 ; Prudence, P. L., t. lix, col. 675-676. « Il faut reconnaître, pour la réalité de la magie noire, l’existence d’une opinion traditionnelle très forte. » Voir ci-dessus, L. Gardette, art. Magie, t. ix, col. 1520. Tous les écrivains du Moyen Age, on le verra plus loin, admettent, les yeux fermés, la solution simplifiée de saint Augustin.

4. Saint Thomas lui-même, bien qu’il regarde plutôt les principes que les faits particuliers, admet la possibilité et la réalité de la sorcellerie, mais, avant tout, par respect pour les Saints Pères : Hoc est contra auctoritates sanctorum qui dicunt quod dœmones habent potestatem supra corpora et imaginaliones hominum quando a Deo permittuntur ; unde per eos malefici aliqua signa facere possunt… chedimvs dœmones… multa posse quæ nos non possumus ; et illi qui ad lalia facienda inducunt, malefici vocantur. Sum. theol., Suppl., q. lviii, a. 20. Beaucoup moins circonspects furent les théologiens scolastiques des siècles suivants : le maléfice du démon devient une clause de style. Suarez, De religione, c. xv, n. 7, éd. Vives, t. xiii, p. 565. Plusieurs même n’ont pas hésité à prendre pour argent comptant les récits d’exorcismes et les aveux des exorcisés qui foisonnent dans les vies des saints de tous pays, depuis saint Martin jusqu'à saint Pierre Fouricr. Joignons-y les théologiens du xviie s., car ils n’ont fait qu’exagérer les conclusions de leurs prédécesseurs. Voir l’art. Magie, col. 1526. La doctrine demeure sauve quand les plus prudents d’entre eux ont soin de distinguer entre le droit et le fait. « La sorcellerie est possible 1) ex parte dœmonum, 2) ex parte hominum, 3) ex parte Dei… Quant aux faits, ils relèvent uniquement de l’histoire et de la critique… Maintenant que les lois physiques sont mieux connues, bien des opérations jadis réputées magiques nous apparaissent naturelles. Mais la raison ne permet pas » — on en revient toujours à l’a priori — de les contester tousl » Migne, Theolog. curs., t. xiv, col. 111. Il ne sera pas hors de propos d’ajouter à ces témoignages celui de Bossuet qui parle, avec quelque Indétermination cependant, de « ces effets extraordinaires et prodigieux qui ne peuvent être rapportés qu'à quelque mauvais principe et à quelque secrète vertu pernicieuse ; et cela se continue encore par cette noire science de la magie, à laquelle plusieurs personnes trop curieuses se sont adonnées dans toutes les parties de la terre, i Hossiiet, /" sermon sur tes thiiwns. Ces derniers mots font peut-être allusion aux relations des missionnaires de toutes Us latitudes déplorant

les ravages de la sorcellerie dans les pays, sauvages ou

civilisés, qu’ils évangélisaient. Cf. Benoit XIV et les

incubes, cité par S. Reinach, Cultes, mythes et religions, t. iii, p. 593.

5. Les condamnations solennelles de l'Église étaient d’ailleurs trop concordantes pour permettre aux théologiens de mettre uniformément en doute la réalité de toute la magie populaire et son origine démoniaque. « Le concile d' Kl vire de 305 suppose nettement, can. 6, l’efficacité possible des maléfices, Gardette, loc. cit., col. 1524, et même l’invocation du démon : « Si un homme en a tué un autre par maléfice, comme 17 n’a pu accomplir pareil crime sans idolâtrie, il se verra refuser la communion même à la mort. » Mansi, Concil., t. ii, p. 225. Sans doute beaucoup d’autres synodes postérieurs se bornent à porter condamnation contre des tentatives, « qui sont de lourdes chaînes, magna obligamenla, pour les âmes ». Concile d’Agde de 506, can. 68. On remarquera la même réserve dans les conciles mérovingiens d’Orléans (511), d’Auxerre (586), de Narbonne (589), de Reims (625) ; dans les conciles carolingiens de Tours (813), can. 42, et de Paris (829), Mansi, Concil., t. xiv, col. 89 ; dans les synodes d’Angers (1294) et de Rouen (1445), en ceux de Valladolid (1322) et de Cologne (1357). On a même dit que les peines édictées par eux étaient trop douces — l’excommunication ou la suspense temporaire — pour qu’ils aient cru à un vrai pacte avec le diable. Mais il n’est pas douteux que la plupart des gens d'Église, au Moyen Age, étaient d’accord pour le fond avec le Canon, episcopi, introduit dans les collections canoniques — c'était en fait un capitulaire franc, cf. Corpus juris can., édit. Friedberg, t. i, col. 1030, n. 142 — : « Les évêques et les prêtres… doivent travailler à extirper la sorcellerie et la bonne aventure, puisque le diable en est l’instigateur. » L’opinion des hommes éclairés ne va jamais jusqu'à supprimer le rôle du démon ; et, pour quelques esprits indépendants que l’on cite en sens contraire, comme Agobard, archevêque de Lyon, Liber de grandine et tonitruis, P. L., t. civ, col. 147-158, l’ensemble des évêques du ixe au xiiie siècle s’en tient à l’opinion moyenne du canoniste Burchard de Worms : s’il y a une part d’illusion et de vantardise dans les dires des sorcières, en particulier leurs prétendus sabbats, elles sont vraiment victimes des hallucinations du démon, en punition de leur impiété. Burchard, Décret., t. X, c. i, P. L., t. cxl, col. 831-833. Ainsi pensaient, aux siècles suivants, un synode de Trêves de 1310, can. 79, 80, 81, loc. cit., t. xxv, col. 268 ; un synode de Salamanquede 1335, can. 15, loc. cit., t. xxv, col. 1056, deux synodes de Prague, celui de 1346, can. 56 et un autre de 1355, can. 61, Mansi, Concil., t. xxvi, col. 100 et 400. Ce qu’il faut induire de ces variations, c’est que les pasteurs des Églises particulières, qui n’engageaient point le jugement de l'Église catholique, étaient tiraillés entre leurs doutes personnels et l’opinion régnante parmi les fidèles. Les historiens impartiaux admettent que leur rôle fut plutôt modérateur en ces siècles d’ignorance. J. Janssen, La civilisation en Allemagne, t. viii, p. 522, n. 3.

Plus embarrassantes sont les bulles des papes du xv c et du xvi 1 siècle, citées à l’art. Magie, col. 1523. Dans le peuple chrétien sévit alors une épidémie de superstitions et les papes, pour l’arrêter, devaient bien faire état des préjugés de l'époque : voilà ce que disent les historiens de l'Église. Mais ces bulles, que disent-elles au juste'.' Sans doute. Innocent VIII, dans sa fameuse bulle Summis desiitcrantes afjectibus, du 5 déc. 1 184, parle du commerce amoureux avec le démon, simplement comme d’un crime signalé par les Inquisiteurs d’Allemagne] mais Sixte V, dans la bulle Ctcll et terne du 5 janv. 1586, écrit sans restrictions : Sun ! qui… pactum faciuni cum injerno, qui similiter ad alia factnora perpetranda, cum diabolo