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SCIIEEBEN (M AT III AS-JOSE PII)


théologie à l’Université grégorienne, comme élève du Collège germanique. Pendant les sept années qu’il passa dans la Ville éternelle, il fut le disciple des protagonistes du mouvement néoscolastique, tels que Perrone, Franzelin, Patrizzi, Passaglia, Liberatore, Schrader et Kleutgen, et conquit le grade de docteur en philosophie et en théologie. Ordonné prêtre le 18 décembre 1858, il retourna au printemps suivant à son diocèse d’origine. Après avoir été durant quelques mois aumônier du pensionnat des ursulines à Munstereifel, il fut nommé professeur de dogme au grand séminaire de Cologne. Il exerça cette fonction depuis l’automne de l’année 1860 jusqu'à sa mort qui survint le 2t juillet 1888.

L’activité littéraire de Scheeben est très considérable. En 1860, il publia une collection de méditations et de poésies en l’honneur de la sainte Vierge, sous le titre de Fleurs mariâtes des jardins des saints Pères de l’Eglise et des poètes chrétiens ( Marienblùten aus den Gàrlen der heiligen Vàler und der christlichen Dichter). L'étude intitulée Nature et grâce, essai d’un exposé systématique et scientifique de l’ordre naturel et surnaturel de la vie de l’homme (Natur und Gnade, Versuch einer systemalischen und wissenschafllichen Darstellung der natùrlichen und ùbernatùrlichen Lebensordnung des Menschen), qu’il publia en 1861, le classa d’emblée parmi les coryphées de la théologie spéculative. Scheeben y expose que la grâce amenant une participation de l’homme à la manière d'être divine, implique un état d'êtte, de vie et de connaissance semblable à celui de Dieu. Dans le but de donner une base positive à sa doctrine de la grâce, Scheeben fit paraître l’année suivante (1862), une nouvelle édition de l’opuscule de saint Pierre Canisius, intitulé Quid est homo, sive controversiæ de statu naturæ puræ. Afin de mettre sa doctrine de la grâce à la portée d’un plus grand public, Scheeben publia en 1863 sous le titre de Magnificences de la grâce divine (Die Hcrrlichkeiten der gôttlichen Gnade), une adaptation d’un ouvrage vieux de deux siècles, l' Apprecio ed estima de la divina gracia que le jésuite Eusèbe Nierenberg avait écrit au xvii c siècle. Cette publication eut de nombreuses éditions et fut traduite en plusieurs langues. L’année 1865 vit paraître l’ouvrage le plus original de Scheeben, Les mystères du christianisme (Die Mystericn des Christentums). Les mystères de la religion chrétienne y sont exposés comme formant « un tout organique, un système de vérités, un cosmos mystique, reposant sur la sainte Trinité ». Scheeben, dans Lexikon fur Théologie und Kirche, t. ix, col. 226. Dans cette étude, l’auteur s’inspire de saint Thomas, des victorins, de saint Anselme et aussi des Pères grecs, particulièrement de saint Cyrille d’Alexandrie et de l’Aréopagite. Quand la convocation du concile du Vatican eut suscité de #es polémiques d’ordre théologique en Allemagne, Scheeben y prit une part très importante. Il combattit vigoureusement Dôllinger ainsi que le savant canoniste von Schulte, dans le périodique intitulé Le concile œcuménique de l’année 186'.) (I)as œcumenische Konzil von Jahre 1869), lequel fut plus tard continué sous le nom de Feuilles périodiques pour l’examen scientifique des grands problèmes théologiques du temps présent (Periodische Iiluller zur wissenschafllichen Besprechung der grossen theologischen Fragen der Gegenivart) et parut sous la direction de Scheeben Jusqu’en 1882. En outre, par de nombreux articles, insérés dans le Bulletin pastoral de Cologne (KOlner Pastoral Blatt)

cl dans l’Ami du foyer chrétien de Cologne (Kolner

kalholischer Hausfreund), Scheeben s’efforça de gagner le clergé paroissial ainsi que la masse du peuple chrétien à la doctrine de l’infaillibilité pontificale. Ces polémiques n’empêchèrent pas Scheeben de continuer ses recherches de théologie spéculative. En 1 8715 parut

le premier volume de sa Théologie dogmatique. Le second suivit en 1877 et le troisième en 1882. La mort l’empêcha de terminer son œuvre, laquelle fut plus tard complétée par Atzberger, qui donna la doctrine sacramentairc ainsi que l’eschatologie comme quatrième volume.

Enfin nombreux sont les articles dogmatiques et polémiques que Scheeben fit paraître dans le Katholik de Mayence. Il fournit aussi une notable contribution au Kirchenlexikon de Eribourg-en-Brisgau, notamment les articles Foi, Apostolat et épiscopat et Cyrille d’Alexandrie.

IL Appréciation. — Scheeben n’a pas fait école de son vivant. Cela provient, avant tout, de ce que son enseignement au grand séminaire n'était, en somme, que celui d’un répétiteur. Car, à Cologne, comme dans la plupart des diocèses d’Allemagne, les candidats au sacerdoce n’entrent au grand séminaire qu’après avoir parcouru tout le cycle des traités philosophiques et I héologiques dans une faculté, et. l’unique année qu’ils y passent est consacrée avant tout à la préparation des ordinations. Scheeben ne pouvait donc exercer son influence que par ses écrits. Or, ceux-ci sont rédigés d’une manière passablement difïuse et dans une langue assez obscure. Aussi un critique a-t-il écrit en rendant compte de la première édition des Mystères du christianisme, que « c’est un travail d’Hercule que de lire ce livre… qui ne sera vraisemblablement lu en entier que par celui qui est chargé d’en faire le compte rendu ». Mattes, cité par Schmaus, dans Malhias Scheeben, der Erneuerer der kalholischen Glaubenswissenschaft, Mayence, 1935, p. 39. Cette prédiction ne s’est pas réalisée : malgré l’obscurité de leur style, malgré la manière assez lâche de leur composition, les œuvres de Scheeben ont forcé l’estime du public théologique. Toutes ont été rééditées et quelques-unes plusieurs fois. Des théologiens de marque, en Allemagne, se sont inspirés des idées et des principes qui y sont exposés pour promouvoir la science théologique et un bon juge, Martin Grabmann, a proclamé que Scheeben était le plus grand théologien spéculatif du xixe siècle, et que sa théologie spéculative était vraiment géniale. Malhias Scheeben, der Erneuerer…, p. 10.

Quand Scheeben inaugura son activité théologique, la lutte contre le rationalisme et le semirationalisme était en somme terminée et la néoscolastique était parvenue à son plein épanouissement. Aussi Scheeben se rangea-t-il résolument parmi ceux qui voient en saint Thomas le maître qu’on doit suivre ; mais il ne se contenta pas d’une simple réédition de la doctrine de l’Aquinate d’après la présentation de Suarez et de De Lugo, comme Kleutgen l’avait fait ; Scheeben veut connaître saint Thomas par saint Thomas ; il veut pénétrer sa pensée, en dégager les principes et les idées maîtresses, afin de les utiliser pour résoudre les problèmes de la pensée moderne tout en faisant progresser la connaissance spéculative des vérités révélées. Fortement impressionné par l’essor des recherches exégétiques et historiques au cours du xixe siècle, Scheeben a voulu donner à son exposé spéculatif des dogmes une solide base exégétique et patristique et, malgré un certain manque de méthode critique, le côté positif de son œuvre n’en est pas moins remarquable pour son temps. En essayant de comprendre et de compléter saint Thomas par ses contemporains, comme saint Bonaventure, par ses précurseurs comme saint Anselme et les victorins, Scheeben a élé en quelque sorte le précurseur de ceux qui, comme Mandonnet, von Hertling et Clément Baumkcr, ont jeté une si vive lumière sur les luttes théologiques et philosophiques du Moyen Age. Toutefois, c’est dans la théologie spéculative que réside l’originalité de Scheeben, particulièrement dans ses conceptions de la foi et de la grâce.