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SCARAMELLI (J.-B.)


ouvrage, un des premiers traités de théologie mystique écrits en italien et. à bien des égards, le plus complet des ouvrages parus en quelque langue que ce soit, jouit d’un immense succès : il connut quinze éditions et trois abrégés pour l’Italie seuleavant 1900. Il a ététraduit en espagnol, allemand, français, latin et polonais ; en 1913 parut un abrégé en anglais. Son influence est visible dans les manuels de théologie mystique de Séraphin, Verhicge, Devine et Jægen.

Chose étrange, le Directoire mystique de Scaramelli ne reçut jamais, semble-t-il. l’approbation officielle de ses supérieurs religieux. Dans un article qui doit paraître dans VArchivum historicum Societatis Jesu, je montrerai que le manuscrit original fut rejeté par les censeurs jésuites à cause de ses nombreuses affirmations inexactes et parce qu’on pensait que certaines de ses propositions doctrinales pourraient être mal interprétées par les ennemis de la Compagnie de Jésus. Le Père général, Francis Retz, se rallia à cette opinion. Après la mort de l’auteur, l'éditeur de ses autres ouvrages découvrit le Directoire mystique, en manuscrit, circulant de main en main parmi les amis de Scaramelli ; il le publia sans se préoccuper d’obtenir la permission des supérieurs de la Compagnie. Cependant l’auteur avait antérieure ment corrigé nombre de points dans son manuscrit.

La dottrina di San Giovanni delta Croce, in-4°, viii 122 p., fut imprimée, à Venise, pour la première fois en 1815, plus de cinquante ans après la mort de l’auteur, et a été rééditée deux fois. C’est un court résumé des œuvres du Docteur espagnol, souvent dans les propres termes de ce dernier ; c’est sans aucun doute un des premiers essais de Scaramelli.

Récemment on a découvert un manuscrit intitulé : Vita delta serva di Dio, Angetica Cospari, fondatrice dette Sigg. Mæstre Pie in Borgo S. Sepolcro, 487 fol., récit de la vie d’une autre fille spirituelle de Scaramelli, qui parmi de grandes souffrances corporelles fut favorisée des plus hautes grâces mystiques. Voir O. Marchetti, S. J., dans Archivum historicum Soc. Jesu, t. ii (1933), p. 230-257.

III. Doctrine.

Il sera utile de mentionner particulièrement les points de la doctrine mystique de Scaramelli qui ont récemment provoqué des critiques parfois injustes.

Deux voies mènent à la perfection dans la vie spirituelle : la voie ascétique, caractérisée par la pratique de la vertu et de la prière mentale ou vocale ordinaire ; la voie mystique, ainsi appelée à cause du rôle prédominant de l’oraison mystique ou contemplation infuse. Cette dernière voie est un moyen très efficace pour atteindre la perfection ; mais elle est une voie extraordinaire de jure, parce qu’elle ne peut pas être méritée, ni obtenue par nos propres efforts ; d’ailleurs elle n’est pas nécessaire au salut ni à la perfection. Elle est aussi extraordinaire de facto, parce que peu y sont appelés ou du moins parce que peu répondent à cet appel. La contemplation mystique en général est un elevazione di mente in Dio, o nette cose divine, con uno sguardo semplice ammirativo,e soavamente amoroso dette cose divine (Dir. mist., tr. II, c. iv, n. 34). Elle se distingue de la méditation et de la spéculation philosophique ou théologique, en ceci qu’elle est une façon simple, intuitive, suprahumaine de connaître et d’aimer Dieu. Ce n’est point la vision immédiate, ni nécessairement une vision intellectuelle, mais un acte de foi merveilleusement éclairé par les dons du Saint-Esprit, tout particulièrement les dons de sagesse et d’intelligence. Op. cit., II, iv, 38 ; III, xxxi, 278.

Il y a deux espèces de contemplation, l’une dite acquise, l’autre infuse. Pratiquement, elles se distinguent l’une de l’autre parce fait que, dans la contemplation infuse, l'âme se rend compte que Dieu agit en elle, tandis que dans la contemplation acquise elle perçoit seulement sa propre action dans la production de ses idées et affections. Tr. II, c. vii, n. 75. Intrinsèquement, cependant, elles ne diffèrent pas dans l’acte même de la contemplation, parce que toutes les deux comportent, un mode suprahumain de connaissance ; elles ne diffèrent point non plus essentiellement par la grâce de la contemplation, parce que celle-ci ne comporte que des différences de degré d’intensité. La vraie différence est dans la préparation de l’esprit, ou, pour ainsi dire, dans les préambules à la contemplation. Dans la contemplation acquise, c’est l’homme qui évoque les espèces intelligibles ; dans la contemplation infuse, c’est Dieu qui fait ce travail pour lui. Dans l’une, l’homme est actif, dans l’autre, plus passif. Ibid., n. 76-78. Cette différence est-elle due ou non au mode d’opération des dons du Saint-Esprit, on ne le voit pas nettement ; mais pour la contemplation acquise il suffit qu’il y ait le concours du don de sagesse ou d’intelliçence. Tr. II, c. xiv, n. 156. La contemplation acquise est par conséquent extraordinaire de droit, et, semble-t-il, aussi de fait : au moins une fois, elle est appelée « un don extraordinaire », tr. II, c. vi, n. 67 ; cependant elle peut être méritée de congruo, tr. II, c. ix, n. 90. À un autre endroit, l’auteur affirme que la contemplation acquise fait partie de la providence ordinaire de Dieu, qu’elle n’est pas en général refusée à qui s’y prépare, et que toute âme peut l’obtenir si elle est aidée par une plus grande abondance de la grâce ordinaire, ce qui est en contradiction avec son enseignement précédent. Tr. III, c. xxxii, n. 283, 284, 296.

Quant à la légitimité du désir de la contemplation, on peut et on doit désirer la contemplation acquise, la demander et essayer de l’obtenir dans la mesure du possible. Pour la contemplation infuse, quoiqu’il soit permis de la désirer et de la demander, il est prélérable et plus sûr, conformément à l’enseignement de sainte Thérèse (Moradas, iv, c. 2), de se considérer comme indigne d’une pareille faveur et de s’abandonner avec une entière indifférence entre les mains de Dieu. On doit toutefois s’efforcer d'écarter tous les obstacles qui pourraient s’opposer à la contemplation infuse, pour le cas où Dieu y appellerait l'âme. Tr. III, c. xxxii, n. 282-296. On ne doit pas désirer les visions, locutions, révélations et autres faveurs semblables, parce qu’eues sont facilement sources d’illusions. Tr. I, c. i, n. 10 ; tr. IV, c. iv, n. 4L

On doit reconnaître que l’explication de la contemplation acquise est incomplète et même incohérente ; que Scaramelli insiste trop sur la nécessité de s’attacher à la méditation proprement dite ; qu’il exagère peut-être les épreuves et les souffrances de la purification passive et qu’il y a dans le Direttorio mistico plusieurs autres déficits de détail. La classification des degrés de la contemplation pourrait aussi être simplifiée, au grand avantage de la clarté. Cependant c’est un des meilleurs traités pratiques qui aient jamais été écrits sur la théologie mystique. Destiné avant tout aux directeurs des âmes que Dieu mène à la perfection par des voies extraordinaires, il traite surtout de la contemplation infuse au sens strict du mot. Il évite les deux extrêmes fréquents chez les auteurs spirituels : essayer de faire de tous les hommes des mystiques, ou bien défendre la contemplation à ceux qui y sont vraiment appelés. Enfin, l’usage que les directeurs spirituels ont fait du Directoire mystique, pendant près de deux siècles et dans tant de pays, est une bonne garantie que sa doctrine n’entrave pas le réel progrès de l'âme vers les sommets de la perfection, que ce soit, selon les desseins de la Providence, au moyen de grâces ascétiques ou de faveurs mystiques. Le jugement du P. Poulain sur le Directoire mystique semble donner la