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SOCIALISME. ÉVOLUTION : LE SOCIALISME DÉMOCRATIQUE

pauvres qui « entre dans le plan de Dieu ». Mais la propriété individuelle doit, selon Fourier, suivi sur ce point par d’illustres économistes orthodoxes, évoluer en copropriété actionnaire, de façon à multiplier le nombre des propriétaires et à liquider le salariat en taisant des ouvriers, par la participation aux bénéfices, les copropriétaires de l’entreprise.

b) La cellule fondamentale de la société est la phalange ; ses 1 800 membres, repartis en 400 familles, habitent un vaste immeuble, le phalanstère, construit en pleine campagne, suivant un plan minutieusement décrit par Fourier. On y a vu avec horreur l’asile des pires promiscuités et d’un communisme lacédémonien ou conventuel, mais dans la pensée de l’auteur le phalanstère ressemblerait plutôt à ces hôtels-pensions, souvent fondés par actions, que connaissent les États-Unis et la Suisse ; on n’y mange pas à la gamelle, on n’y couche pas au dortoir, et il n’y a même aucune égalité entre les catégories de locataires ; mais on y trouve des services communs, salons de conversation, de lecture, salles à manger, pour ceux qui veulent en profiter. Au phalanstère se trouve annexée une entreprise agricole et partiellement industrielle, ni plus ni moins collective que les sociétés par actions. Il est évident que les avantages de la division du travail se feront sentir dans la phalange, car chacun suivant son penchant exécutera les besognes qui lui plairont davantage et qui en seront mieux faites. D’autre part il est avantageux de remplacer les 400 caves familiales, les 400 cuisines familiales, les 400 buanderies ou 400 greniers familiaux par des locaux communs, mieux aménagés, moins coûteux et dont le service exigerait beaucoup moins de personnel. D’où libération des sept huitièmes des femmes, généralement absorbées par les soins domestiques. Et le reste à l’avenant. Le caractère unitaire du phalanstère éclate dans sa configuration architecturale : une rue galerie, sorte de promenoir couvert, ventilée ou chauffée suivant la saison, rendra faciles et commodes les communications intérieures, avec l’église, avec la salle de spectacle, avec les bâtiments ruraux et avec les usines.

Cependant le principe de la division du travail aboutit en régime de civilisation, c’est-à-dire dans le régime actuel, successeur de l’état sauvage, du patriarcat et de la barbarie, à une monotonie abrutissante pour l’ouvrier, par l’exercice simpliste et illimité d’un seul penchant. En Harmonie, c’est à dire dans le régime nouveau, on combinera les bienfaits de la division du travail avec ceux de la variété des tâches : comme il n’y aura plus d’oisifs dès que le travail sera devenu attrayant, on pourra morceler les besognes en parts si infimes que n’importe qui exécutera la sienne en se jouant, sans apprentissage, sans avoir le temps de s’y ennuyer ou de s’y lasser et la quittera pour une autre également attrayante et facile. Ici intervient la théorie fouriériste des passions.

c) L’attraction passionnelle. — Ce que nous avons dit jusqu’ici de Fourier ne suffit pas à le déclarer socialiste : mais voici d’autres propos qui font de Fourier tout autre chose qu’un Jules Verne de la sociologie. Il est optimiste comme les physiocrates, il croit comme Saint-Simon à l’attraction universelle ; mais il a cette originalité d’attribuer aux passions le rôle bienfaisant d’un moteur universel du progrès humain. Depuis 2 000 ans, à l’entendre, les moralistes ont fait fausse route en condamnant ou en modérant les passions ; leur tentative est injurieuse à la sagesse du Créateur qui aurait imprime aux astres une direction infaillible et qui aurait négligé de fournir aux hommes une loi intérieure aussi sûre et aussi féconde. Cette loi existe, ce sont nos passions, les moteurs de toute activité. Fourier prétend remettre l’humanité sur la voie du bonheur véritable en réhabilitant les passions, car le bonheur consiste à jouir d’un clavier passionnel complet et harmonieux et à pouvoir en user librement. Actuellement, en attendant que l’admirable mécanique passionnelle puisse s’exercer pleinement, il faut détruire l’œuvre néfaste des législateurs et des moralistes en brisant toutes les entraves apportées au jeu des passions : besogne négative de caractère anarchique. Fourier découvre douze passions radicales : cinq passions sensitives, correspondant à chacun de nos sens ; quatre passions affectives : amitié, ambition, amour, familisme : et trois passions distributives ou mécanisantes, principes de variété et de changement, la cabaliste ou esprit d’intrigue, la papillonne ou esprit de changement, la composite ou fougue irréfléchie et exaltante qui pousse l’homme à multiplier ses plaisirs. C’est pour réunir les chances les plus favorables au jeu complexe et harmonieux de toutes ces passions, inégalement dominantes suivant les différents âges, sexes et tempéraments individuels, que Fourier fixe à 1 600 ou 1 800 membres environ la population d’un phalanstère : tous les groupes, toutes les séries pourront y être représentés, exercer leur influence en juste proportion et assurer l’harmonie.

Concrètement, le programme de Fourier, à l’inverse du saint-simonisme, condamne toute forme de hiérarchie sociale. Nul essai satisfaisant n’en fut tenté ; les fonds, que Fourier attendait du capitaliste philanthrope auquel il avait donné rendez-vous chaque jour à midi, ne vinrent point. À Condé-sur-Vesgre, puis à Cîteaux, une ébauche de colonisation phalanstérienne fut aussitôt abandonnée.

2. Robert Owen (1771-1858). — C’était un réalisateur. Il fit d’abord ses preuves dans l’industrie, en renflouant une filature de coton à Lanarck, sur les bords de la Clyde, et eu y gagnant, par les procédés les plus classiques, plusieurs millions qu’il laissa philanthropiquement dans l’affaire. Ce succès l’incita à devenir réformateur D’après lui, l’homme est irresponsable et son bonheur ou son malheur dépend uniquement du milieu et des conditions de vie. C’est donc l’éducation qui est à refaire. Elle sera entièrement égalitaire. sans contrainte ni sanction ; nulle propriété, nulle hiérarchie, nulle discipline sexuelle. Avec de l’argent et des appuis, Owen créa dans l’Indiana la colonie de New-Harmony et quelques autres sur le même modèle : toutes s’écroulèrent en quelques mois dans l’anarchie et la promiscuité. Revenu en Angleterre, il reprit ses expériences, aboutit à la même faillite, et prit la fuite. Ses ouvrages essentiels sont les Outlines of the rational system et la New view of society, or essays on the formation of a human character (1812).

3. Étienne Cabet (1788-1856). — Fils d’un tonnelier, apprenti jusqu’à douze ans, il fit ensuite ses études, puis son droit, plaida sans succès a Dijon, sa ville natale, se signala par ses idées révolutionnaires et ses attaches avec les sociétés secrètes. Condamné à deux ans de prison en 1834, il se réfugia à Londres où il connut l’Utopie de Thomas Morus et évolua dans un sens communiste. Rentré à Paris à la faveur de l’amnistie de 1839, il y publia en 1840 son Voyage en Icarie, roman utopique de la meilleure tradition. Mais Cabet avait foi en son utopie et, en 1848, il envoya des icariens au Texas, les rejoignant bientôt avec quelques enthousiastes. Ils fondèrent à Nauvoo dans l’Illinois une colonie qui se divisa très vite ; Cabet chassé par les siens, revint mourir à Saint-Louis en 1856. Les icariens végétèrent et disparurent après bien des schismes, émigrations et vicissitudes lamentables Le régime est un pur communisme quant aux biens, avec maintien du mariage et travail à la fois obligatoire et agréable.

3o Le socialisme démocratique. — 1. Ph. Buchez. — Il nous ramène aux idées démocratiques et religieuses.