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SOCIALISME. CRITIQUE

naire : celui-ci diffère à bien des égards du socialisme ; toutefois, il a le même point de départ et aboutit généralement aux mêmes conclusions. Si bien qu’il représente un des plus récents avatars du socialisme. A mesure en effet que les autres formes de socialisme se transformaient en partis politiques, condamnés par la force dos choses à remplir un programme pratique et réaliste, le syndicalisme révolutionnaire en recueillait l’héritage essentiel, l’âme de violence, la volonté de lutte sans compromission bourgeoise ; et il reprenait à son compte les revendications révolutionnaires que les socialismes réformistes reléguaient dans un avenir indéterminé et finissaient par perdre de vue.

Aussi bien, l’évolution des idées philosophiques appelait-elle cette transformation. Lié au rationalisme évolutionniste, le marxisme voyait son idéologie scientifique battue en brèche par une philosophie nouvelle anti-intellectualiste, méfiante à l’égard des concepts artificiels et figés, préoccupée de rejoindre, dans le mouvement même de la vie, les données simples et immédiates de la réalité. Cette philosophie nouvelle, dont M. Bergson est le plus illustre représentant, a inspiré les premiers théoriciens du syndicalisme révolutionnaire, G. Sorel, H. Lagardelle, E. Berth. les vastes constructions intellectuelles, celle de Marx en particulier, avec son cortège catastrophique de lutte, de prolétarisation progressive, de société sans classe, ne sont plus considérées en elles-mêmes que comme des utopies Mais on ne leur reconnaît pas moins, pour l’action révolutionnaire, une valeur incomparable, au titre de mythes. « La grève générale et la révolution marxiste sont des mythes… Il ne faut pas chercher à analyser de tels systèmes d’images… Il faut les prendre en bloc comme des forces historiques… Un mythe ne saurait être réfuté… l’utopie au contraire peut se discuter comme toute constitution sociale. Pendant longtemps le socialisme n’a guère été qu’une utopie, il est devenu une préparation des masses employées dans la grande industrie qui veulent supprimer l’État et la propriété ; désormais on ne cherchera plus comment les hommes s’arrangeront pour jouir du bonheur futur : tout se réduit à l’apprentissage révolutionnaire du prolétariat, G. Sorel. Préface aux Réflexions sur la violence, 1907.

Les caractéristiques du syndicalisme révolutionnaire sont les suivantes : il est anti-démocratique et anti-parlementaire, puisque la démocratie et le parlement expriment maintenant l’ordre capitaliste et étatiste ; il a le culte des élites, qui seules ont assez d’énergie et d’abnégation pour soutenir la lutte contre la société ; il considère de haut et met au second plan les intérêts économiques et professionnels ; il cultive la grève prolétarienne, non en vue d’avantages matériels, mais pour développer peu à peu dans les masses la ferveur révolutionnaire ; il est indifférent au contenu de ses revendications et change de programme suivant les circonstances ; il méprise la science et n’a aucune exigence logique touchant le vrai ou le faux au sens traditionnel. Beaucoup de socialistes, déçus par l’embourgeoisement de leur parti, se laissèrent séduire par le dynamisme du syndicalisme révolutionnaire, par exemple le citoyen Mussolini, chargé en 1912 de l’Avanti, le principal quotidien socialiste de la péninsule ; on sait que le fascisme, en dépit de son accession au pouvoir, entretient précieusement dans l’élite de ses militants l’inspiration révolutionnaire. Le Duce ne cache pas son admiration pour G. Sorel et n’a jamais cessé d’être en relations étroites avec H. Lagardelle. Le bolchevisme et le national-socialisme, avec d’autres mythes et une affabulation différente, s’apparentent eux aussi au syndicalisme révolutionnaire.

Par la s’achève aujourd’hui, semble-t-il, l’évolution historique du socialisme. Celui-ci, tel du moins que nous l’avons défini, appartient à un monde définitivement révolu, à un monde essentiellement individualiste où certaines valeurs humaines, la vie, la science, le bien être matériel, la culture morale et spirituelle, la liberté de pensée, la liberté de la presse, la liberté du travail, gardaient une certaine primauté, en dépit de réelles déviations. Le socialisme, alors même qu’il les discutait et les compromettait, ne se soutenait que par elles. Partout où il a pu conduire à terme sa critique révolutionnaire, il se voit dépassé ; dans le monde nouveau qu’il a tant contribué à instaurer, il n’y a plus de place pour lui. Les pouvoirs nouveaux qui se sont élevés sur les ruines de l’État libéral ne se font pas faute d’exécuter largement les principaux articles des programmes socialistes ; mais ils ne toléreraient plus ces mouvements d’opinion, ces agitations réformistes, cette fermentation d’idées ingénieuses ou utopiques qui situent dans l’histoire le phénomène socialiste.

IV. Critique du socialisme.I. CRITIQUE DE L’IDÉAL SOCIALISTE. — On ne saurait se borner à critiquer de haut l’esprit du socialisme, cette rerum novarum cupido dénoncée par Léon XIII. Assurément, on toucherait la racine réelle du socialisme, mais une racine lointaine qui peut nourrir et qui nourrit effectivement beaucoup d’autres erreurs ; la critique serait donc trop générale. Même si les hommes sont conduits à l’erreur par la tyrannie de la cupidité et des autres concupiscences, en évoquant celles-ci on a en partie expliqué la genèse de leurs erreurs, mais on ne les a pas encore définies ni par conséquent réfutées.

Il est vrai que nous avons pu préciser cet esprit animateur du socialisme, en étudiant ci-dessus les sources idéologiques du socialisme. Chaque époque a sa manière d’entendre et de dire le même non serviam. Le socialisme baigne dans une atmosphère historiquement caractérisée et datée par le rationalisme, par l’esprit de système, par le sensualisme utilitaire et par une naïve ferveur à l’égard de la science ; cet ensemble de conceptions ou plutôt ce vague complexe idéologique, qu’il tient de son époque, détermine et qualifie les fins qu’il poursuit. Mais ces idéaux ne lui sont pas propres. En face de lui se dressent des systèmes antagonistes qui, au nom des mêmes idéaux, au nom de la raison indépendante, au nom du progrès, de la science et de la liberté, en vue du bien-être individuel et social et pour la meilleure organisation de la société, aboutissent à des conclusions contraires aux siennes. La critique de ces faux principes, si elle vaut pleinement contre le socialisme, ne vaut pas moins contre ses concurrents animés du même esprit et, par d’autres moyens, serviteurs des mêmes fins. Ce n’est donc pas à l’occasion du socialisme qu’une telle critique doit être spécialement instituée ; on se reportera pour la trouver aux articles consacrés dans ce Dictionnaire au rationalisme, au libéralisme, au matérialisme, aux multiples aspects modernes que prend la « philosophie nouvelle », en lutte contre la religion chrétienne.

II. CRITIQUE DES CONCLUSIONS. — D’autre part, si nous laissons de côté l’idéologie nourricière du socialisme pour n’en retenir que les thèses ou conclusions explicites, nous nous heurtons à deux sortes de difficultés. Tout d’abord, nous constatons que les exposés de doctrine socialiste revêtent une ampleur encyclopédique : chacun d’eux prétend fournir une vue de l’univers, depuis l’origine jusqu’à la consommation des temps, ou au moins une vue complète de l’univers social et moral, avec une conception de Dieu, de l’homme, du bonheur, du bien et du mal, de la liberté, etc. Si l’on voulait discuter les thèses explicites que les socialistes ont soutenues, il faudrait entreprendre un traité complet de philosophie et de théologie. Le socialisme est en effet le recueil moderne de toutes les erreurs sur Dieu, sur la religion, sur la spiritualité et