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SOPHRONE

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Enfin Sophrone, de concert avec Jean Moschus, tvait rétlpé un éloge de saint Jean l’Aumônier, patriarche d’Alexandrie (+ en 619), que les deux amis avaient bien connu. Cet éloge est perdu à l’exception d’un fragment conservé dans la vie de saint Jean l’Aumônier par Syméon Métaphraste, P. G., t. exiv, col. 895-966.

2° Les poèmes laissés par Sophrone sont pour la plupart composés selon les règles de la technique ancienne. On sait que, depuis le V siècle, la métrique traditionnelle fondée sur la différence des longues et des brèves avait cédé la place à la rythmique basée sur le nombre des syllabes, cela tout au moins dans la poésie religieuse et populaire, car, dans les milieux instruits et spécialement dans les écoles de rhéteurs, on continuait à observer les règles de la vieille prosodie.

On doit à Sophrone un recueil d’Anacreontica, P. G., t. lxxxvii c. col. 3733-3838, c’est-à-dire d’odes écrites dans le mètre anacréontique, comme celles qui ont pour auteur Maxime le Confesseur. Le manuscrit d’après lequel Mai et son collaborateur P. Matranga ont préparé l'édition de ces poèmes contenait vingttrois odes, dont les numéros 14-16 manquent plus ou moins complètement. La plupart de ces pièces sont consacrées à honorer des fêtes de l'Église ; elles ne sont d’ailleurs pas faites pour l’usage liturgique, mais destinées à un cercle de lecteurs instruits. Leur valeur poétique a été diversement appréciée : somme toute, ces odes sont moins l’expression des sentiments du poète que des méditations doctrinales mises en vers.

On possède également, sous le nom de Sophrone, des pièces rythmiques destinées à l’usage liturgique. Celles que Mal a éditées sous le titre de Triodium, P. G., ibid., col. 3839-3982, sont en réalité l'œuvre de Joseph l’Hymnographe, qui vivait au ixe siècle. Quelques ;.8'.ô ; j.sXa, chants rythmiques avec une mélodie propre, pourraient cependant être l'œuvre du moine de Jérusalem ; cf. Christ et Paranikas, Anlhologia græca carminum christianorum, Leipzig, 1871, p. 96 sq.

3° Aux années du patriarchat de Sophrone (634638), appartiennent quelques homélies. Dans l'édition de Migne, P. G., ibid., col. 3201-3364, figurent neuf de ces homélies, dont quelques-unes en traduction latine, seulement, et dont la dernière, un panégyrique de saint Jean l'Évangéliste, n’est représentée que par deux courts fragments. Presque toutes ces homélies sont destinées à des fêtes de l’année liturgique, elles valent autant pour leur richesse doctrinale que pour leurs caractères oratoires. Le texte grec de deux des homélies publiées en latin par la P. G. a été retrouvé et édité par l’sener : celui de l’homélie sur la nativité du Christ, P. G., ibid., col. 3201-3212, dans le Rhein. Muséum I. Philol., nouv. série, t. xli, 1886, p. 500-516 ; celui de l’homélie De hypapante sive occursu Domini, P. G., col. 3287-3302, dans un programme de l’université de Bonn, août 1889. De ces deux homélies, la première présente un réel intérêt historique car elle a été prononcée le 25 décembre 634, lorsque les Arabes occupaient les environs de Jérusalem et tenaient Bethléem, si bien qu’il était cette année là impossible aux chrétiens de fêter Noël aux lieux mêmes de la naissance du Sauveur, comme ils en avaient l’habitude.

L’sener a de plus montré qu’un discours sur le martyr perse Anastase, conservé à tort sous le nom du poète Georges de Pisidie, P. G., t. xcii, col. 1679-1730, appartient à Sophrone. Celui-ci s’est inspiré des actes du martyr mis a mort le 22 janvier 628 à Césarée de Palestine ; ces actes eux-mêmes ont été rédigés presque immédiatement après par un moine du couvent d’Anastase, près de Jérusalem.

III. Signification doctrinale.

Dans l’histoire doctrinale, Sophrone tient surtout une place à cause

de son opposition au monothélisme. La lettre synodale qu’il envoya, après son intronisation, au pape Honorius et aux autres patriarches de l’Orient a une importance considérable. Cf. ci-dessus, art. IIonorius, t. vii, col. 105.

Cette lettre commence par rappeler la doctrine de l’unité de personne dans le Christ. S’il n’y a, dans le Seigneur, qu’une seule personne, il y a cependant deux natures ; il y a par suite deux opérations : « Comme dans le Christ chaque nature conserve sans diminution sa propriété, ainsi chaque forme opère en communion avec l’autre ce qu’elle a de propre. » Mansi, Concil., t. xi, col. 480. Puisque l'être des natures est distinct, distinctes aussi sont les opérations, et nous nous gardons d’admettre que ces natures n’ont qu’une unique opération essentielle et physique, si nous ne voulons pas être amenés à les fondre en une seule nature. Ibid., col. 48I. Il est vrai que Denys l’Aréopagite parle d’une opération « théandrique » ; mais il ne la donne pas comme l’unique opération en Jésus-Christ ; à ses yeux, il s’agit là d’une opération nouvelle, qui s’ajoute aux deux autres et qui comprend les actions où la divinité et l’humanité s’exercent à la fois. Ibid., col. 488.

Toutefois, s’il y a en Jésus-Christ deux opérations, il n’y a qu’un seul opérant : « Toute parole et toute opération, qu’elle soit divine et céleste, ou humaine et terrestre, nous professons qu’elle vient d’un seul et même Christ et Fils et de son unique hypostase synthétique. C'était le Verbe de Dieu incarné qui produisait naturellement de lui chaque opération, sans division et sans confusion, suivant ses natures : suivant la nature divine, en laquelle il était consubstantiel au Père, l’opération divine et inexplicable ; et suivant la nature humaine, en laquelle il restait consubstantiel à nous, hommes, l’opération humaine et terrestre ; chaque opération convenable et correspondant à chaque nature. » Ibid., col. 484.

Il est très remarquable que Sophrone s’attache surtout à mettre en relief la dualité des opérations dans le Christ et qu’il ne dise rien des deux volontés. C'était là pourtant le point délicat de la controverse, et les discussions que le patriarche de Jérusalem avait eues naguère avec Sergius de Constantinople avaient été de nature à l'éclairer sur ce point. De son silence, on a conclu parfois que Sophrone admettait, au-dessus des deux opérations, une volonté hypostatique unique. Cette conclusion est illégitime. En fait, au moment où fut rédigée la lettre synodale, la controverse n’avait pas encore atteint son plein développement et le problème des opérations pouvait encore sembler au premier plan. D’autre part, Sophrone observait que JésusChrist n’avait pas subi involontairement et nécessairement (iy.vjaioiç xxl àvayxaoTcôç) les mouvements et les passions de la nature humaine, mais qu’il les avait subis naturellement et humainement (Lpuaixwç x.y.i àvOpwrîvwi ;), col. 484. Ce n’est pas là dire que l’activité et la volonté humaines sont régies et mues par la seule volonté divine. Peut-être quelques précisions n’eussent pas été inutiles. Mais, en une matière aussi complexe, il fallait laisser au temps et aux circonstances le soin d’amener les problèmes à maturité.

La lettre de Sophrone contribua pour une grande part à provoquer les réactions des monothélites. On a vu ailleurs le détail des événements sur lesquels nous n’avons pas à revenir ici. Cf. art. Monothélisme, t. x, col. 2316 sq.

S. Vailhé, Sophrone le sophiste et Sophrone le patriarche, dans Hante de l’Orient chrétien, t. vii, 1902, p. 360-385 ; t viii, 1903, p..'i.">li- : j87 ; K. PopoviC, Sophronius, » nlriarche de Jérusalem, envisagé comme théologien et comme auteur de sermons et de cantiques liturgiques (en russe), dans les Travaux de l’Académie ecclésiastique de Kiev (Trudy),