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SOMMES THÉOLOGIQUES. CARACTÉRISTIQUES


pensée. Car l’affirmation n’est exacte que si par sentences on entend « les commentaires sur les quatre livres des Sentences de Pierre Lombard » ; elle ne le serait déjà plus si on prétendait opposer les recueils de sentences aux sommes théologiques. Ceux-là, à la vérité, y compris les Sentences du Lombard, sont les premiers essais de celles-ci et l’amorce du genre. Les grandes sommes théologiques, comme celle de saint Thomas, sont en effet l'épanouissement et l’aboutissant d’un genre qui s’est cherché assez longtemps, qui a eu ses tâtonnements de début, mais qui, même alors, marquait un progrès sensible sur les recueils précédents. Ceci est si vrai qu’en 1275 encore, dans le catalogue officiel des libraires de l’Université, l’ouvrage du Lombard est désigné par le terme de Summa magistri Lumbardi et que fréquemment, couramment, dans les manuscrits, soit à propos de Pierre Lombard, soit à propos d’un autre, on trouve accolés en un titre unique les deux mots de Summa Sententiarum.

Le processus de ce développement est bien connu et a été exposé à plusieurs reprises. Son point de départ est dans le florilège patristique. Au début, en effet, la sententia n’est autre chose que l’expression d’une pensée, la formule d’une opinion que l’on va cueillant, telle une jolie fleur, à travers les écrits des Pères. Les premières collections, Deflorationes, Libri sententiarum, ne sont que des recueils d’extraits de Pères de l'Église ou d'écrivains anciens, établis sans qu’il y ait entre eux un ordre réel : morceaux choisis réalisés au cours des lectures. Les meilleurs exemples en sont le Liber sententiarum e.v operibus S. Augustini delibatarum de Prosper d’Aquitaine (ve siècle) ou le Liber pancrisis qui, aux sentences des Pères, joint des extraits de maîtres contemporains : Guillaume de Chàlons, Yves de Châlons, Anselme de Laon et son frère Raoul (ms. de Troves, 425 A).

Lue première mise en ordre, sans apporter encore de commentaires, groupera ces sentences selon l’ordre des Écritures : tel sera, vers l’an 600, le travail de Paterius : Liber de expositinne V. et N. T. de diversis libris sancti Gregorii concinnatus ; telles seront aussi les chaînes et les gloses.

Un nouveau progrès sera réalisé en vue de l’enseignement quand ces recueils d’extraits, de sentences se verront groupés par chefs doctrinaux. Isidore de Séville dans ses Sententiarum libri très en fournira le premier exemple important. Beaucoup d’autres suivront, où la part personnelle du compilateur se fait jour dans la conception générale du plan, .dans le choix des textes et dans la manière de traiter et grouper ceux-ci. Ce travail constructif est de plus en plus poussé à travers des ouvrages tels que les Sententia magistri A., que l’on attribue à Alger de Liège, celles que l’on attribue à Anselme de Laon, celles du maître Guamerius que contiennent les mss de Troyes, 1317 eA Milan, bibl. Ambros., V. 43. sup.

Il n’aboutira vraiment qu'à partir du moment où le compilateur, à ces autorités et : i ces sentences qu’il a recueillies et ordonnées, ajoutera ses raisonnements personnels, où il résoudra des contradictions apparentes et répondra aux difficultés. La collection deviendra systématisation, élaboration du donné révélé, œuvre personnelle. Qu’elle garde alors — et elle le fera pendant quelque temps encore le titre de Liber sententiarum, qu’elle prenne celui de somme, ou qu’elle s’intitule autrement encore, elle présente dès lors tous les traits des sommes théologiques. Elle n’a plus qu'à se perfectionner, en développant surtout cet élément personnel, pour arriver aux réussites du xiir siècle.

Dans l’effloraison des œuvres de ce genre à laquelle assiste le xir siècle, le travail du Lombard émerge cl s’impose. Il n’est pourtant qu’une somme entre beaucoup d’autres. Sans vouloir entrer dans des détails

qui mèneraient trop loin, il faut au moins mentionner pour cette période : V 1 nlroductio ad theotogiam d’Abélard (en 1 125), présentée par lui comme une véritable somme ; le De sacramentis christiana ? fidei d’Hugues de SaintVictor (vers 1130), qui se donne aussi comme telle ; la fameuse Summa sententiarum, probablement antérieure elle aussi à Pierre Lombard, mais dont l’auteur n’est pas encore déterminé avec certitude ; les Sentences de Roland Bandinelli : celles de maître Omnebene ; les Sententia Florianenses ; les Sententiw Parisienses, éditées par A. Landgraf, qui comme les deux précédentes se rattachent à l'école d’Abélard ; les Sententiw divinitatis. éd. Geyer, dans les Beitriige de Bâumker, t. vii, fasc. 2 et 3 ; les Sentences de Robert de Melun (vers 1152-110(1) ; celles de Gandulphe de Bologne ; autant de productions littéraires qui poursuivent un but commun, qui sont marquées plus ou moins profondément de la personnalité de leur auteur et qui constituent, les unes comme les autres, de véritables sommes du savoir théologique.

Les Libri guattuor Sententiarum de Pierre Lombard l’ont emporté sur toutes les autres. Après des oppositions assez vives dont l’histoire a été racontée ici même, t. XII, col. 2003-2011. ils sont devenus, pour de longs siècles, le véritable manuel officiellement reconnu et même imposé, dont la « lecture » fournit au bachelier en théologie comme aux étudiants qui l'écoutenl la meilleure initiation à la science théologique. C’est donc dans le prolongement de l'œuvre du Lombard que naissent les commentaires sur les Sentences ; c’est dans le cadre fourni par elle, et dans le sens indiqué par le Maître, qu’ils vont se développer. Littérature abondante, mais très précise, comme portée et comme valeur, qui se greffe toute sur cette somme unique.

Lntre ces commentaires et les autres sommes qui vont continuer leur évolution indépendamment d’eux, il devient loisible alors de souligner les différences qui s’accusent toujours davantage. Ht si l’on réduit les données du problème à ces deux éléments, il est parfaitement légitime et exact de présenter les sommes théologiques comme un genre entièrement distinct de l’autre.

II. les caractéristiques.

Deux traits les diversifient : à la différence des sententialres, les som mes ne sont pas un exercice scolaire ; elles ne sont pas non plus liées au texte du Lombard : deux différences capitales.

1° Indépendance des règlements scolaires. - Le commentaire est essentiellement exercice scolaire. Il est réglementé par les statuts universitaires. Il doit emprunter au genre leclio tous ses traits. Malgré la liberté relative qui demeure à l’intérieur de la leçon, il subit d’abord quantité de contraintes : la distribution des quatre livres au cours de deux années ; la division de chaque livre en autant de leçons qu’il y aura de jours legibiles ; dans chaque leçon, la nécessité de diviser le texte, de l’exposer, d’en expliquer les points difficiles. En tout cela il faut s’astreindre au plan du Lombard et suivre les distinctions dans l’ordre qu’il leur a assigné. Les coutumes et traditions viennent s’y ajouter pour préciser les procèdes d’enseignement.

Rien de tel dans les sommes. Elles ne sont en aucune façon exercice d'école ; ni imposées, ni même connues parles statuts. Elles echappentdone.de ce fait, à toute réglementation et, de certaine façon, à tout contrôle. Elles ne sont pas nécessairement œuvres de maîtres régents, ni même de bacheliers formés ; un Raymond Lulle, un Arnauld de Villeneuve pourraient, s’ils le voulaient, en composer et en éditer. Même quand elles proviennent du bachelier ou du maître, elles n’ont pas été professées. Elles n’ont pas fait l’objet d’enseignement ; si bien qu’elles sont indépendantes de la distribution « les cours ou des vacances, des centres uni-