Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.2.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2315
2316
SOCIALISME. LE SYNDICALISME RÉVOLUTIONNAIRE

capitaliste ne pouvait dès lors empocher une rente obtenue par le travail d’autrui.

A partir du xvie siècle, K. Marx décrit avec beaucoup de force et de couleur toutes les causes qui accumulèrent entre quelques mains un capital considérable, en ôtant aux petits artisans la propriété de leurs outils, ateliers, instruments de production. En dernier lieu, la révolution bourgeoise, sous prétexte de libérer le travailleur, a rompu tous ses liens avec ses instruments de production, avec sa petite propriété, avec son régime corporatif ; le travailleur isolé, ne pouvant plus produire ni vendre ses produits, s’est trouvé réduit à l’état de « force de travail disponible » ; cette prétendue liberté du travail n’est pas autre chose que la liberté pour le travailleur de se vendre lui-même au capitaliste, faute de pouvoir vendre directement ses produits au public. Ainsi la bourgeoisie capitaliste a tué le travailleur propriétaire de ses instruments de production et a créé le prolétaire. Sans doute, l’œuvre homicide n’est pas entièrement accomplie : en face du capital et du prolétariat, il subsiste une marge de production assurée par des travailleurs propriétaires de leurs instruments, à qui par conséquent le capital ne peut demander de plus-value. Mais le tragique de la situation réside dans une loi interne du régime capitaliste qui tend à prolétariser de proche en proche ces marges encore libres et à concentrer le capital en quelques mains de moins en moins nombreuses et de plus en plus puissantes. La loi de concentration marque le point d’insertion de l’idée dialectique dans l’analyse marxiste du régime économique. Comme la thèse hégélienne engendre sa propre contradiction, le capitalisme porte en soi « son fossoyeur », il est animé d’un principe d’auto-destruction. En effet, le développement du capitalisme suppose la concentration de plus en plus poussée des entreprises, ce qui a pour conséquence de rejeter au prolétariat une multitude de travailleurs qui, jusque-là, avaient été propriétaires de leurs instruments de production. Peu à peu, dans les rangs mêmes des capitalistes, une sélection s’opère au nom de la fatale loi de concentration : les petits capitalistes sont dévorés par les gros, les capitalistes moyens sont expropriés au profit des milliardaires. Il arrivera un jour où le processus sera achevé : tout travailleur sera prolétarisé et tout le capital sera entre quelques mains oisives. Ce jour-là, une légère chiquenaude fera tomber en poussière le capitalisme qui se sera lui-même détruit par sa propre dialectique interne. Cette opposition dialectique, à qui l’on doit le mouvement révolutionnaire et qui promet le dépassement du capitalisme, porte un nom : la lutte des classes. On voit que ce phénomène de la lutte des classes est fondamental dans la doctrine marxiste ; c’est le primum movens de tout progrès ; lutte des exploités contre les exploitants, elle doit aboutir à la suppression de ces derniers. De là l’horreur qu’éprouvent les purs marxistes à l’endroit des réformes qui prétendraient améliorer la situation des salariés, atténuer l’odieux de leur esclavage ; de là, en revanche, la faveur paradoxale dont les purs marxistes entourent le grand capitalisme, comme on a pu le voir toutes les fois que le marxisme a tenu le pouvoir politique ; c’est qu’en favorisant les grands trusts, en prolétarisant les classes moyennes, on pousse le capitalisme sur sa pente fatale, on accélère le processus de concentration, on hâte l’heure de sa disparition ; tandis qu’en aménageant selon une prétendue justice idéale la situation du prolétariat, en lui accordant surtout une parcelle de propriété, en lui prêchant l’espérance d’une autre vie et la modération ici-bas, on étouffe la lutte des classes, on met un frein au processus dialectique, bref, on arrête le mouvement révolutionnaire.

Pourquoi ne le ferait-on pas, demandez-vous ? Nous touchons là à une de ces grandes options psychologiques et morales qui commandent les systèmes philosophiques au lieu d’en découler logiquement. Il est clair que K. Marx est d’abord révolutionnaire ; il voit dans la révolution le bien suprême auquel il s’est entièrement dévoué ; il est donc vain de lui demander pourquoi on ne s’efforcerait pas d’éloigner la révolution.

4. Succès du marxisme. a) Comme doctrine, le marxisme était trop étroitement conditionné par les idées et les préjugés d’une époque pour être capable de faire une longue carrière. Le marxisme ne se conçoit bien que dans un monde imbu du plus naïf scientisme et d’une philosophie évolutionniste ; sa connaissance du monde économique est rigoureusement limitée à l’industrialisme manchestérien ; de là une prompte décomposition du marxisme au contact de philosophiez nouvelles plus pragmatistes, volontaristes, anti-intellectualistes, anti-déterministes et à mesure que le schéma économique admis par Marx se voyait démenti par les faits : irréductibilité du phénomène artisanal ou de l’économie rurale aux formules marxistes, persistance et exaspération des nationalismes, réalité d’idéaux capables d’inspirer l’action et indépendants des conditions matérielles, moindre portée de la loi de concentration capitaliste que d’autres phénomènes viennent compenser, etc…

b) Comme mouvement, au contraire, le marxisme a réussi à s’imposer à une importante fraction du monde occidental. Toutefois il ne faudrait pas croire qu’il a su éliminer toute autre forme de socialisme. La faiblesse de sa doctrine fait du marxisme une coalition de partis politiques, aux idées parfois très différentes mais solidarisées en vue d’un but pratique. La classe ouvrière elle-même, lorsqu’elle se dit marxiste, ignore les arcanes de la doctrine ; du reste, elle a échappé dans une grande mesure au marxisme dès qu’elle est entrée dans la voie des réformes concrètes.

C’est en Allemagne et en Russie que le marxisme a trouvé les fidèles les plus nombreux et les plus convaincus. En France, un parti se réclame de Marx, avec Jules Guesde et Lafargue comme premiers propagandistes ; mais ce parti, outre qu’il n’a pas toujours conservé une rigoureuse orthodoxie marxiste, a toujours dû composer avec des socialismes d’inspiration différente (possibilistes ou réformistes, bientôt syndicalistes). En Belgique, le marxisme lui-même, perdant son caractère philosophique, se ramène à un réformisme secoué seulement de quelques mouvements révolutionnaires en période de crise économique nu de tension politique. En Angleterre, la doctrine marxiste ne sut jamais s’acclimater ; le socialisme de ce pays, le travaillisme, est essentiellement pratique, réformiste, soucieux de dignité humaine et de grandeur nationale, respectueux des convictions religieuses et souvent animé lui-même d’un souille religieux incontestable. Les pays Scandinaves ont connu également, et même au pouvoir, un socialisme réformiste, fondé sur la collaboration entre les classes. Depuis la guerre de 1914 à 1918, sauf en Russie, les responsabilités du pouvoir qu’assumèrent ou que partagèrent les partis socialistes d’étiquette marxiste, contribuèrent à généraliser la tendance réformiste, au détriment de la tendance révolutionnaire.

Le syndicalisme révolutionnaire. — Le mot syndicat signifie d’abord un groupement d’intérêts (syndicat de producteurs, d’agriculteurs, de pêcheurs, de médecins, d’artistes). Par mouvement syndical, on désigne ensuite un effort tendant à organiser les professions ou les corporations, pour leur assurer une certaine capacité ou représentation dans l’État. Les notions ne nous intéressent pas ici.

Nous nous occupons du syndicalisme révolution-