Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.2.djvu/274

Cette page n’a pas encore été corrigée
, 1 1 i

SIGER l>

Ali NT. DOCTR] Ne

2050

137. Au sein de chaque espèce, m dos individus peuvent exister multiples, oc no peut Être qu'à raison do la matière qui entre dans leur composition ; sinon, oomræ c’est le cas pour les intelligences séparées, chaque être sérail unique do son espèce. De anima intellectiva, t. II, p. 165.

Dans oot ensemble, l’homme tient une place à part : oar son àmo est immatérielle, comme on témoigne son opération intellectuelle. Elle est donc incorruptible ; mais par lo fait même, éternelle aussi a parte unie. Ce n’est pas l'âme intellective qui est la Corme du corps, mais l'âme végétativo-sensitive, avec laquelle l’autre n’a rien de commun. Kilo est pointant, d’une certaine manière, perfection et forme du corps, parce qu’elle lui est unie dans l’opération par un contact, une continuité intrinsèque qui permet d’attribuer à l’homme tout entier, au composé humain, l’opération propre de l’intelligence.

Tout ceci t>s t réclamé par le double postulat de l’acte d’intelligence et de connaissance posé par l’individu et variant d’un homme à un autre, d’un jour à l’autre même ; et par l’autre postulat de l’unicité de l’intellect, puisqu’il est substance immatérielle. Il n’y a donc pour tous les hommes qu’un intellect unique ; par l’intermédiaire des phantasmes, des espèces, il entre successivement en communication avec chacun des individus de l’espèce humaine, devenant pour lui moteur d’action immanente, intrinsecus operans. De anima intelbectiua, t. ii, p. 154.

Il s’ensuivra que, après la mort, il ne peut être question d’une survivance personnelle ; seule l'âme unique, l’intellect de l’espèce demeure, toujours uni d’ailleurs à quelque individu humain. C’est donc la négation des châtiments et des récompenses pour une autre vie. Mais les bonnes ou mauvaises actions étant à ellesmêmes leur récompense et leur châtiment, l’homme trouve en cela son bonheur ou son infortune. De anima intell., t. ii, p. 163. Le rejet des sanctions dans une autre vie est donc une conséquence de la constitution môme de l’homme. Siger ne le rattache pas à son explication de la liberté humaine, encore que celle-ci, en bonne logique, dût y conduire. Four lui, en etïet, la volonté est mue elle aussi par un déterminisme qu’il atténue à peine. L'âme ne veut rien si elle n’est mue par un autre. Quand la volonté est sous l’action exercée par son objet, elle ne peut pas ne pas vouloir. Son acte est donc pratiquement nécessaire. De necessitate, t. n. p. 118. L’homme agit sous l’empire de la nécessité ; mais d’une nécessité conditionnelle, en ce sens que la oause n’est pas nécessaire en soi, qu’elle peut être combattue et supprimée, et mérite ainsi d'être appelée contingente. Impossibilia, t. ii, p. 87-89. La moralité des actes, d’ailleurs, doit se tirer de leur conformité à la droite raison, c’est à dire à celle qui se oonforme au bien de l’espèce humaine. Ibid., p. 87.

En ces diverses démarches, Siger rencontre presque a chaque pas des problèmes sur lesquels la foi aussi se prononce, et les conclusions auxquelles il aboutit pour son compte ne se peuvent concilier avec l’enseignement de l'Église. Il s’en rend compte et ne tente pas la conciliation. Son attitude est la suivante : après avoir affirmé sans réserve son attachement à la pensée d’Aristote, commenté par Averroës, il déclare ne point vouloir déterminer i ses solutions selon la vérité, mais bien suivant l’intention du Philosophe. Celle-ci d’ailleurs (et c’est le présupposé capital) représente à ses yeux le suprême effort do la raison humaine travaillant dans sa propre ligne. C’est pourquoi, cum de naturnlibus naturaliter disseramus, on doit aller sans hésiter jusqu’au bout de la pensée et do la logique du Philosophe. De anima intell., t. iii, p. 153, 164, 169. Peut-être aboutira-ton a un résultat différent do l’enseignement révélé, à une doctrine opposée même.

Il en faut conclure que lo procossus philosophique, le processus rationnel a ses exigences propres comme la foi a les siennes. On ne sacrifie pas pour autant un enseignement à l’autre. Le problème ne se pose pas ainsi, puisqu’on est sur deux plans différents : celui de la raison naturelle et celui de la révélation avec tout sou apport miraculeux. Rien n’empêche de garder les deux, en affirmant même, si l’on veut, le primat de la foi : certain est enim secundum verilatem quw mentiri non potest qiwd animée intellectivse multiplicantur multiplicatione corporum humanorum. De anima intell., t. ii, p. 164. In tali dtibio fidei adhierendnm est, quæ omnem rationem humanam superat. Ibid., p. 169. On a appelé cela parfois la thèse « des deux vérités ». Peutêtre Siger ne souscrirait-il pas à cette appellation, lui qui disait, dans la phrase qui précède immédiatement la première citation : quivrendo intentionem philosophorum in hue magis qnam veritatem, cum philospphice procedamus ; lui qui, d’ailleurs, n’a jamais érigé en thèse, ni légitimé ex projesso son attitude. Mais logiquement sa position n’est pas tenable, s’il entend ne pas faire de la philosophie un simple jeu de dialectique. Et saint Thomas, dans son De unitate intelleclus, pousse énergiquement, rudement même, sa critique contre semblables procédés dont les conséquences néfastes ne sont que trop évidentes.

D’un bout à l’autre, la construction de Siger est extrêmement cohérente ; elle autorise à parler d’un système dont il serait l’auteur, d’un averroïsme latin qu’il aurait ainsi formulé.

Voici pourtant que l’histoire oblige à nuancer cette conclusion. Non pas qu’elle conteste cette paternité ; mais elle se doit d’enregistrer dans les écrits plus récents de Siger, dans son Commentarium in lib.1-111 De anima (n. 10) spécialement, et dans ses Quæst. in libros Physicorum (n. 11), des variations doctrinales qui équivalent, en bonne logique, à l’abandon du système laborieusement échafaudé. Ce n’est pas sur des points de détail qu’elles portent en effet, mais sur quelques positions-charnières qu’on ne peut reviser sans ruiner toute la construction : l’unité de l’intellect est abandonnée, In III um De anima, q. ii, xvii ; l'âme intellective est proclamée vraie forme substantielle de l’homme ; mais cette âme est unique dans un individu donné et l'âme végétative ou la sensitive ne sont que ses actes ou ses puissances, q. ii, 7. L'éternité du monde ne peut être démontrée au sens strict, VIII Phys., q. vi. Dieu peut connaître et produire le multiple. // Phys., xvin ; VIII Phys., vi. La volonté enfin se meut librement. VIII Phys., xii.

C’est toute une nouvelle histoire de Siger, de la deuxième partie de sa carrière, qui est encore à écrire. Le travail est amorcé dans le second volume de F', van Steenberghen. Il faudra, après avoir établi l’authenticité des questions du ms. de Munich, lat. 9559, après en avoir fixé la date avec soin, enregistrer les nuances nouvelles de la pensée, et tracer pour chaque point la courbe parcourue. Qui sait si l'évolution de la pensée philosophique de Siger ne se ramènera pas en définitive au passage « de l’averroïsme au péripatétisme », mais à un péripatétisme à la fois hardi et orthodoxe ? Et qui sait si l’influence de saint Thomas d’Aquin no se découvrira pas prépondérante dans cette conversion ? Car il faudra aussi préciser à quels facteurs attribuer ce changement de front et démêler les influences qui ont pu s’exercer dans cette révision dos positions antérieures. Qu’on reprenne le De unitate intelleclus do saint Thomas, la méthode, un pou déconcertante au premier abord, par laquelle le maître dominicain niol en pleine lumière la pensée d’Aristote et fait L’exégèse de ses principaux textes. Il entend démonétiser pour toujours Averroës, qui no mérite on aucune façon lo titre de Commentateur du Philosophe, mais qui n’eu