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SEMI-PÉLAGIENS. LES MOINES D’HADRUMÈTE


clenchée, pense Vitalis, par une détermination absolument autonome du converti au début de la conversion. Par là il se flatte d'échapper à cette sorte d’arbitraire que le système augustinien semble attribuer à Dieu.

2. Réplique d’Augustin.

L'évêque d’Hippone ne fut pas embarrassé pour répondre. Dans une vigoureuse synthèse il ramassa l’enseignement cpie l'Église oppose aux pélagiens, parmi lesquels son correspondant ne veut pas être confondu ; ce sont les duodecim sententiæ contra pelagianos, n. 16-24. La simple admission de ces points permet de répondre à la question soulevée par Yitalis, à savoir : la grâce précède-t-elle, comme le veut Augustin, ou suit-elle, comme le veut son correspondant, la volonté humaine ? lui d’autres termes, nous est-elle donnée parce que nous la voulons, ou bien n’est-ce pas plutôt par cette grâce même que Dieu fait que nous voulions ? De la doctrine de l'Église sur la matière, il ressort à l'évidence que seule est possible la. deuxième réponse.

Vainement voudrait-on embrouiller la question, en faisant appel à la volonté salvifique universelle de Dieu. Voir n. 19, particulièrement explicite sur la pensée d’Augustin. Il est trop clair, déclare l'évêque d’Hippone, que la grâce n’est pas donnée à beaucoup d’enfants. Alléguer le texte de I Tim., ii, 4, c’est peine perdue, puisqu’il y a tant d'êtres humains qui ne sont pas sauvés, non point parce qu’ils ne le veulent pas, mais parce que Dieu ne le veut pas. Cette répartition de la grâce n'étant pas universelle, comment se faitelle ? Serait-ce en considération des mérites de la volonté humaine ? Non certes, car alors il ne s’agirait plus de grâce. Chercher ici la part de mérite qui revient à la volonté de la créature, c’est sj heurter aux enseignements de l’expérience. Ce qui doit emporter pièce, d’ailleurs, aux yeux d’Augustin, c’est la pratique de l'Église. Celle-ci ne se lasse pas de prier pour la conversion des infidèles ; elle montre par là que c’est Dieu qui, par sa grâce, enlève aux païens leur cœur de pierre et prévient dans les hommes les mérites de leurs bonnes volontés, ila ut voluntas per antecedentem gratiam præparetur, non ut gratia merito voluntatis antécédente donetur. N. 28. Bref l’initium fidei dérive d’une grâce, et d’une grâce qui n’est pas seulement quelque chose d’extérieur, comme sérail la proposition de la doctrine, mais qui est une vocatio alla algue sécréta, une action divine au plus profond de l'âme. N. 5.

Bien qu’en toutes ces déductions, saint Augustin prétende ne s’appuyer que sur les décisions antipélagiennes de 1 1.s. on sent bien, néanmoins, à l’arrièreplan tout son système général. Voir surtout n. 9, 11 : « La chute d’Adam a fait passer toute l’humanité sous le pouvoir du diable ; c’est bien celui-ci qui œuvre dans h"- lils de désobéissance, les gouvernant selon sa volonté, laquelle est tout entière tournée vers le mal ; il y opère ses œuvres mauvaises, en particulier la défiance à l'égard de Dieu, difftdentia, e l’incrédulité, les deux ennemies de la foi. Sans doute voit-on parfois ces fds du démon accomplir des semblants d'œuvres bonnes, haberc nonnulla velut opéra bona, lesquelles, a y regarder de plus pics, n'étant pas inspirées par la foi, sont des taules. Survient le Rédempteur ; semblable a l’homme « fort et armé », il enchaîne le diable et lui arrache ses captifs, ceux là du moins qu’il avait déterminés à l’avance : sic eripit rasa rjus queecumque prædestinavil eripere. Il les arrache, qu’est-ce à dire, sinon qu’il délivre leur libre arbitre du pouvoir du démon, afin que, sans empêchement de sa part, ils croient au Christ parleur libre volonté? Dans ce premier acte, tout est diDieu et. une fois introduits par la grâce dans le royaume des croyants, les fidèles doivent humblement > persévérer, car la persévérance elle même est une grâce, que Dieu, par un juste jugement, peut ne pas accorder. Bref toute l'économie du salut Indi viduel, depuis son début Jusqu'à sa consommation dans la gloire, est entièrement sous la dépendance de l’influx divin et d’un influx absolument gratuit.

Telles étaient les réponses que, vers 127. Augustin opposait à une conscience anxieuse de réserver dansla vie surnaturelle de l’homme, une petite place où serait maintenue l’autonomie absolue de la volonté. Des préoccupations du même genre, accompagnées d’autres plus générales, se retrouvent chez les moines d’Hadrumète. Leur expression amènera l'évêque d’Hippone a préciser encore ses idées sur la matière.

Augustin et les moines d’Hadrumète.

1. Émotion causée à Hailrumcte par les doctrines d' Augustin. —

Ce n'étaient pas des ennemis de l'évêque d’Hippone que ces moines d’Hadrumète (Sousse d’aujourd’hui), qui, en 428, députent deux de leurs jeunes confrères vers Augustin pour lui demander des apaisements.

Quelque temps auparavant était arrivée en leur monastère une lettre d’Augustin adressée, peu après le concile de 418.au prêtre romain yste (le futur pape), Epist., exerv, P. 1… t. xxxiii, col. 874 sq. Dans cette pièce très importante, Augustin montrait le bien-fondé de son système, tant en ce qui concernait les rapports entre grâce et liberté (paratur voluntas a Domino), qu’en ce qui touchait la distribution même de la grâce. Celle-ci, disait-il, ne dépendait d’aucun mérite précédent de l’intéressé et Dieu faisait miséricorde à qui il voulait : Deus cujus vult miserctur. Il n’y avait point à crier à une « acception de personnes >. à un déni de justice de la part du Créateur : une seule et même masse de damnation et d’offense englobait tous les hommes ; le fait que Dieu en sortait l’un, tandis qu’il y laissait tel autre, n’allait en rien contre la justice. Cf. surtout n. 4, 5, 14. Tout l’ensemble du système se déroulait, à partir de ces prémisses, avec une extraordinaire raideur.

Portée dans le milieu d’Hadrumète. cette lettre, vieille déjà de dix ans, avait suscité un vif émoi. La manière énergique selon laquelle Augustin rejetait tout mérite antérieur à la grâce, décrivant la foi comme un don absolument gratuit de Dieu et tirant les conséquences « prédestinât iennes » de ce principe, tout cela avait été vivement discuté ; les uns prenant parti pour le Docteur d’Hippone, non sans tirer peut-être les conséquences paresseuses que le système augustinien parait entraîner, les autres, par contre, regimbant contre une doctrine que repoussaient leurs habitudes d’ascétisme et voulant maintenir à tout prix le mérite humain. Voir la lettre postérieure de l’abbé du monastère, Valentin, dans la correspondance d’Augustin, Epist., ccxvi, ibid.. col. 974.

2. Réponse d' Augustin : Le De gratia et libero arbitrio ». — A plus ample examen, l'évêque d’Hippone qui avait d’abord pensé répondre par une simple lettre, Epist., CCXV, col. 971, estima que les problèmes soulevés méritaient attention ; avec ses visiteurs n étudia les documents ecclésiastiques et patristiques ; ces entretiens aboutirent à la rédaction du traité De gratia et libero arbitrio, t. xi.iv, col. 881 912, que les consultants remportèrent à I ladruinète.

Rien dans ce traité qui rappelle nos modernes tentât i es de « concilier la grâce avec le libre arbitre ». c’est avant tout l’affirmation de la grâce et ce qui est un pléonasme de son caractère absolument gratuit. Cela n’empêche pas, certes, d’affirmer la libellé de l’homme sous l’influx divin ; mais visiblement ce n’est pas ce problème qui préoccupe Augustin. S’il est question du libre arbitre dans le traité, c’est surfont de son Incapacité radicale à assurer le début, la

continuation, la persévérance de la vie surnaturelle dont l’aboutissement est le ciel. La grâce en effet ne

nous est pas donnée selon nos mérites, aussi bien la voyons nous donnée alors que nul mérite ne la précède,