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SORCELLERIE. POSSIBILITÉ


1. Pour les maléfices venant des forces naturelles, saint Thomas se préoccupe de limiter l'élasticité Indéfinie que les sorciers prêtent aux choses de la nature et aux influences célestes. Si leurs agissements se révêlent trop souvent étonnants, c’est que - les corps naturels ont certaines vertus occultes dont la raison nous échappe : pourquoi ne serait-il pas permis de les utiliser ? ». II'-II », q. xevi, a. 2, ad l l, m. Sans doute, dit saint Thomas ; mais on ne doit pas attendre des réactions tout à fait disparates, car « celles-ci se produisent toujours de la même manière, en vertu du déterminisme qui les régit », loc. cit., q. xcv, a. 5, corp., selon la forme substantielle, qui donne à chacun des êtres ses activités spécifiques, depuis le monde minéral et végétal aux réactions uniformes, jusqu'à la sphère des activités plus souples des animaux, puis des êtres libres ; cf. De operationibus occultis naturæ. dans Opuscul., édit. Mandonnet, t. i, op. 1. Cette réponse vaut mieux que la science du temps et condamne les tentatives absurdes de l’alchimie du Moyen Age. Pour les ligatures et autres maléfices à propos du mariage, cf. In IY um Sent., dist. XXXIV, q. iv, a. 3. Quant aux corps célestes, auxquels la philosophie d’Aristote accordait une plus grande liberté de jeu et que les magiciens prétendaient appeler à l’aide de leurs pharmacopées, saint Thomas reconnaît leur influence sur la génération et l’activité des formes spécifiques naturelles, et admet pour autant que la magie peut provoquer une intensification des vertus des plantes, en les cueillant à tel moment, quibusdam etiam observatis molibus siderum, comme l’avait enseigné Porphyre ; mais il refuse aux astres toute action magique sur la liberté de l’homme et sur les objets fabriqués, comme les dessins et les effigies, dont la puissance nocive ne peut venir que des mauvais esprits, IIMI", q. xevi, a. 2, ad 2um, condamnant ainsi les « images astronomiques ».

2. Le maléfice par suggestion avait un nom au Moyen Age : « le mauvais œil ». Saint Thomas, se basant sur l'Évangile, Marc, vii, 21, et une imposante tradition chrétienne, admet l’influx de l’oculus fascinons, I 1, q. cxvii, a. 3 ; q. ex, a. 2 et 3 ; IIa-IIæ, q. xevi, a. 3, ad l um ; Contra Gent., t. III, c. cm ; De potentia, q. vi, a. 3, ad 7um ; De malo, q. xvi, a. 9, ad 13um ; In Galat., c. iii, 1 : « L’imagination, quand elle est forte, agit spécialement sur les yeux qui peuvent alors réagir à une certaine distance. Si l'âme est agitée d’une véhémente malice, comme il arrive souvent chez les vieilles femmes, leur regard sera nuisible surtout pour les jeunes enfants très sujets aux impressions de l’extérieur. » La théorie thomiste du mauvais œil ne nous intéresse pas en elLc-même ; mais bien la position générale du grand docteur, qui n’admet pas d’influence directe de l’esprit sur la matière corporelle, sans intermédiaire physiologique. Elle pourrait être confrontée avec les théories modernes sur les médiums, la télépathie, etc. ; et le système ainsi charpenté permettrait de remettre à leur place tant de tentatives d’ensorcellement anciennes et modernes. Envers les « charmeurs de serpents », saint Thomas est plutôt sceptique. HMI*, q. xevi, a. 4, ad 2 aaL.

3. Dans le sortilège vrai ou simulé, qui s’accompagne de vaines observances, il faut faire le départ entre ce qui est vraiment efficace pour le bien ou pour le mal, pour une guérison ou un maléfice, et ce qui est simplement inutile ; « mais y joindre des inscriptions, des formules ou toute autre variété de pratiques, manifestement dénuées de toute efficacité naturelle, c’est donner dans une superstition défendue ». II'-II 1 ", q. xevi, a. 2, ad 1 UID. Comme le domaine de la supercherie est immense, il est bien probable que toutes ces vaines observances ne sont pas également cou pables ; « à côté des formules qui énoncent d'évidentes erreurs, il y en a d’autres qui sont simplement incompréhensibles, ignola nomina, dont il faut se défier ; à côté de vains symboles ou de signes mystérieux, ou de précautions futiles, il peut se glisser de véritables invocations au diable. » Loc. cit., a. 4.

4. Enfin, puisque, aux yeux de saint Thomas comme de saint Augustin, il y a toute une frange des phénomènes magiques qui fait soupçonner l’intervention du démon, non seulement à l’origine de cette superstition, mais dans les agissements quotidiens des sorciers, il faut résoudre les deux questions du pouvoir des sorciers sur le démon, et du pouvoir du démon sur la nature.

a) Voici la première réserve : Homini non est potestas super dœmones commissa, ut eis licite uti possit ad quodeumque volueril, II 1 - II », q. xevi, a. 2, ad 3um. Entendons que, si les thaumaturges et les exorcistes peuvent recevoir sur eux un pouvoir passager, de la part du Christ et de l'Église, cf. q. xc, a. 2, « les démons ne sont point proprement soumis aux sortilèges, leur action n’est point liée nécessairement aux signes magiques. S’ils y obéissent, c’est très volontairement. » Cf. S. Thomas, De potentia, q. vi, a. 10.

b) Mais la puissance même du démon est assez limitée, si bien que, dans ses réponses aux sorciers, il en est réduit à user de supercherie et de suggestion, tout comme ceux-ci le font envers leurs clients. Saint Augustin, De Triniiate, t. III, c. viii et ix, avait été trop catégorique sur ce point ; saint Thomas, tout en s’objectant son opinion : dœmones etiam multipliciter possunt corpora transmulare, ut dicit Augustinus, Sum. theol., ibid., se sent tenu de la conformer aux exigences d’une vraie philosophie. Les démons ne peuvent ni opérer directement un changement de substance, I a, q. cxvi, a. 4 ; De potentia, q. vi, a. 5, corp. et ad 8 ura, ni probablement procurer une guérison subite : « En tous cas, que l’on sache bien que, même si les démons rendaient tout à coup une santé parfaite, ce ne serait pas un miracle, car ils le feraient par le moyen d’une force naturelle ; mais le feraient-ils ? » De malo, q.xvi, a. 9. Ils ne peuvent donc certainement « ni ressusciter un homme, ni le changer en bête » (comme on le racontait dans les histoires de sabbat et de loups-garous), I », q. lxv, a. 4 ; q. ex, a. 2 : ce sont tout au plus des prestiges diaboliques. Ainsi le théologien ne retient que trois classes d’interventions des démons : 1. des prodiges objectifs opérés par ceux-ci en se servant des lois générales de la nature, qu’ils connaissent mieux que les hommes ; 2. des prestiges tout subjectifs sous forme d’hallucination diabolique, I a, q. exi, a. 3, ad 4um ; I » -II B, q. lxxx, a. 2 ; De malo, q. iii, a. 3, ad 9um ; q. xvi, a. 11 ; 3. des excitations purement sensorielles, comme des voix ou des fantômes, ou même des apparitions du diable, De potentia, q. vi, a. 7, ad 4um ; a. 8, ad 5um, 6um, 7um ; q. vii, a. 8 ; I a, q. li, a. 3, ad 6°, n. Saint Thomas mettait toutes ces conclusions sous le manteau de la seule philosophie, cf. Cont. Gentes, t. III, c. cni-cvi ; mais il en a plus dit, sans doute, qu’il n’en savait de bonne source. En définitive, « ses textes intéressants montrent bien son souci de fixer les limites de l’influence des démons », I. Mennessier, Somme théol. La Religion, t. ii, p. 457.

Les savants modernes.

Parmi les savants

modernes, la plupart se désintéressent des procédés de la sorcellerie ; beaucoup restent sceptiques après avoir tenté vainement de les soumettre à l’expérience régoureuse. Mais ceux qui ont étudié l’hypnotisme et l’occultisme en général, verraient volontiers dans la sorcellerie un humble succédané de ces forces mystérieuses. Ils reconnaissent qu’il y a en elle une bonne part d'éléments déjà catalogués ; mais les plus sagaces avouent qu’il y reste bien des points obscurs, et les