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situation de l’autour à Liège, l’un des centres de résistance à la politique pontificale, sa science et son prestige ont donné à ses thèses un grand poids. En dehors de la Belgique, il est possible que son action se soit fait sentir jusqu’en Italie même. Cf. A. C.auchie, op. cit., t. i, p. 98. Il est permis de regretter que Sigebert de CiiMiibliuix ait mis son talent au service du parti impérial, et qu’il ait défendu les empiétements du souverain sur les droits du Siège apostolique. La nécessite pratique où se trouvait son pays de suivre la politique de Henri IV n’explique pas tout. Il faut se souvenir que, vers la fin du xi c siècle, la vieille théorie impériale était battue en brèche par les événements. Tant que les empereurs avaient été les gardiens attitrés de la justice, les vigoureux défenseurs de l'Église, on pouvait dire qu’ils étaient les plus hauts représentants de Dieu sur la terre. Mais Henri IV s'était élevé à plusieurs reprises contre les lois essentielles de l'Église. Dès lors, les théoriciens du droit divin impérial ne pouvaient voir en lui le soutien officiel du monde chrétien ; il leur fallait se rabattre sur des imputations calomnieuses vis-à-vis des papes ou s’hypnotiser de la gloire des empereurs disparus. Malgré leurs efforts, ils perdaient manifestement du terrain ; la logique du temps, le mouvement des idées, l'état de la civilisation faisaient de leurs adversaires les partisans de la politique grégorienne, les annonciateurs de l’avenir.

En plus des auteurs cités au cours de l’article, on peut consulter : Chaudon et Delandine, Xouveau dictionnaire historique, t. ii, p. 295 ; Becdelièvre, Bioijraphie liégeoise, t. i, 1836, p. 61-62 ; S. Hirsch, Commentatio historico-litteraria de Sigeberti monachi Gemblacensis vita et seriptis, Berlin, 1841 ; Michaud, Bibliographie universelle, t. xxxix, p. 322 sq. ; F.-X. de Feller, Dictionnaire historique, t. v, p. 397 sq. ; Hoefer, S’ouvelle biographie générale, t. xliii, col. 969 ; Dom U. Berlière, Les derniers travaux sur Sigebert de Gembloux, dans Revue bénédictine, t. x, 1893, p. 241-245 ; Kirchenlexicon, t. xi, col. 293 ; Prot. Realencyclopàdie, t. xviii, p. 328-331 ; Hurter, Xamenclator, 3e éd., t. ii, col. 64-68 ; Biographie nationale de Belgique, au mot Sigebert.

L. Brigué.

1. SIGER DE BRABANT.

Siger de Brabant n’est pas un théologien au sens strict du mot. Toute sa carrière enseignante s’est écoulée au sein de la faculté des arts ; et il ne semble pas qu’il ait jamais entrepris le cycle des études théologiques. II a pourtant agité des problèmes si étroitement liés au dogme, suscité des réactions si vigoureuses de la part des théologiens les plus en vue à son époque et provoqué enfin ce fameux Syllabus parisien de 1277, qui pesa si lourdement sur le développement de la pensée théologique pendant un siècle et plus, qu’on ne peut à aucun de ces titres l’ignorer ici. On verra donc : I. Sa vie. II. Ses œuvres (col. 2044). III. Sa doctrineet son influence (col. 2048).

I. Vie.

Les travaux de déblaiement ont été faits une fois pour toutes par P. Mandonnet dans son étude qui fait autorité en ces problèmes : Siger de Brabanl et Vaverrolame latin au XIIIe siècle, 2e éd., t. i, Louvain, 1911, c. m : le pseudo-Siger de Brabant, p. 64-79. Son nom. le bénéfice ecclésiastique qu’on lui voit attribué dans un acte de novembre 1277 (il est qualifié alors de chanoine de Saint-Martin de Liège) le montrent originaire du Brabant et peut-être de cette ville de Liège. Quand il sera inscrit à la faculté des arts, à Paris, il appartiendra tout naturellement à la nation des Picards. Les dates auxquelles on le voit apparaître dans cette faculté permettent de placer sa naissance vraisemblablement vers 1235.

C’est en 1266 qu’il est mentionné officiellement pour la première fois. Il est alors maître es arts, enseignant a Paris et chef de parti, sinon tout à fait fauteur de schisme universitaire. Les maîtres et étudiants es arts, au sein de la faculté, étaient répartis en quatre « na tions » suivant leur origine : Français (qui comprenaient alors à eux seuls presque autant de membres que les trois autres réunis), Normands, Picards et Anglais. La nation de France s'était incorporé un jeune maître que la nation des Picards revendiquait comme sien. Conflit ; arbitrage du roi de France, non accepté par les partis ; rupture. La nation de France se constitua en groupe autonome, avec son recteur et tous ses officiers. Il y eut pratiquement deux facultés des arts et entre elles les rixes et voies de fait se multiplièrent. Siger de Brabant est suspecté et accusé d’avoir fomenté plusieurs de ces troubles. Il fallut l’intervention du légat pontifical, Simon de Brion, le 27 août 1266, pour ramener la paix et l’unité au sein de la faculté.

Chef de parti en temps de guerre, Siger redevient ou plutôt demeure chef d'école en temps de paix. Et fauteur d’hérésie, cette fois. Son activité littéraire se place en effet dans cette dizaine d’années, 1267-1277 ; mais, dès avant 1270, elle atteint son point culminant. Il est le véritable initiateur du courant averroïste latin, le penseur le plus original et le vrai chef du groupe qui rassemble autour de lui un Boèce de Dacie, un Bernier de Nivelles et d’autres maîtres de moindre grandeur. Lorsque saint Thomas quitta Paris en 1259, il n'était pas question d’averroïsme latin, encore que le « Commentateur » fût connu et utilisé continuellement déjà, au sein de la faculté des arts et même de celle de théologie. Quand, en 1256, Albert le Grand, alors à la Curie, compose à la demande d’Alexandre IV son De unitate intellectus contra Averroem, c’est d’une question particulière qu’il discute, et non pas un système cohérent, une doctrine averroïste qu’il réfute. Et de même saint Thomas, dans son Contra gentiles, s’en prend beaucoup plus à ce qu’on pourrait appeler un « arabisme » qu'à un « averroïsme » qui n’existe pas encore comme corps de doctrine. Dix ans plus tard, la situation est profondément modifiée. Les doctrines nouvelles, fortement agencées et brillamment présentées dans les écoles, deviennent une force et même un danger ; dans le milieu des étudiants d’abord, qu’elles gagnent et contaminent ; dans les milieux populaires même, où les conséquences de ces doctrines rapidement vulgarisées et simplifiées se traduisent par le fatalisme et le laisser-aller des mœurs. Le maître général des frères prêcheurs, Jean de Verceil, en est préoccupé. Dès le chapitre général de 1267, sinon même de l’année précédente, il avait songé à envoyer à nouveau, pour le Studium de Paris, Albert le Grand qui venait de se remettre à sa disposition. Il nefallait rien de moins qu’une autorité comme la sienne pour faire face au danger croissant. Puis son choix s'était fixé, en 1268 sans doute, sur Thomas d’Aquin. Des événements imprévus allaient même hâter le retour de ce dernier à Paris, pour le jeter, en pleine année scolaire 1268-1269, dans la bataille anti-averroïste. Celle-ci avait été déclenchée déjà sur place, depuis le mois de mars 1267, grâce à la vigilance du ministre général des frères mineurs. Sans répit, dans ses deux grandes séries de conférences sur le Décalogue (mars-avril 1267), sur les dons du Saint-Esprit (février-mai 1268) et dans quantité de sermons prononcés durant ces deux années, saint Bonaventure dénonce et condamne les grandes thèses essentielles de l’averroïsme latin.

Or, à l’origine de tout ce mouvement, c’est Siger de Brabant que l’on retrouve. Et c’est contre lui et sa doctrine que sont mobilisés non seulement d’autres maîtres es arts, fidèles à des positions plus traditionnelles, mais les plus en vue des maîtres en théologie. La polémique s’engage, particulièrement serrée, entre lui et Thomas d’Aquin, que suivent dans leur majorité les maîtres séculiers, que dépassent menu : dans Uni opposition à Aristote et non plus seulement à Averroës