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    1. SOMMES THÉOLOGIQUES##


SOMMES THÉOLOGIQUES. INTÉRÊT

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par exemple, à deux ou trois reprises et en des contextes différents.

/II. INTÉRÊT et avantages. — De ce qui vient d'être dit sur les deux traits caractéristiques des som » mes, ressort à l'évidence l’intérêt majeur qu’elles présentent pour l’histoire de la pensée théologique. Parce qu’exposes systématiques complets, elles fournissent d’abord la pensée de leur auteur sur tout l’ensemble des problèmes théologiques ; en cela elles sont pour le moins comparables aux commentaires sur les Sentences. Parce que dégagées de la servitude d’un texte, elles sont autrement révélatrices que ceux-ci de la personnalité et de l’originalité d’un auteur ; elles permettent enfin de dégager plus facilement le progrès qu’il marque sur les œuvres voisines. Par là, en comparant entre elles les diverses sommes connues, on peut mieux retracer l'évolution de la pensée et des méthodes théologiques dans une période donnée.

On a dit plus haut comment le nom de somme, dans son acception tout à fait technique, doit être réservé aux exposés complets et systématiques de la théologie. Ce ne sont pas des monographies sur un traité spécial ; non plus que des résumés trop brefs, comme les comprndi’i qu’on a écartés préalablement. Au même titre que dans les Sentences de Pierre Lombard, on peut donc y trouver une vue d’ensemble, suffisamment explicite, sur tout le savoir théologique et la position prise par l’auteur sur les problèmes importants qu’il soulève. L’auteur ne se borne pas à expliquer et légitimer la position d’un prédécesseur ; ni à collectionner les opinions diverses qui purent avoir cours ; il donne sa solution, avec toutes les nuances évidemment qu’elle peut comporter ; ce qu’il croit être la vérité sur tous les problèmes rencontrés dans le champ de la théologie.

En cela nécessairement il se livre. Toutefois, ce ne sont pas seulement les solutions qu’il peut ainsi adopter dans les problèmes successivement abordés par lui, mais c’est tout l’ensemble de son œuvre qui trahit sa personnalité et son originalité.

Une somme est par essence originale. N'étant pas astreint à suivre un plan commandé par un livre de texte, l’auteur doit, dès le début, avoir sa conception d’ensemble, son plan général, sa distribution des matières. Suivant qu’il se borne à copier servilement tel ou tel autre sommiste, ou que, selon un éclectisme plus ou moins éclairé, il emprunte à droite et à gauche les grands traits de son programme, ou qu’il se crée entièrement son plan sur des données nouvelles, on peut déjà juger du caractère plus ou moins personnel de sa pensée et de sa puissance d’assimilation. Là où il est original, créant de toutes pièces ou aménageant de façon neuve des éléments anciens, sa pensée se livre encore dans le sens même qu’il imprime à sa synthèse comme dans le choix qu’il fait de l’idée ou des idées directrices. On le découvre profond métaphysicien ou moraliste, préoccupé de haute spiritualité ou ayant surtout une mentalité de canoniste.

On peut aussi déceler les Influences qu’il a subies. Ce qui tic serait que velléité dans un commentaire sur les Sentences, où parfois l’on sent cette impatience vis-àvis du plan imposé et subi, se manifeste ici sans contrainte, chacun donnant libre cours à ses préférences et à ses idées. Et cette personnalité de l’auteur continue à se manifester dans toute la suite de son œuvre. Tous les détails, si on veut bien les percevoir, y ont un sens : ordonnance des parties et des questions traitées,

nliliiioiis de problèmes nouveaux. Insertion de développements Inaccoutumés, ou transposition et adjonction de ceux-ci à tel endroit moins classique, omissions

et silences souvent très suggestifs, proportions variables accordées à telle partie ou à tel problème : chacune de ces modifications et de ces innovations doit avoir

sa raison. Elle est parfois exprimée et légitimée ; souvent il faut la deviner, en essayant de découvrir les influences internes ou externes qui ont pu jouer en l’occurrence ; et ces recherches à leur tour permettent de mettre encore en meilleure lumière la pensée personnelle et originale de l’auteur.

I.es sommes aident aussi à dégager le sens de son évolution et son progrès, pour peu qu’on établisse la comparaison entre les sommes théologiques et les autres ouvrages de l’auteur, plus particulièrement son Commentaire sur les Sentences. Le cas de saint Thomas reprenant dans sa somme la présentation d’ensemble de l’enseignement théologique qu’il avait donné quelque quinze ou vingt ans plus tôt dans ses Sentences, n’est pas unique ; il est même le cas normal pour tous les sommistes à partir du premier tiers du xiiie siècle, quand la lecture des Sentences eut été imposée comme exercice scolaire à tout bachelier prétendant à la licence. De part et d’autre il y a deux exposés complets d’une même science ; leur comparaison en est d’autant plus instructive. On y voit mieux, parce que dans la somme elle est livrée sans contrainte à ellemême, en quoi consiste l’originalité de l’auteur ; et parce que, dans des cadres différents, ce sont cependant les mêmes problèmes qui reviennent, on peut sans trop de peine percevoir, dans ce jeu continuel de doublets, s’il y a ou non des divergences, sur quoi elles portent, si elles marquent progrès ou régression, abandon complet ou correction, sous quelles influences elles ont été amenées, etc. ; en un mot retracer le développement complet d’une pensée théologique, puisque presque toujours les problèmes se montrent solidaires les uns des autres.

Ce qui est vrai de chaque somme prise en particulier, l’est également de ce genre pris dans son ensemble. Puisqu’il est un genre éminemment spontané et libre, qu’il n’est en rien faussé ni même simplement gêné par un cadre rigide qui limiterait son essor, il traduit au mieux et les connaissances théologiques qu’il expose comme il l’entend, et les tendances mêmes de ces études toujours en voie de progrès, de mise au point dans leur fond comme dans leur forme.

C’est donc l'évolution de la méthode théologique tout d’abord qu’on peut y suivre : la part croissante par exemple accordée soit à la réflexion doctrinale, soit à la discussion dialectique ; la place précise que l’on réserve aux autorités des Pères ou des magistri. Cf. M.D. Chenu, Authentica et magistralia. Deux lieux théologiques aux xiie -xtiie siècles, dans Diuus Thomas de Plaisance, t. xxviii, 1925, p. 257-285. Souvent d’ailleurs, dans les sommes comme dans les commentaires, un exposé de principes énonce authentiquement la pensée des auteurs sur ces problèmes de la science théologique elle-même et de la conception qu’il faut s’en faire. Et la première question de la Somme théologique de saint Thomas en est un exemple parfait, avec ses dix articles qui traitent de sa nécessité, de sa nature, de son caractère, de son objet et de sa méthode.

On y suivra aussi l'évolution de la discipline théologique elle-même (lui, prenant davantage conscience de ses ressources et de ses méthodes, les applique à des t lié mes ou plus neufs ou plus délicats ou plus éloignés du donné révélé. Le choix même des sujets traités, et non plus seulement la façon dont on les traite, devient extrêmement symptomatique : les préoccupations de pure spéculation l’emporteront sur les applications d’ordre canonique ou moral auxquelles jadis on se complaisait surtout. Les systèmes s'élaborent, avec tout ce qu’ils comportent d’option philosophique préalable. A leur tour ils se forment en véritables écoles. Et c’est tout cela que trahissent les sommes quand on institue entre elles une comparaison serrée.

Elles disent également sur un point donné et une