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SCHISME BYZ. PHOTIUS


lettres au pape Nicolas, et que ce dernier signale à l’attention d’Hincmar de Reims et de ses collègues de France. Epist., clii, P. L., t. cxxi, col. 1157 BC. C’est surtout par sa convocation d’un concile œcuménique aux fins de juger le pape Nicolas, de le déposer, de recevoir contre lui des appels venus de l’Occident, par son appel à l’empereur Louis II et à sa femme Ingelberge pour faire exécuter sa sentence, par son envoi enfin d’une ambassade pour notifier à Nicolas luimême sa déposition, qu’il a usurpé de fait la primauté. Sans doute, il n’ose porter tout seul la sentence ; il veut s’entourer des autres patriarches pour donner à son acte une portée œcuménique. Mais on voit tout ce qu’implique une pareille conduite.

C’est encore Photius qui, à l’occasion de son schisme, se charge de réveiller les antipathies ethniques et de dire son mépris pour les barbares d’Occident. L’Occident est pour lui le pays des ténèbres, d’où il ne peut sortir rien de bon. Dans son Encyclique aux patriarches orientaux, il nous dépeint les missionnaires latins de Bulgarie comme des sangliers sauvages, sortis des ténèbres de l’Occident pour aller dévaster la jeune vigne du Seigneur. P. G., t. en, col. 724. Il n’est pas plus aimable dans sa Myslagogie du Saint-Esprit, 81 : « Considérez, ô aveugles ; sourds, écoutez, vous qui êtes assis au milieu des ténèbres de l’Occident hérétique, oûç tô cxÔtoç yiccièyei tî ; ç alpETixîjç èyy.'xQr l tj.évojç Sùoîwç. » Ibid., col. 365. Car avec Photius l’Occident devient le pays de l’hérésie.

L’affaire bulgare vint, en plein schisme photien, envenimer les relations entre Rome et Constantinople et cette affaire est en étroite connexion avec la constitution des patriarcats. Dépouillée de la juridiction patriarcale sur FIllyricum oriental par l’injuste décret de Léon l’Isaurien, l'Église romaine ne manquait pas une occasion de réclamer aux empereurs byzantins la restitution des provinces ecclésiastiques enlevées. Nicolas I er, dans sa lettre au basileus, datée du 25 septembre 860, Jafîé, Regesta, n. 2682, formulait déjà cette réclamation. Lorsque le roi des Bulgares, Boris, se fut converti au christianisme et que peu de temps après il eut demandé des missionnaires latins, on crut avoir à Rome deux raisons au lieu d’une pour revendiquer la juridiction sur la Bulgarie ; mais aucune n'était parfaitement adéquate, car la raison historique basée sur l’ancienne possession de l’Illyricum oriental ne valait que pour une petite partie du nouveau royaume. Cf. art. Photius, col. 1571. uan t au titre d'évangélisation, Constantinople pouvait aussi le mettre en avant et prétexter la priorité. De là le côté particulièrement délicat et irritant de cette question bulgare.

3° Exploitation de la « matière du schisme ». — Nous voyons enfin dans le schisme photien l’exploitation de ce que nous avons appelé la matière du schisme, les nids à querelle, exploitation qui a été facilitée par la diversité des langues et l’ignorance réciproque dans le domaine théologique.

L’offensive qu’avait esquissée le concile in l’rullo, Photius l’a reprise sur le ton de la guerre déclarée. Sur les cinq griefs qu’il élève contre les missionnaires latins de Bulgarie et par le fait même contre l'Église occidentale en général, trois sont empruntés au concile in Trullo, à savoir le célibat des clercs, le jeûne des samedis de carême et l’usage des œufs et du laitage durant la première semaine du carême. Les deux autres : celui qui a trait à la réitération de la confirmation administrée par un simple prêtre et celui qui regarde « l’addition » au symbole et la doctrine qu’il exprime, viennent de Photius lui-même. Quant aux quatre autres accusations signalées par le pape Nicolas I er dans sa lettre aux évoques francs : offrande d’un agneau sur l’autel, le jour de Pâques, à la manière des juifs ; confection du saint-chrême avec de l’eau de

rivière ; ordination per saltum d’un simple diacre à l'épiscopat ; coutume des clercs romains de se raser. on les trouva formulées dans les documents que les légats romains apportèrent de la cour bulgare. Si on ne peut les attribuer directement à Photius, il est sûr qu’elles furent répandues en Bulgarie par les missionnaires qu’il y avait envoyés.

Il va sans dire que le plus grave de tous ces griefs était celui qui regardait l’addition du Filioque au symbole et la procession du Saint-Esprit du Père et du Fils. Sur ce point Photius n’innovait pas complètement. Comme nous l’avons dit plus haut, des controverses s'étaient déjà élevées entre Grecs et Latins sur cette question. Mais celle-ci n’avait pas été éclaircie à fond. C’est sur elle que Photius, sur la fin de sa vie, fit porter tout le poids de sa polémique antilatine, après avoir renoncé à ses autres griefs. Il en arriva à formuler une doctrine qui est une véritable hérésie, opposée aussi bien à l’enseignement des Pères grecs qu'à la doctrine des Pères latins. Chose curieuse, ni les Latins ni les Grecs de cette époque n’y prêtèrent grande attention. On n’en souffla mot au concile œcuménique de 869-870, et au synode de Sainte-Sophie de 879-880 on se contenta de proscrire d’une manière générale tout changement, toute addition au symbole « tant que ne s'élève pas quelque nouvelle hérésie suscitée par le Malin », sans toucher à la doctrine exprimée par le Filioque.

Nous découvrons donc, dans le schisme photien, l’influence de tous les éléments de discorde que nous avons signalés dans le premier paragraphe. Ce qu’il y a de plus grave en tout cela, le fait nouveau qui distingue ce schisme des précédents, c’est l’attitude d’offensive directe prise par Photius contre le pape, et toute l'Église d’Occident. De cette Église l’on critique et l’on condamne non seulement certains rites et usages mais l’on attaque sa foi elle-même touchant le mystère fondamental de la religion chrétienne, le mystère de la Trinité. Alors que, dans les schismes précédents, c'était Byzance qui avait roulé dans l’hérésie, Photius prétend, cette fois, que l’hérétique c’est l’Occident.

En fait, la manœuvre échoua piteusement. Tentée dans un accès de colère, elle perdit toute sa portée par suite des palinodies de son auteur. Pour les contemporains, qui connaissaient l’attitude première de Photius à l'égard du pape et de l’Eglise romaine, il était clair que les griefs relevés dans l’encyclique aux Orientaux avaient été dictés non par le souci de défendre l’orthodoxie mais par un orgueil blessé. Photius reconnut plus tard lui-même la fausseté de cette position et revint à sa première manière d’envisager les divergences rituelles et disciplinaires entre les Églises. Au synode de Sainte-Sophie de 879-880, il fit approuver le canon suivant, que ne respecteront malheureusement pas les polémistes de l’avenir : « Chaque siège observe certaines coutumes anciennes, qui lui ont été transmises par la tradition et il ne faut point entrer en contestation ni en litige à ce sujet. L'Église romaine se conforme à ses usages particuliers et cela convient. De son coté, l'Église de Constantinople conserve aussi ses coutumes, qu’elle tient d’une antique tradition. Les sièges orientaux en font autant. » Actio I Y. Ilardouin, Concil., t. vi, col. 312.

Même inconséquence dans ses attitudes successives à l'égard du pape et de sa primauté. Avant d'être déposé par Nicolas I er, il reconnaît explicitement cette primauté tant par ses actes que par ses écrits, et plus encore par ceux-là que par ceux-ci. Condamné, il la nie et la combat dans plusieurs opuscules. Puis, de nouveau, il s’incline devant Jean VIII, « son Jean », comme il dit dans la Myslagogie du Saint-Esprit. Sans doute, au synode de Sainte-Sophie, où le pape aurait voulu qu’il demandât pardon des scandales du passé, il