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SCHISME BYZANTIN. ESSAIS D’UNION


même contre certains prélats latins. Ses interventions

en faveur des spoliés n’eurent pas grande efficacité. Ses légats eux-mêmes manquèrent souvent de tact et de mesure. Si le cardinal Benoît de Sainte-Suzanne se montra partisan des mesures pacifiques et alla même jusqu'à faire cette déclaration d’un opportunisme hardi pour l'époque : « Je crois que la diversité des roui unies ecclésiastiques ne peut faire aucun tort aux Eglises qui ont pris racine dans une croyance unique et que, par elle-même, elle ne saurait constituer un schisme », son successeur, l’Espagnol Pelage d’Albano, vint en Romanie avec les dispositions d’un inquisiteur farouche. Il voulut obliger par la force le clergé et les moines byzantins à reconnaître publiquement la primauté du pape. Les mesures de rigueur auxquelles il eut recours créèrent de sérieux embarras au gouvernement d’Henri de Flandre, qui dut intervenir en faveur des persécutés. Finalement, il dut se résigner à n’obtenir pour le pape que l’acclamation qui était de règle pour les empereurs byzantins à la fin des offices liturgiques : » Longue vie au seigneur Innocent, papede l’ancienne Rome ! » Cf. Achille Luchaire, Innocent III. La question d’Orient, Paris, 1907, p. 229-261. Innocent III lui-même, tout en réprouvant les excès commis en 1204, visait à une latinisation modérée de l’Orient, obtenue par l’emploi de la persuasion et de la douceur. N’avait-il pas écrit à l’empereur Baudouin, dès le début de l’occupation : « L’empire est passé des Grecs aux Latins ; il faut aussi que les rites soient changés. Il importe qu'Éphraïm, revenu au pays de Juda, se nourrisse avec les azymes de la sincérité et de la vérité, après s'être débarrassé de l’ancien ferment. » Potthast, Regesta poniificum, n. 2498. Ses instructions au patriarche latin de Constantinople, Morosini, tendaient au même but. Interrogé, en 1206, pour savoir si l’on devait permettre aux Grecs de célébrer les offices religieux selon leur rite, ou s’il fallait les contraindre à pratiquer les usages latins, il répondit qu’on devait les laisser libres de suivre les formes byzantines, si l’on ne pouvait les amener au rite latin, « au moins jusqu’au moment où l’autorité romaine prendrait sur ce point une décision ». S’il ne veut pas qu’on réordonne selon le rite latin les prélats ordonnés selon le rite byzantin — on est étonné que des évêques latins aient hésité sur cette question — il oblige à l’ordination latine ceux des Grecs qui seront désormais promus àl'épiscopat, après avoir reconnu l’obédience de l'Église romaine. Voir l’article Innocent III, t. vii, col. 1975.

On se montra sans doute plus tard moins intransigeant. Aux conciles unionistes de Lyon et de Florence, il fut entendu que les Grecs conserveraient leurs rites et leurs usages. Mais ces déclarations générales" ne supprimèrent pas les privilèges du rite latin là où dominait une autorité latine. Elles n’empêchèrent pas des inquisitions inopportunes et des exigences non justifiées sur des points de détail, telles celles des successeurs de Grégoire X après le concile de Lyon spécialement pour ce qui regarde l’addition du Filioque au symbole. Cf. l’article Lyon (IIe concile de), t. ix, col. 1392-1410.

Il n’est pas étonnant qu’avec de pareilles méthodes et de semblables procédés on ait abouti à un résultat tout opposé à celui que l’on recherchait. Non seulement l’union ne se fit pas, mais, comme le remarquèrent plusieurs auteurs tant du côté latin que du côté grec, la conséquence finale de ces tentatives d’union fut d'élargir le fossé de la séparation. Ces tentatives, en effet, eurent pour effet de multiplier le nombre des griefs et des divergences et d’entretenir l’esprit d’animosité et d’aversion réciproques.

N’exagérons rien cependant. Ces essais de rapprochement produisirent aussi quelques bous résultats. Ils aboutirent parfois à diminuer le nombre et à

modérer le ton des controverses. A Byzance, en effet, il y eut toujours, pour ce qui regarde les relations avec les Latins, deux tendances opposées. À côté du part i des intransigeants et des irréductibles, apparaît la petite faction des théologiens attentifs à la politique impériale. Si les orthodoxes purs poussaient les hauts cris chaque fois qu’il était question d’union, les latinophrones s’appliquaient à montrer que, peu de chose, au fond, séparait les deux Églises et qu’on pouvait arriver à une entente moyennant quelques concessions réciproques. II y eut même une catégorie de latinophrones qui poussèrent plus loin l’esprit d’accommodement et soutinrent franchement les thèses latines et catholiques. S’ils ne furent pas très nombreux, ce furent presque tous des hommes remarquables par leur science et leur vertu. C’est ainsi que déjà, sur la fin du xie siècle, les Latins trouvèrent un défenseur en la personne de Théophylacte archevêque de Bulgarie. Sans doute, il n’alla pas jusqu'à se rallier au pape, mais il fit le procès des polémistes outranciers qui s’attachaient aux futiles divergences relevées par les disciples de Gérulaire. Il capitula sur la question des azymes et s’efforça de trouver un compromis sur celle du Filioque. Voir sa lettre au diacre Nicolas De iis quorum Latini incusantur, dans P. G., t. cxxvi, col. 221 sq. Au siècle suivant, Nicétas de Maronée, archevêque de Thessalonique, et le philosophe Théorianos se font les collaborateurs de la politique unioniste de Manuel Comnène sur le terrain de la théologie. Nicétas reconnaît explicitement le dogme de la procession du Saint-Esprit, mais demande aux Latins de sacrifier l’addition du Filioque au symbole. Au xiiie siècle, le nombre des théologiens unionistes augmente. Le savant moine Nicéphorc Blemmidès entre dans les vues de Théodore II Lascaris et de Michel Paléologue et prépare l’union de Lyon, que le patriarche Jean Beccos et ses dévoués collaborateurs, Georges le Métochite et Constantin Mélitiniotès, défendent jusqu'à la mort. Le xiv c siècle voit la théologie latine mise à la portée des Byzantins par les traductions augustiniennes et thomistes de Maxime Planude et des deux Cydonès, Démétrius et Prochore, par les écrits originaux du même Démétrius Cydonès et de son disciple Manuel Calécas, sans parler d’autres traductions grecques d’ceuvres latines faites par des missionnaires. En même temps commence en Italie le mouvement de la Renaissance, qui a pour effet de dissiper bien des préjugés occidentaux sur le compte des Grecs et de rapprocher entre eux les esprits supérieurs dans les deux camps. Ce mouvement s’accentue dans la première moitié du xve siècle avec des hommes tels que Georges Scholarios, Bessarion, Georges de Trébizonde. De tout cela il résulte une connaissance mutuelle plus sérieuse, qui engendre l’estime et atteint le schisme dans l’une de ses causes les plus profondes. Ajoutons que les unionistes byzantins, mieux que nos théologiens scolastiques, expliquèrent la doctrine trinitaire des Pères grecs et, en particulier, du dernier de tous, saint Jean Damascône, et montrèrent leur accord foncier avec les Pères latins sur la question de la procession du Saint-Esprit.

/II. COUP D'ŒIL SUR LES PRINCIPAUX ESSAIS D’UNION. — Rien ne montre mieux le caractère épisodique des événements de 1054 que les essais d’union qui se produisirent peu d’années après. Une première démarche fut faite par le pape Alexandre II (1061107.1), à l’avènement de l’empereur Michel VII Doucaa (1071-1078). L’opposition irréductible du philosopheministre Michel Psellos et du patriarche Jean Xiphilin (1063-1075) réduisirent à néant les esp >irs d’union.

L’année suivante, les rôles étaient renversés. Devant les progrès des Turcs, ce fut Michel VII qui se tourna vers le pape Grégoire VIL nouvellement élu,