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SIGER DE BRABANT SIGER DE COURTRA]


est <iue le falsificateur et le mauvais interprète, qui non tam fuit peripateticus quam peripateticæ philosophiw depravator. Peut-être que ce travail loyal et probe, d’une rare compétence aussi en matière aristotélicienne, ouvrit les yeux à Siger, intelligent et loyal, lui aussi.

On s’expliquerait ainsi la place que Dante — disciple de saint Thomas par l’intermédiaire de Rémi de Florence — assigne à Siger dans sa Divine Comédie (Paradiso, canto x, vers 133-138). Dans son quatrième ciel du Paradis, celui du soleil et de la lune, douze âmes illustres entourent Dante et Béatrix : les grands théologiens-philosophes. Saint Thomas est au centre, Albert le Grand à sa droite, Siger à sa gauche ; Gratien, Pierre Lombard, Salomon, Denys TAréopagitc, Orose, Boèce, Isidore de Séville, Bède, Richard de SaintVictor complètent le cercle. « Celui que trouve ton regard en venant vers moi, dit Thomas d’Aquin, est la lumière d’un esprit à qui, dans ses graves pensers, la mort sembla lente à venir. C’est la lumière éternelle de Siger, le maître de la rue du Fouarre. qui syllogisa d’importantes vérités. » Sans doute les idées politiques de Taverroïsme, qui marquent assez fortement le De monarchia du poète florentin, peuvent-elles être pour une part dans le choix qu’il a fait de Siger pour son Paradis ; mais il se peut que l’influence exercée par Siger en faveur de la philosophie péripatéticienne, de ses thèses les plus hardies, orthodoxes pourtant, conformes aussi à la théologie chrétienne, ait décidé de la place qu’il lui réserve et de cet éloge qu’il lui fait décerner par saint Thomas.

Vers cette même date, dans son De recuperatione Terne sanctæ, Pierre Dubois, qui avait été dans sa jeunesse auditeur de Siger, proposait que Ton réunît en une sorte de manuel scolaire les extraits de Questions naturelles de frère Thomas, de Siger de Brabant et d’autres docteurs ; pour rénover les études, pour élargir les horizons, il songeait à recourir à ces grands noms : Siger, Thomas, Roger Bacon, Albert le Grand.

Ce début du xiv c siècle marque d’ailleurs, on le sait, une reprise de Taverroïsme : à Paris, Jean de Jandun en est le plus brillant représentant ; à Padoue et à Bologne aussi, l'école averroïste s’affirme et progresse. Il serait inexact pourtant de présenter ces gens comme des disciples de Siger : c’est à Averroës qu’ils entendent se rattacher, non au maître parisien. L’impulsion donnée par celui-ci est cependant au point de départ de cette fermentation.

Combien son influence avait été considérable de son vivant, pendant ses années d’enseignement, les faits rapportés au début l’ont dit assez ; on le voit aussi par l’existence d’une véritable école qui se forme autour de lui : un Boèce de Dacie, un Rentier de Nivelles et les auteurs anonymes dont les écrits nombreux sont conservés dans les manuscrits du temps ; mais surtout le témoignage le plus probant s’en trouve dans la qualité même des maîtres qu’il vit se dresser devant lui, un Bonaventure, un Thomas d’Aquin, un Albert le Grand, et qui s’employèrent à le combattre ou à le convaincre.

lille se prolongea longtemps encore, celle Influence de Siger, mais Indirectement cette fois, par suite du SyllabllS parisien, le fameux document du 7 mars 1277, auquel, pour une grande part, ses thèses donnèrent naissance. La condamnation à cette date par l'évê que de Paris, Etienne Tempier, de 219 articles, arrêta pendant de longues années, le libre essor de la pensée, théologique au sein de l’Université, Contra, est articulas condempnatus. Que de fois cette formule revient dans les écrits des maîtres des xiir et XIVe siècles, à propos des principales thèses aristotéliciennes. Objection, argument, barrière, tout cela se cache sous ces mots qui toujours renvoient à la condamnation de

1277. L’acte du 7 mars avait été la revanche de l'école augustinienne, de l’enseignement traditionnel contre les innovations du péripatétisme, du thomisme, de Taverroïsme. On fut bien aise des écarts commis par ce dernier ; ils permettaient de condamner en même temps les deux autres systèmes et d’entraver leur progression, (/est par là, sans doute, que le nom de Siger et sa doctrine marquent un moment important, plus grave qu’on ne l’imagine souvent, dans l’histoire de la théologie catholique.

Cl. Bflumker, Die Impossibilia des Siger von Brabant, dans BeitrSge, t. ii, tasc. (>, Munster, 1898 ; 1'. Mandoiinet, Siger de Brabant et l’averrolsme latin au XIIIe siècle, 2e éd., 2 vol., Couvain, 19Il et 19(18 ; M. Chossat, Thomas d’Aquin cl Siger de Brabant, dans liev.de philos., t. xxiv, 1914, p..->."> : 107.") ; t. xxv, 1914, p. 2."j-.">3 ; F. Sassen, Siger de Brabant et la double vérité, dans Hev. néoscol., 1931, p. 170-179 ; M. Grabmann, Neuaufgefundene Werke des Siger von Brabant und Boetius von Dacien, dans Sitzungsberiehte der Bauerischen Akademie der Wissenschaft, Munich, 1924 ; Neuaufgefundene Qusestionen Stgers von Brabant : u den Werken des Aristoteles, dans Miscellanea />. Ehrle, t. î. Home, p. 1011-147 ; S. Reinach, L'énigme de Siger, dans liev. historique, 1926. p. : i I47 ; F. van Steenberghen, Siger de Brabant d’après ses œuvres inédites. I. Les œuvres inédites, dans la série Les philosophes belges, t. XII, Couvain, 1931 ; le iilôm Les ouvres

et la doctrine de Siger de Brabant (Acad. roy, de Belgique, Classe des lettres, Mém lires, t. xxxix, 3), Bruxelles, 19 ; 18 ;

F, Stegmuller, Neugefundene Qusestionen des Siger mm Brabant, dans Rech. théol. anc. et médiév., 1931, p. 172-182 ;

G. Busnelli, L’accorda di Sigieri </i Brabantee Tommaso d’Aquino seconda nuovi documenti, dans Cioiltà catt., 1932, t. iii, p. 120-132 ; M. -M. Gorce, art. Averroïsme, dans Diet,

hist.elgéogr., t., 1931, col. 1032-1(129 ; M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, t. ii, I.ouvain, 1936, p. 184196 ; D. Saint iii, Compte rendu sur Siger de Brabant, l’averroïsme latin et S. Thomas, dans Bulletin thomiste, t. iv, 1934, n. 382-l192.

P. Glorieux.

2. SIGER DE COURTRAL — Totalement différent du précédent, en dépit des confusions commises par Echard, à la suite de Meusnier, et reproduites par V. Leclerc. — Originaire de Ghueldeghem, village des environs de Courlrai, né vers 1283 peutêtre, sinon même avant, il est, en novembre 1308, doyen du chapitre de Notre-Dame de Courtrai et donc prêtre. Dans un acte du 22 avril 1309, il porte le titre de maître es arts. Ceci placerait le début de ses études à Paris vers 1302, et probablement même plus tôt. On le trouve en 1314-1315 (exactement le (î juin 1315) sociétaire de Sorbonne et procurateur, donc étudiant en théologie. S’il parvint à la maîtrise en théologie, comme l’affirme Meusnier sur la foi d’anciens manuscrits, ce dut être au plus tard en 1321. Divers actes, en date d’avril 1309, juillet 1311, avril et juillet 1315, mars, mai et août 1323, témoignent de ses interventions en qualité de doyen de Courtrai. Le 30 mars 1311, huit volumes légués par lui parvinrent à la bibliothèque de Sorbonne ; mais il est possible qu’il fût mort déjà depuis une dizaine d’années, car, en 1330, un Pierre Rinck lui a succédé dans sa charge de doyen du chapitre.

Des œuvres qu’on possède de lui, aucune ne relève de la théologie. Elles appartiennent à son enseignement es arts. Quatre sont éditées : l’Ars priorum ; les Fallaciie (traité sur les paralogismes) ; la Siinuna rnodorum signiflcandi (traité de grammaire) ; des Sophismata (exercices scolaires de dialectique) ; éditées par G. Wallerand, I.ouvain. 1913. p. 1-75 ; 77-90 ; 91-125 ; 127-105 respectivement. 'Trois autres, constituant le commentaire super vétéran loi/icam lolam, sont conservées dans un ms. de Venise, Marc. cl. VI, c. 21 : Commentaire sur l’Isnaotje de Porphyre ; sur les Catégories d’Aristote et son Péri hermeneias. Enfin un An obligatorla est annoncé dans ses Fallaciee, mais aucun exemplaire n’en a été signalé.