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SCHISME BYZANTIN ET UNITÉ DE FOI


Christ a lieu au moment où le prêtre répète les paroles du Seigneur : « Ceci est mon corps — Ceci est mon sang. » Il maintint également la doctrine du purgatoire, c’està-dire l’existence d’un état intermédiaire entre le ciel et l’enfer. Soumise à la revision du théologien grec Mélèce Syrigos, l'œuvre du métropolite de Kiev subit de graves corrections sur les deux points indiqués. Voir art. Moghila, t. x, col. 2070 sq. Ainsi corrigé et traduit en grec vulgaire, le catéchisme de Pierre Moghila devint la Confession orthodoxe de l'Église orientale, que les quatre patriarches orientaux approuvèrent en 1643. Mais les Kiéviens refusèrent de s’incliner devant le magistère des Grecs et, sans faire d'éclat, restèrent fidèles aux doctrines qui leur étaient chères. Pierre Moghila, abandonnant son premier catéchisme, rédigea un nouveau catéchisme plus court, publié en 1645, où il maintenait contre la Confession orthodoxe que la transsubstantiation s’opérait par les seules paroles du Seigneur. Les doctrines des théologiens de Kiev, ayant pénétré en Moscovie, s’y heurtèrent à l’opposition des Grecs et des Moscovites devenus leurs disciples. Il ne s’agissait plus seulement de la forme de l’eucharistie, mais aussi de l’immaculée conception que les Kiéviens considéraient comme un dogme de foi, et de la question dogmatico-liturgique de la consécration des parcelles ou Ltspîâeç détachées de la grande hostie dans le rite byzantin. Les Russes méridionaux maintinrent longtemps leurs thèses contre la théologie grecque malgré les anathèmes du concile de Moscou de 1690 tout favorable aux Grecs. Ce ne fut que peu a peu que les doctrines grecques sur les points indiqués réussirent à s’imposer à la théologie russe avec des réserves et des nuances assez marquées.

Au xviiie siècle et dans la première moitié du xixe, les Grecs perdirent toute influence doctrinale en Russie. Durant cette période, les deux Églises grecque et russe s’ignorèrent complètement et suivirent des voies divergentes en matière théologique. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, l'Église russe adopta officiellement les principales thèses du luthéranisme allemand sur l'Écriture sainte considérée comme règle unique de la foi à l’exclusion de la tradition, sur la corruption foncière de la nature humaine par le péché originel, sur la justification par la foi seule, sur la noninspiration des livres deutéro-canoniques de l’Ancien Testament, sur la faillibilité des conciles œcuméniques, sur la négation du caractère sacramentel, de la peine temporelle due au péché pardonné et d’un état intermédiaire entre le ciel et l’enfer, etc. En même temps, elle renonça à la doctrine palamite, qu’elle expulsa de l’office du dimanche de l’orthodoxie, et elle donna place parmi les sacrements à l’onction des tsars. Après avoir pendant longtemps rebaptisé catholiques et protestants, la même Église russe, suivant les conseils des patriarches orientaux, avait renoncé à la rebaptisation des catholiques au concile de Moscou de 1667, et à la rebaptisation des protestants en 1723. A cette date, elle se trouvait d’accord sur toute la ligne avec l'Église grecque pour ce qui regarde la réception des hétérodoxes et la reconnaissance de la validité du baptême par infusion et du baptême des hérétiques en général. Mais cette entente ne dura pas longtemps. Comme nous l’avons dit plus haut, col. 1391 et col. 1392, entre les années 1750 et 1760, alors que l'Église grecque, par un brusque revirement, se décidait à considérer comme des infidèles et à traiter en conséquence les catholiques d3 tout rite, les arméniens et les hérétiques en général, l'Église russe renonçait même à reconfirmer les Latins et tout dissident d’une Église chrétienne ayant conservé le sacrement de confirmation. Elle renonçait aussi, à la même époque, à reconfirmer les apostats ou renégats proprement dits, malgré la pratique contraire consignée dans la Confession orthodoxe, pratique

qui implique la négation du caractère sacramentel indélébile et à laquelle reste attachée l'Église grecque.

On pourra trouver que ces divergences doctrinales étaient assez graves pour déterminer une rupture. Mais il n’en fut rien. D’un côté comme de l’autre, on garda le silence le plus complet. Le silence, on le garde encore, malgré la persistance de plusieurs des divergences indiquées, notamment de celles qui ont trait au baptême des hétérodoxes, à la reconfirmation des apostats, à l’onction des tsars. Notons que plusieurs des infiltrations luthériennes dans la théologie russe des xviiie et xixe siècles ont fini par pénétrer dans la théologie des Grecs contemporains, où elles sont reçues à titre d’opinions théologiques librement débattues. Signalons parmi ces nouveautés la négation de l’inspiration des livres deutéro-canoniques de l’Ancien Testament, la négation du caractère indélébile de l’ordre, le rejet de la peine temporelle due au péché remis par l’absolution sacerdotale. Autres divergences liturgico-dogmatiques actuellement existantes entre l'Église russe et l'Église grecque : 1. La première n’administre l’extrême-onction ou euchelæon qu’aux malades ; la seconde confère ce sacrement aussi aux bien portants pour la rémission des péchés, comme préparation à la communion ; 2. L'Église russe tolère une addition au symbole chez ses Uniates ou Edinoviertsy = ( Starovières unis) ; l'Église grecque défend toute addition, même purement verbale. De plus, un certain nombre de théologiens russes, au vu et au su de leur Église, ont renoncé au dogme photien de la procession du Saint-Esprit a l’aire solo, et enseignent la procession du Saint-Esprit a Pâtre per Filium, voire même a Paire et Filio, rayant cette question du nombre des différences dogmatiques entre l'Église catholique et l'Église orthodoxe d’Orient ; 3. L'Église russe a adopté comme forme du sacrement de pénitence une formule indicative calquée sur l’absolution du rituel latin ; l'Église grecque s’en lient aux anciennes formules, qui sont toutes déprécatives.

En terminant cette question de l’unité de foi entre les Églises autocéphales, donnons un exemple typique de la désinvolture avec laquelle l'Église russe a traité la foi grecque. En 1723, alors que Pierre le Grand venait de promulguer le fameux Rèf/lement ecclésiastique, les patriarches orientaux envoyèrent au SaintSynode russe la confession de foi de Dosithée de Jérusalem et la lui recommandèrent comme l’expression de l’orthodoxie, ëxôemç tîjç ôpOoSo^îaç, à laquelle il fallait s’en tenir dans les négociations unionistes avec la secte anglicane des non-jureurs. Depuis ce temps, la confession de Dosithée a été connue en Russie sous le nom de Lettre des patriarches. Mais on la laissa dans l’oubli pour un siècle, car elle contredisait ouvertement les thèses protestantes chères au rédacteur du Règlement ecclésiastique, Théophane Procopoviè. On ne l’en tira qu’en 1838, lorsque le haut-procureur du Saint-Synode, Protasov, ordonna au clergé russe de revenir à l’orthodoxie du xvir 3 siècle. On en publia alors à Pétersbourg une traduction russe destinée aux étudiants des académies ecclésiastiques et des séminaires. Mais ce n'était pas impunément qu’on avait feuilleté pendant près d’un siècle les manuels de théologie du luthéranisme allemand. Malgré l’ordre de Protasov, le métropolite de Moscou, Philarète Drozdov, chargé d'éditer l'œuvre de Dosithée, ne put se résoudre à en respecter tout le contenu, qui sur certains points était inconciliable avec la croyance et la pratique russes de l'époque, et il fit hardiment plusieurs coupures. Voir l’article Philarète, t.xii, col. 1382 sq. Au xviie siècle, les Grecs avaient corrigé un catéchisme russe par la plume de Mélèce Syrigos ; au xixe, les Russes corrigeaient une profession de foi grecque par la main de Philarète. Les Grecs ne paraissent pas s’en être jamais douté.