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SC H L E I E H M AC II E H. DOCTRINE


sauts de son peuple. Devant eux, il a prononcé ce formidable oui que Schleiermacher considère comme « la plus grande parole qu’un mortel ait jamais prononcée ». Cela suffit. Sa mort n’a pas eu d’autre sens. Et ce n’est pas par là qu’il nous a rachetés. Et comment donc ? Pour le savoir, demandons-nous ce que c’est que le péché. C’est par l'Écriture que notre auteur prétend répondre à cette question. Le péché, pour lui, est la révolte de la chair contre l’esprit, un désordre de la nature humaine, une incapacité pour le bien qui ne peut disparaître que par la rédemption et qui est source de tout le mal qui se trouve dans l’univers, en tant que le mal n’en est que la punition. Mais Schleiermacher sous-entend que le péché est une suite inévitable de l'évolution, qu’il a sa raison d'être dans la marche évolutive elle-même, dans le besoin de rédemption qu’il doit provoquer, en sorte qu’il n’est qu’une étape vers le bien. Un des plus récents commentateurs de Schleiermacher a écrit à ce sujet : « Il n’existait selon lui aucune contradiction absolue. De même que la nature et l’esprit, l’idéal et le réel, la pensée et l'être se ramenaient pour lui à une identité supérieure, de même il ne voyait aucune contradiction totale entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal, mais seulement une opposition relative. Tout péché était donc pour lui un point de transition vers le but de l’accomplissement de tout être en Dieu. Ce point de transition était nécessaire, voulu par Dieu. Dieu ne voit donc en tout péché que le bien en devenir, la rédemption se frayant sa route. De la sorte, les contradictions absolues étaient adoucies. Au-dessus de la vue empirique se dressait la spéculation. » Wendland, Die religiôse Entwicklung Schleicrmachers, Tubinguc, 1915, p. 187.

Ajoutons ceci qui est essentiel, c’est que Schleiermacher transporte le péché au siège de la religion, c’est-à-dire dans le sentiment. Il ne voit donc pas en lui une déviation ou une défaillance de la volonté, ce qui du reste, étant donné son déterminisme, n’aurait pas beaucoup de sens, mais un malaise du sentiment religieux (Unlustgefùhl) qui arrête notre conscience de Dieu en nous. Le péché originel est, d’autre part, conçu par lui comme une déviation de toute la race, un péché collectif du genre humain en Adam, c’est-àdire une obnubilation du sentiment d’union à Dieu. Cet arrêt, cet empêchement, cet obstacle qui s’oppose à ce que nous nous sentions en Dieu, unis à Dieu, ne faisant qu’un avec lui, c’est cela même qui est le péché. Et Jésus, par l’intensité inégalée et sans nuage de son union à Dieu, se trouve au contraire sans péché et en état de nous racheter en nous ôtant l’arrêt qui pèse sur notre conscience de Dieu. Nous pouvons dès lors définir la rédemption : le passage de l'état de conscience de Dieu arrêtée à l'état de conscience non-arrêtée : Vcbergang aus dem Zusland gehemmlen in den ungehemmten Goltesbewusslseins. Ce passage s’opère par la foi en Jésus-Christ. Cette foi est provoquée par le sentiment du besoin de rédemption. Il faut avoir conscience du malaise causé en nous par l’impuissance à nous unir à Dieu complètement, en vertu de la résistance de la chair à l’esprit, pour avoir soif de rédempt ion, et il suffit d’avoir foi en Jésus en tant que possédant et communiquant la parfaite union à Dieu pour être racheté. Et tout ce mouvement apparaît à la communauté chrétienne comme venant de Dieu et comme lié à l’action rédemptrice de Jésus. Mais, au fond de tout cela, il n’y a que le déroulement dans le temps de l'évolution éternelle de l'être fini voulue par Dieu. Schleiermacher reste fidèle à la tradition protestante en excluant tout mérite humain. Il admet pourtant que la Justification par la foi, fruit immédiat de la rédemption dans le croyant, se traduit par une transformation de la vie tout entière.

Le Saint-Esprit.

Schleiermacher ne retient pas

la doctrine traditionnelle de la prédestination au sens luthérien ou calviniste. Il réduit la prédestination à cette direction imprimée par Dieu à l’ensemble de la création en vertu de laquelle tout converge vers le salut de la créature. Cette direction s’opère sous l’impulsion de l’Esprit-Saint, qui n’est rien de plus, selon Schleiermacher, que l’esprit commun de la vie nouvelle créée par le Christ. Dans cette conception, l'Église conduite par l’Esprit tire de lui tout son pouvoir législatif et disciplinaire, le pouvoir des clés, et le droit de pratiquer la prière commune faite au nom de Jésus. De là découle aussi le droit à la prédication de la parole, ayant pour norme unique le Nouveau Testament, seul inspiré, selon notre auteur, et à l’administration des sacrements, baptême et cène. En ce qui concerne la cène, il faut éviter à la fois la conception d’un réalisme magicpie, qui ne serait cpie superstition et la conception desséchante du rationalisme qui ne voit dans l’eucharistie qu’un geste vide et inefficace. Nous avons rapporté, à ce sujet, les dernières paroles de Schleiermacher à son lit de mort. Il semble que sans vouloir préciser s’il y a ou non, dans l’eucharistie, présence réelle du corps et du sang du Christ, il y voyait un moyen d’union spirituelle avec Jésus, par le sentiment de foi et d’amour que provoque la reproduction de la Cène du Sauveur.

Fins dernières.

Fidèle à son gnosticisme fondamental, Schleiermacher constate que tous les efforts de

la foi chrétienne, au cours des âges, pour prendre pied dans le domaine de l’au-delà sont restés sans résultat. Il ne veut retenir qu’une chose c’est que l’union au Christ par la foi est à jamais indissoluble et que ce sentiment-là suffit à fonder la foi à l’immortalité. C’est ici qu’il convient de se rappeler l'épisode de la mort de son ami, le pasteur Ehrenfried von Willich. Henriette von Willich, veuve éplorée, lui avait écrit, sur un ton déchirant : « Je te prie, par tout ce que tu as de cher et de saint, de me donner, si tu le peux, la certitude que je le retrouverai et le reconnaîtrai. Dis-moi ta foi la plus intime sur ce point, cher Schleiermacher, hélas ! je suis anéantie si cette foi s'écroule ! … » Et le théologien qui devait, deux ans plus tard, épouser Henriette, lui répondait, le 27 mars 1807 : « Une certitude sur cette vie de l’au-delà ne nous est pas accordée, comprends-moi bien, aucune certitude pour l’imagination qui veut tout voir devant elle en images définies, mais par contre c’est la plus grande des certitudes et il n’y aurait rien de certain, si cela ne l'était pas, que, pour l’esprit, il n’y a pas de mort, point de disparition. Mais la vie personnelle n’est pas l’essence de l’esprit, ce n’en est qu’une manifestation. Comment celle-ci se reproduitelle ? nous n’en savons rien, nous n’en pouvons rien savoir, mais seulement l’inventer (dichlen)… C’est pourquoi je puis t’assurer que ton amour aura à jamais ce qu’il désire… Que si ton imagination ne te montre qu’un être fondu dans le grand Tout (in das grosse AU), ne te laisse pas pour cela dominer par un chagrin trop amer et brutal. Songe qu’une telle existence n’est pas morte, mais bien vivante et même le plus haut degré de la vie. C’est dans une telle vie que nous devons, en vérité, tout contempler, c’est à elle que nous devons tendre, afin de vivre dans le Tout et chasser de nous l’apparence selon laquelle nous serions quelque chose de particulier ou pourrions l'être. S’il vit maintenant en Dieu, et si tu l’aimes éterni lliincnt en Di( U, comme tu reconnaissais et aimais Die U en lui, peux-tu penser à quelque chose de plus magnifique el de plus beau ? N’est-ce pas le but le plus ékvé de l’amour, alors que tout ce qui ne tient qu'à la vie personnelle OU epii en découle n’est rien du tout ? » Schleiermachers Briefe, a, '2. p. 89 rq. Il est clair que, dans cet le réponse, Schll ii rmachei fait bon marché de

l’immortalité personnelle. Et pourtant Goethe devait