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ROUSSEAU. IDÉES P H l LOSO I* H ICO-R E LI G I E USES


d’intelligence, de puissance, de volonté que j’ai rassemblées et relie de bonté qui en est une suite nécessaire ». Profession, p. (12..Mais je ne puis rien savoir au-di là. « S’il a crée, je n’en sais rien. L’idée de création… passe ma portée. Il est éternel, sans doute, niais mon esprit ne peut embrasser l’idée d'éternité. …Il est intelligent, mais comment ? » Ibid., p. 94-95. Dieu est i l'être incompréhensible ». Troisième lettre ù M. de Malesherbes, dans Correspondance, t. x, p. 306.

Sûr de Dieu, de sa justice et de sa bonté, donc de l’ordre moral, l’homme ne peut rendre la Providence responsable du mal. « Le mal moral est incontestablement notre ouvrage ; le mal physique ne serait rien sans nos vices qui nous l’ont rendu sensible. » Et c’est encore parce que l’homme a faussé sa nature que le mal est entré dans le monde. « C’est l’abus de nos facultés qui nous rend malheureux… Otez nos funestes progrès, nos erreurs et nos vices, ôtez l’ouvrage de l’homme et tout est bien ». Profession, p. 79 et 81. Cf. Lcllrc à Voltaire du 18 août 1 75(1 ou Lettre sur la Providence. Voir col. 106.

3° L’homme : « L’homme naît bon ; c’est la société gui le déprave. » — Dans la nature ou l’ordre providentiel (les choses, l’homme, seul capable de penser, de juger, surtout de se déterminer librement, occupe incontestablement le premier rang. Que peuvent les objections d’IIclvétius, de Diderot contre ce fait : J’ai le sens intime de ma liberté. Profession, p. 67-74. Ma liberté explique aussi le mal. Voir plus haut. Il y a donc en l’homme un principe immatériel, l'âme. Est-elle immortelle ? Pourquoi non ? « Si elle est immatérielle, elle peut survivre au corps. » Si elle l’est, « la providence est justifiée », ibid., p. 84 et mon sentiment intérieur de justice satisfait. L’est-elle par nature ? Je ne sais ; « mon entendement ne conçoit rien sans bornes. » P. 86. Et qu’importe ? Les bons seront récompenses et les méchants punis, mais comment ? Chose certaine : nous restons nous-mêmes et le souvenir de ce que nous avons fait, alors que « la beauté de l’ordre frappera toutes les puissances de notre âme », et que « la voix de la conscience reprendra sa force…, fera la félicité des bons et le tourment des méchants. La volupté pure qui naît du contentement de soi-même et le regret amer de s'être avili, distingueront par des sentiments inépuisables le sort que chacun se sera préparé. » P. 88. Ainsi le veulent la bonté de Dieu et les lois de l’ordre plus encore que le mérite de l’homme. P. 89. Y aura-t-il après la vie « d’autres sources de bonheur et de peines » ? Je ne sais. P. 88. Le malheur des méchants sera-t-il éternel ? Je ne sais, mais « qu’est-il besoin d’aller chercher l’enfer dans l’autre vie ? Il est dès celle-ci dans le cœur des méchants. » P. 90.

Comment l’homme est-il apparu sur la terre ? Rousseau ne s’en inquiète pas. De l'élévation de l’homme à l'état surnaturel, du péché originel et de ses conséquences, il est encore moins question. Rousseau distingue cependant, tout comme la révélation, trois phases dans la vie de l’humanité. L. Routroux, Remarqu.es sur la philosophie de Rousseau dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 265-274.

1. Une phase privilégiée, où l’homme est bon et heureux, parce qu'à l'état de pure nature. Il est bon alors, non au sens chrétien, ni en ce sens qu’il eût obéi volontairement à la loi morale, mais en ce sens que. obéissant uniquement à ses instincts et d’abord à l’instinct de conservation, sans lien social, sans obligation à l'égard de qui que ce soil, avec des besoins t res courts, sans vie intellectuelle, i ! ne nuit à personne. En ce sens plus élevé aussi que ses Instincts naturels l’ordonnant à son bien propre, ils l'établissent dans l’ordre universel. Il est heureux en ce sens que ses

désirs et ses besoins sont satisfaits. C’est la phase de l’instinct plus que de l’intelligence, de l’individualité, de l'égalité et de l'état providentiel de l’homme.

2. La chute ou le péché. Par une loi de son développement et devant certaines difficultés, l’homme fit appel à ces deux moyens qui multipliaient sa force : l’intelligence qu’il tenait de la nature et l’association qui ne répugnait pas à un sentiment à lui naturel de sympathie. Rien de mal jusqu’ici. Mais, capable d’erreur et d’excès, parce que libre, l’homme ne sut pas maintenir l’intelligence et l’association dans le sens et les limites que voulait la bonne nature. L’intelligence se subordonna le sentiment auquel la nature a réservé le primat de l'âme ; et alors se formèrent « sans préoccupation des fi îs de l’individu, c’est-à-dire des fins naturelles de l’homme, et au mépris de l'égalité naturelle de tous, les groupes appelés sociétés et dans ces sociétés se développèrent, sous le nom de lettres et d’arts, des créai ions où l’esprit dominait le cœur et qui, par suite, n'étaient elles-mêmes que des instruments de corruption ». Routroux, loc. cit., p. 266-267. C’est vraiment un état de péché, d’inégalité, d’esclavage, de chute.

3. Le relèvement. L’homme est-il condamné à vivre toujours hors de sa nature ? Non. Peut-il donc revenir en arrière ? Ce serait impossible et funeste : si l’homme en passant de l'état individuel à l'état social a perdu certains avantages, il en a gagné d’autres et considérables. Cf. col. 104. Et les abus eux-mêmes — on l’a vu par Julie — peuvent être des instruments de régénération. Il s’agit de concilier avec les avanuiges de l'état de nature ceux de l'état social, dans l’individu, dans la famille et dans la société. Et c’est à cette tâche que Rousseau a prétendu s’appliquer. Sur ces points, voir en particulier les deux Discours et le Contrat social ; cf. A. Schinz, La théorie de la bonté naturelle de l’homme chez Rousseau, 2 in-4°, Paris, 1913-1914.

4° L’homme et Dieu, ou la religion. — On trouvera surtout ces idées dans : Lettre à d’Alemberl (début), t. iii, p. 115-118 ; la Nouvelle Hélolse, principalement la profession de foi de Julie mourante, part. VI, lettre xi, t. ii, p. 362 sq., et aussi, lettre viii, p. 353356 ; la Profession de foi du vicaire savoyard ; le Contrat social, t. IV, c. vin ; Lettre à M. de Beaumont et Lettres écrites de la montagne.

1. Nécessité individuelle et sociale de la religion. — Depuis Ravie, qui a posé en principe que la morale est indépendante de toute croyance religieuse et de toute spéculation métaphysique, les philosophes soutiennent que l’on peut être honnête homme sans religion et qu’une société d’athées pourrait constituer une véritable société. Et cela pour trois raisons : « Jamais la vérité ne peut rendre malheureux », d’Holbach, Système, de la nature, 2 vol. in-8o, t. ii, Londres, 1770, p. 201. Il y a des athées honnêtes gens et combien de crimes ont été commis au nom de la religion. Enfin « la religion n’a été inventée que pour éviter aux souverains le soin d'être justes ». Helvétius, De l’esprit, Paris, 1758, in-4o, p. 24. Cf. P. -M. Masson, Rousseau contre Helvétius, dans Revue d’histoire littéraire, t. XVIII, p. 103-124. Contre eux, Rousseau soutient que « l’oubli de toute religion conduit à l’oubli des devoirs de l’homme » et il parle avec mépris de « la morale d’un athée ». Profession de foi, p. 7. D’autre part < jamais Etal ne fut fondé que la religion ne lui servit de base », Contrat social, p. 322, et le souverain a le droit et presque le devoir d’imposer à ses sujets tels dogmes « comme sentiments de sociabilité » et de ne pas tolérer les alliées. Ibid., p. 330. Mais quelle religion ? Certainement pas une religion révélée.

2. Critique des religions révélées.

a) Critique de la révélation en général. - Qu’elle soit possible méWiphy-