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ROUSSEAU. IDÉES P H ILOSOP HICO-RELIG IE USES


siquement, Rousseau ne se le demande pas. Il ne se. place que sur le terrain moral. Or ici, une révélation parait en contradiction avec l’ordre providentiel dont la Nature est l’expression. Seules peuvent donc être révélées, parce qu’alors plus accessibles au grand nombre, les vérités dont « la lumière intérieure » peut rendre certain. Pourquoi Dieu voudrait-il que je le serve « autrement que selon les lumières qu’il donne à mon esprit et les sentiments qu’il inspire à mon cœur ? » Profession, p. 132. Et à quoi bon ? Que peut-on « ajouter pour la gloire de Dieu, pour le bien de la société, pour mon propre avantage aux devoirs de la loi naturelle ?… Voyez le spectacle de la Nature, écoutez la voix de la conscience, Dieu n’a-t-il pas tout dit ainsi ? Ibid., p. 133. D’ailleurs les révélations… ne font que dégrader Dieu, en lui donnant des passions humaines. Loin d'éclaircir les notions du grand Être, les dogmes particuliers les embrouillent ; loin de les ennoblir, ils les avilissent ; …aux mystères qui les environnent, ils ajoutent des contradictions absurdes. Dans Mandement de M. de Beaumont, § 12, loc. cit., p. 750. Cf. Profession, p. 133. Et l’homme « ils le rendent orgueilleux, intolérant, cruel. Je n’y vois que les crimes des hommes et les misères du genre humain. » Ibid.

Comment ensuite, parmi les religions qui se disent révélées et qui ont chacune leurs partisans, reconnaîtrai-je la vraie ? Dieu ne m’a pas parlé à moi et « il me faut des raisons pour soumettre ma raison ». Ibid., p. 139. S’il y a une révélation divine « que Dieu… punisse de méconnaître, il lui a donné des signes certains et manifestes, …de tous les temps et de tous les lieux, également sensibles à tous les hommes ». Ibid. Or, toutes s’appuient sur des affirmations humaines qui prétendent se prouver par le miracle. Que faut-il en penser ?

Rousseau a écrit du miracle à trois reprises coup sur coup dans la Profession de foi, p. 143-149, dans la Lettre à Beaumont, loc. cit., p. 785-788, et surtout dans la troisième des Lettres écrites de la montagne, loc. cit., p. 25-38.

Métaphysiquement, que le miracle soit possible à Dieu, « cette question …serait impie, si elle n'étai 1 : absurde. Troisième Litre de la montagne, loc. cit., p. 29. Mais, du point de vue moral, Rousseau 'e rend impassible, sans se prononcer, « les plus grandes idées que nous puissions avoir de la sagesse et de la majesté divine étant pour la négative ». Ibid., p. 30. D’un autre côté, le miracle ne m’offre aucune certitude. Je n’en vois pas, je ne puis donc le connaître que par le témoignage. Mais alors « que d’hommes entre Dieu et moi ». Profession, p. 141. J’ai besoin d’une garantie divine ; je ne trouve que des garanties humaines. Et « mille hommes viendraient me dire qu’ils ont vu un miracle que je ne les croirais pas ». Troisième lettre de la montagne, p. 30. Le miracle est invérifiable. « Pour en jugci, il faudrait connaître toutes les lois de la nature », et l'étude de la nature ne cesse de révéler des merveilles naturelles. Puis toutes les religions invoquent des miracles en leur faveur. Comment distinguer lus miracles en faveur de la vraie doctrine des autres ? Par la doctrine ? Mais alors à quoi serventils si la vraie doctrine est déjà prouvée ? Ibid., p. 33. Enfin il ne semble pas qu’il y ait un lien nécessaire entre le miracle et la doctrine. « Jésus n’a-t-il pas refusé aux Juifs de se prouver par des miracles ? Luther et Calvin n’ont-ils pas été crus sans miracles ? » Ibid., p. 27-29 ; Deuxième lettre de la montagne, p. 23 24. Cf. E. Rruneteau, Quelques théories éliminatrices du miracle, v. J.-J. Rousseau, dans Revue pratique d’apologétique, 1 er juin 1915, p. 229-232 et ici, Miracle, t. x, col. 1788-1789.

Qu’importe le miracle d’ailleurs. Deux choses seules permettent d’apprécier une religion : la doctrine

comparée « aux notions que la raison nous donne de l'Être suprême et du culte qu’il veut de nous » et « ses effets temporels et moraux sur la terre …le bien et le mal qu’elle peut faire à la société et au genre humain ». Lettre ù Beaumont, loc. cit., p. 776-777. Si donc une religion montre « un Dieu qui commence par se choisir un seul peuple et qui n’est pas le père commun des hommes, qui destine au supplice le plus grand nombre de ses créatures, ce Dieu n’est pas le Dieu clément et bon que ma raison m’a montré », Profession, p. 147-149, et cette religion n’est pas la vraie.

b) Critique du catholicisme en particulier. — - Julie mourante, loc. cit., p. 363 et Rousseau, Lettre à Beaumont, loc. cit., p. 772, exaltent le protestantisme comme « la religion la plus raisonnable et la plus sainte », et dans sa Seconde lettre de la montagne, loc. cit., p. 21, Rousseau se vante d’avoir combattu les dogmes proprement catholiques. Il ne reconnaît aucune autorité à l'Église. Malgré « un grand appareil de preuves », cette autorité, invérifiable pour la masse, n’a d’autre base que cette affirmation de l'Église : « Je décide que je suis infaillible, donc je le suis. » Cf. Profession, p. 165. Et, d’une part, le catholicisme enseigne l’absurde — dans la transsubstantiation, par exemple — d’autre part, ses effets sont funestes. Il est anti-social : il oppose l’autorité à l’autorité ; il est intolérant : liors de l'Église point de salut ; « insistant plus sur le dogme que sur les devoirs », oublieux de l’esprk du Christ « qui n’ordonnait de croire que ce qui était nécessaire pour le salut », il fait « des fidèles toujours sûrs d'être bons chrétiens pourvu qu’on ne brûle pas leurs livres et qu’ils ne soient pas décrétés » et un clergé « indifférent à la cause de Dieu, pourvu que la sienne soit en sûreté ». Lettre ù Beaumont, p. 792, 772, 791. Rousseau n’aurait pas été de son temps s’il n’eût pas blâmé le célibat ecclésiastique. Profession, p. 23 et n. 1.

c) Critique du calvinisme, orthodoxe. — Les reproches qu’il adresse au catholicisme retombent, il le sait et il y consent, sur le calvinisme orthodoxe, qui a un Credo où des mystères sont acceptés et qui prétend l’imposer. Mais personne n’a mieux souligné que lui la contradiction où se trouvent les orthodoxes par rapport à la vraie Réforme. La Réforme à ses origines, dit-il, se ramène à « ces deux points fondamentaux : reconnaître la Bible pour règle de sa croyance et n’admettre d’autre interprète du sens de la Bible que soi », autrement dit que ses lumières naturelles. Dj li, pour le protestantisme, l’obligation de la tolérance. Avec « leurs formules de profession de foi », avec ljur intolérance doctrinale, les Églises orthodoxes sont donc hors de leur voie. Deuxième lettre de la montagne, loc. cit., p. 17 sq. Cf. J. Gaborel, Calvin et J.-J. Rousseau, in-16, Genève, 1878.

3. La vraie religion selon Jean-Jacques.

Distinguant la « religion de l’homme », membre de l’humanLé, et la « religion du citoyen », membre d’une nation, Contrat social, p. 322, il juge que la religion naturelle, « le vrai théisme », est la vraie religion, parce que commune à tous les hommes, n’imposant que des dogmes accessibles à la lumière naturelle et la morale éternelle ; enfin se présentant à l'état de religion pure, c’est-à-dire « sans temples, sans rites, sans autels, bornée au culte intérieur du Dieu suprême » — le culte extérieur étant un cérémonial — et « aux devoirs éternels de la moral ? ». Ibid. ; cf. Profession de foi, p. 132, 133 et sq. Ce ne sera donc pas une religion philosophique, appuyée sur des démonstrations métaphysiques, qui ne serait qu’une laborieuse théodicée. A ce théisme, il assimile, Contrat social, loc. cit., « la pure et simple religion de l'Évangile », parce que, dans l'Évangile, se retrouvent les dogmes du théisme, les principes de la morale éternelle, et qu’il faut adorer