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SOKC.K LLERIK. REALITE


répandait dans les villages, de 1820 à 1850, et de lire, proul sortant, les formules de pactes qui y sont proposées. On sait même que ces formules ont été essayées de nos jours, sans confiance et sans résultats, par des adeptes de spiritisme et d'études ésotériqucs. Mais est-il sûr qu’elles ne recueillent plus de créance dans les milieux populaires ? Voilà donc bien de vraies tentatives de pacte diabolique et des pratiques de sorcellerie authentique.

Évidemment, la question mystérieuse de l’efficacité de ces invocations n’est pas pour cela résolue. Peut-elle être vérifiée par l’expérience ? Assurément pas par celle du grand public, ni par les aveux des personnes qui se disent ensorcelées. Les exorcistes les plus autorisés sont aussi les plus défiants : il y a de pseudo-possessions qui ne sont que l’effet d’une suggestion par le contact d’un talisman prétendu infernal. Cf. De Tonquédec, Introduction à l'étude du merveilleux, p. 416. Il ne faut donc pas trop presser la pensée de Pascal : « Il me paraît qu’il n’y a tant de faux sortilèges que parce qu’il y en a de vrais. » C’est avant tout une question de fait. Il faut pourtant tenir grand compte de la doctrine de l'Église qui laisse la porte ouverte à la constatation sérieuse.

Essai de réponse.

En effet, la possibilité de

l’intervention diabolique, et donc la portée réelle de certains pactes avec le démon, s’appuie, sinon sur un enseignement explicite de l'Écriture, du moins sur le sentiment général des Pères, des théologiens de l'École et, nous semble-t-il, du magistère ecclésiastique, sentiment confirmé, ou plutôt illustré par la tradition catholique et un certain enseignement philosophique.

1. Sauf l'épisode des magiciens du pharaon, Ex., c. vu sq., qui relève de la magie savante, il ne faut rien demander de précis à l’Ancien Testament : les textes cités par tous les théologiens, et à juste raison, pour condamner la sorcellerie, Ex., xxii, 18 ; Lev., xix, 31 ; xx, 6 ; Deut., xviii, 9-11, n’en disent ni l’efficacité maléfique, ni l’origine diabolique. Ce rôle du diable était passé sous silence, d’ailleurs, dans les livres anciens de la Bible hébraïque, cf. E. Mangenot, art. Démon dans le Dictionnaire de la Bible ; et ici, t. iv, col. 323-324 : les maladies, les épidémies, les troubles atmosphériques, tous les maléfices que se sont toujours attribués les sorciers, sont aux mains de Dieu seul. Le cas de la pythonisse évoquant l’ombre de Samuel, montre pourtant que ce Dieu permettait que les agissements des sorcières fussent suivis de quelque effet, vrai ou imaginaire, ut dispensalione occulta, se ostenderet spiritus justi, vel aliqua illusio imaginaria, diaboli machinationibus facta. S. Augustin, De diversis quæst. ad Simplicianum, t. II, c. in.

Les prophètes interdisent à leur tour les incantations, Is., ii, 6 ; iii, 4 ; xlviii, 13 ; Mich., v, 5, mais plutôt comme « des coutumes païennes qui ne sont que vanité ». Jer., x, 2.

Il faut arriver à Daniel pour trouver une magie puissante — mais c’est la magie chaldéenne — exorcisée par les hommes de Dieu. Dan., ii, 2, 10. Le livre apocryphe d’Enoch, vii, 1, parle de puissants secrets confiés aux « filles des hommes », tradition populaire juive grefîée à tort sur Gen., vi, 2 : ce serait l’origine de la sorcellerie.

Les écrits du Nouveau Testament sont explicites sur la situation des magiciens chez les païens, Act., vin, 9 ; xiii, 6 ; sur l’usage des grimoires en certains milieux, Act., xix, 19 ; sur le danger des pratiques magiques même chez les chrétiens, Gal., v, 20 ; Apoc, xxi, 8. Est-il bien sur qu’ils ne laissent pas entendre la connivence du démon en ces maléfices ? Les titres imposants donnés à Simon le Magicien sont sans doute laissés au compte des témoins ; mais le

mage Élymas est appelé « fils du diable » par l’Apôtre. Quant aux prophètes des derniers jours et à l’Antéchrist annoncés par Notrc-Seigncur, Matth., xxiv, 24, et par saint Paul, II Thess., ii, 9, leur rôle dépasse singulièrement l’horizon surbaissé de la sorcellerie. Notons toutefois qu'à propos de leurs « prodiges mensongers, qui en séduiront un grand nombre », les Pères de l'Église ont fait cette remarque générale qu’une intervention du démon peut fort bien être mêlée de supercherie, et que, par contre, les prestiges les plus truqués n’excluent pas la part du diable : « Les hommes superstitieux sont livrés aux anges prévaricateurs, moqueurs et trompeurs, pour être moqués et trompés. » S. Augustin, De doctrina christiana, t. II, c. xxiii, n. 5, P. L., t. xxxiv, col. 52. De l’ensemble de ces notations, assurément trop brèves, de l'Écriture Sainte, le même docteur conclut cependant : « Si nous voulons nier ces prodiges, nous nous mettons en contradiction avec la vérité des saintes Lettres. » De civ. Dei, t. XXI, c. vi, P. L., t. xlv, col. 716.

2. La tradition de tous les peuples anciens, comme nous le verrons plus loin, était unanime à admettre la réalité des maléfices opérés par leurs magi ou mathematici, qui n'étaient souvent que de pauvres sorciers. Cette unanimité ne signifie pas grand chose par ellemême ; et les descriptions qui l’appuient ne nous permettent pas de déterminer en quelle mesure les méfaits des sorcières antiques pouvaient bien dépasser le vulgaire charlatanisme. On a voulu expliquer par cette crainte universelle les condamnations de la Bible contre les sortilèges : c’est une explication insuffisante ; mais on peut admettre que bien des docteurs de l'Église en ont été impressionnés. D’autant que la philosophie néopythagoricienne avait depuis longtemps admis l’efficacité de la magie, Origène, Contra Celsum, t. I, 68, P. G., t. xi, col. 788, et que les néoplatoniciens donnèrent un regain d’assurance aux mathematici, en reportant sur les dœmones les actions vicieuses que l’antiquité attribuait à ses dieux. « Un des plus grands maux que commettent les démons malfaisants, c’est qu'étant les auteurs de toutes les calamités qui désolent le monde, … ils en rejettent l’odieux sur ceux dont les œuvres sont le contraire des leurs. C’est par l’entremise de ces mauvais démons que s’accomplissent les sortilèges. Les hommes qui nuisent à leurs semblables par des enchantements rendent de grands honneurs aux mauvais démons et surtout à leur chef. » Ces assertions de Porphyre étayèrent pour de longs siècles l’emprise de Satan sur la magie populaire, cf. Éliphas Lévy, Histoire de la magie.

3. La croyance populaire en la puissance de la magie païenne a été partagée ou admise provisoirement par la plupart des apologistes des trois premiers siècles. Par là s’explique la peine qu’ils se donnent pour démontrer la transcendance des miracles du Christ, sur « les prodiges de l’art que nous appelons magique ». Justin, Apol., i, 30, P. G., t. vi, col. 373. Les uns et les autres sont vrais, dit Justin ; ces derniers sont en partie truqués, observe Tatien, Adv. Grœc., c. xviixviii, mais parce qu’ils viennent des démons. Cette idée était générale parmi les fidèles du temps d’Eusèbe, Vit. Constant., t. III, c. lvii, P. G., t. xx, col. 1 124.

Les enseignements des philosophes sur les démons ont été adoptés, ou plutôt adaptés par Origène et les docteurs africains. Origène attribue les prodiges des « égyptiens », aux « démons qui se font collaborateurs des magiciens… C’est par leur puissance que les arbres et la vigne sont frappés de stérilité ». Cont. Cels., t. I, 68, P. G., t. xi, col. 788. Les écrivains de l’Afrique chrétienne sont portés à admettre sans plus de critique les faits en question et à les attribuer au diable : ils croient aux sortilèges. « Le corps et l'âme de l’homme peuvent être atteints et viciés par la sinistre