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SILVESTRE I er (SAINT)

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mère le faveurs qu’en reconnaissance pour Silvestre, principal artisan de sa conversion, Constantin accorde à ce pape et, en sa personne, à tous ses successeurs. Le souverain est bien décidé, en effet, à exalter au maximum la puissance de l'Église romaine. Il lui confère donc en premier lieu, et sensiblement dans les termes employés déjà par la Vita Siloestri, la primauté spirituelle sur les autres évéques, et en particulier sur les quatre patriarches d’Antioche, d’Alexandrie, de Constantinople ( !) et de Jérusalem, de telle sorte que le titulaire de Rome celsior et princeps cunctis sacerdotibus totius mundi existât. A cette faveur d’ordre spirituel s’en joignent d’autres d’ordre temporel et d’abord la construction et la dotation de basiliques à Home, puis le don au pape du palais impérial du Latran, le plus somptueux de tout l’empire..Mais, puisque le souverain cède son palais, il est tout naturel qu’il cède encore au pape les ornements impériaux eux-mêmes ; volontiers il lui eût donné le diadème, mais, le pape n’ayant pas voulu porter une couronne d’or sur la couronne cléricale, cet ornement sera remplacé pour lui par la mitre (phrygium). Il aura droit à la même escorte qui accompagne l’empereur, ses clercs euxmêmes participant aux honneurs impartis à la suite même du souverain. Mais, de toute évidence, ces diverses concessions ne viennent là que pour préparer la concession majeure et la voici : « Pour que la dignité pontificale ne s’avilisse pas, et qu’elle soit vraiment entourée d’une dignité plus qu’impériale, voici que. livrant tant notre palais que la ville de Rome et toutes les provinces, lieux et cités de l’Italie et des régions occidentales à Silvestre et les abandonnant à son pouvoir et à celui de ses successeurs, nous déclarons que la chose est ainsi réglée et que tout cela demeurera sous le pouvoir et la juridiction de la sainte Église romaine. Il nous apparaît donc convenable de transférer dans les régions orientales le siège de notre empire à nous et de bâtir une cité qui portera notre nom en la région de Byzance. Il n’est pas juste, en eflet, qu'à l’endroit où l’empereur céleste a établi le principat des prêtres et le chef de la religion chrétienne, un empereur terrestre exerce la puissance. »

Ainsi, partage de souveraineté temporelle entre le pape et l’empereur, quelle que soit d’ailleurs l’exacte délimitation des territoires abandonnés au Siège apostolique, telle est la concession essentielle faite à Silvestre par Constantin. A qui connaît, ne fût-ce que sommairement, la nature vraie des rapports entre papes et empereurs entre le IVe et le viir siècle, l’invraisemblance, pour ne pas dire l’absurdité, de cette pièce saute aux yeux. Cela ne l’a pas empêchée de faire une brillante fortune. Citée au ixe siècle, au moins par les auteurs francs, peu connue d’abord en Italie, elle finit par pénétrer, à partir de liurchard de NYornis (début du xie siècle), dans les collections canoniques et finalement dans le Décret de Gratien, caus. XII, q. l, c. 1°). Mais, un siècle auparavant, la Curie romaine s’y référait déjà explicitement. Saint Léon IX semble avoir été le premier des papes à le faire. Cf. lettre à Michel Cérulaire, n. 10, 12, 13, P. L., t. cxliii, col. 751 et 752. A partir de Grégoire VII, le texte va sortir tous ses effets ; il justifie à la fois la primauté ecclésiastique du Siège romain — qui avait pour se défendre de meilleurs garants — et son autonomie temporelle, oire sa supériorité sur l’empire. Ces théologiens pontificaux s’y appuient pour démontrer cette préccllence ; les impérialistes, de leur côté, y trouvent des arguments pour dire qu’une bonne partie des droits du Saint-Siège sont des concessions de la puissance séculière. La collection des Libelli de lite fournirait de la sorte une ample moisson de références dans l’une et l’autre direction. Au xiir siècle, la Donation de Constantin est absolument en possession. Qu’il suffise

de signaler le sermon d’Innocent II I sur saint Silvestre, P. L., t. ccxvii, col. 481, et l’interprétation qu’en

donne Innocent IV, lequel, fidèle à sa doctrine générale, voit dans le geste de Constantin par rapport au pape, non point une concession, mais une simple resti tut ion. Voir Potthast, Hegesta pontif., n. 11.si, s. et cf. art. Innocent IV, t. vii, col. 1194. Chose curieuse, les eanonistes byzantins eux-mêmes ont connu le texte et en ont admis l’authenticité. Le Xomocanon en quatorze titres mis sous le nom de Photius, voir ici, t.xii, col. 15 1C>, en cite l’essentiel, tit. viii, c. i, P. G., t. civ, col. 1077 ; Balsamon le commente dans sa grande œuvre canonique. P. G., t. cxxxvii, col. 322, cf. col. 1312. Il faut attendre l'éveil de la critique au xvie siècle pour voir s'élever les premiers doutes sur l’authenticité, que certains continuent encore à défendre au xvii 1 e siècle, lui résumé, l’influence de ce faux a été durable ; elle a été considérable, tout comme celle des Fausses Décrétales, avec lesquelles, d’ailleurs, il a été véhiculé.

Pourtant il ne se rattache que par un lien tout extérieur à la collection pseudo-isidorienne, à laquelle il a certainement préexisté et il ne sort pas de cet atelier de faussaires qui travaillaient au milieu du ix L e siècle. De ce point de vue, il faut rejeter les démonstrations de Noël Alexandre (sæc. iv, diss. XXV, a. 2 et 3), de Zaccaria, de Cenni (cf. dans P. L., t. xcviii, col. 272), qui ont cherché en Francie la patrie du document. Il existait dès le début du ixe siècle et sans doute déjà bien avant, car il nous paraît bien que le pape Adrien I er y fasse une allusion discrète dans une lettre à Charlemagne de 778. Cf. Jafïé, n. 2423, voir le texte dans P. L., t. xcviii, col. 306 A : et sicut temporibus beati Silvestri, etc. A en juger même par sa parenté avec des documents authentiques en provenance de la chancellerie pontificale au temps d’Etienne II et de Paul I er, il faudrait le remonter assez près du milieu du viiie siècle, encore qu’il ne nous apparaisse pas du tout démontré qu’il ait été apporté en Francie par le pape Etienne II, quand il y vint en 754 demander la protection du roi Pépin. On n’a aucune preuve qu’il ait servi alors, soit à Ponthion, soit à Quiersy-sur-Oise, pour appuyer les revendications temporelles de ce pape. C’est pourtant vers ce moment, ou peut-être un peu plus tard, qu’il a dû prendre naissance dans les bureaux de la chancellerie pontificale. L’auteur du faux nous paraît être, en effet, un clerc romain, qui opère entre 753 et 770.

Si l’on écarte l’idée qu’il travaillait sur les ordres et sous la responsabilité du pape régnant — et cette idée ne nous semble pas recevable — on peut néanmoins se demander quels étaient les mobiles de ce faussaire. Ils ne sont pas faciles à démêler dans le détail, encore que l’idée essentielle soit assez claire. C’est le moment où se constitue le pouvoir temporel du pape, à Home, dans l’ancien duché et, plus à l’Est, aux dépens de l’ancien exarchat de Havenne. La monarchie franque, qui, dans un premier mouvement, a promis de constituer au pape un royaume viable, semble hésiter dès que l’on vient aux questions de réalisation. Pépin le Bref ne détruit pas le royaume lombard, aux dépens duquel la papauté aurait pu se constituer un solide établissement. Charlemagne est encore plus hésitant que son père, jusqu’au jour où il se décide à annexer ; i l’Empire franc les territoires lombards. Certains a la Curie s’impatientent de ces tergiversations ; ils s’impatientent aussi de sentir que, même dans le domaine assez modeste constitué au pape, la haute main appartienne finalement au souverain franc. Xe convenait il pas de montrer qu’autrement axait agi - <>n se le figurait du moins — l’empereur Constantin ? D’un ^esie Infiniment large, il avait fait de Silvestre le souverain d’un vaste domaine et, pour y assurer la