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entier que je vous révélerai en temps et lieu convenables ; ainsi Dieu l’a ordonné, ("est pourquoi, de la part du Dieu tout-puissant, duquel vous avez reçu la dignité impériale, sérénissime César, je vous avertis et vous adjure, parmi tous les autres défenseurs de la République chrétienne, de laisser de côté toute ambition et rivalité terrestres pour apporter tous vos soins à la réunion, dans un lieu convenable et libre, d’un concile solennel, qui puisse sans retard venir au secours des âmes en péril et de la nacelle de Pierre en perdition. Autrement vous n'éviterez point une faute très grave et vous n'échapperez pas à la colère de Dieu. J'écris pareillement, et par ordre de Dieu, au Roi très chrétien de France, aux rois sacrés d’Espagne, d’Angleterre et de Hongrie, pour que tous ensemble travaillent avec entente et concorde pour le salut commun. »

On voit qu’emporté par son exaltation toujours grandissante, Savonarole ne se contentait plus de déclarer le pape douteux à cause d’une élection simoniaque. Il le déclarait nul à cause d’athéisme. C'était faire là un procès de tendance bien dangereux et peut-être bien injuste. Le pire arriva : une des lettres fut interceptée. Il n’est pas douteux qu’en présence de ce péril de déposition que lui faisait courir Savonarole, Alexandre VI ne se soit décidé à sévir contre lui avec la dernière vigueur, après avoir été longtemps disposé à montrer de l’indulgence.

Mais encore une fois, l’extrême violence de Savonarole contre Alexandre VI n'était pas une exception. Ce procédé entrait dans les mœurs du temps. En 1501, un pamphlet anonyme adressé à un baron romain exilé auprès de l’empereur, trois ans après la mort de Savonarole dira d’Alexandre VI : « Tu es dans une profonde erreur, cher ami, si tu te figures qu’il existe un moyen de faire la paix avec ce monstre… Il te faut découvrir la plaie spéciale de Rome au véritable médecin. Kxpose à l’empereur et aux autres princes tout le mal que cette bête maudite a fait à la chrétienté, raconte les abominables crimes qui se commettent au mépris de Dieu… Décris à la diète ces crimes, ces furieuses débauches. C’est bien gratuitement que la chrétienté s’en prend au Turc… car ce nouveau Mahomet laisse l’ancien bien loin en arrière avec ses crimes honteux, et il a achevé de ruiner ce qui restait encore de religion et de foi. Le temps de l’Antéchrist est venu déjà, car on ne peut pas imaginer qu’il surgisse jamais un pire ennemi de Dieu, du Christ et de la religion… Borgia est le réceptacle de tous les vices le plus profond qui se puisse imaginer. Il a faussé toutes les notions du droit divin et humain. Puissent les princes venir au secours de l'Église chancelante et conduire au port la barque de saint Pierre secouée sur les flots déchaînés ! Puissent-ils rendre à la ville de Rome la justice et la tranquillité 1 Puissent-ils balayer cet homme de perdition né pour la ruine de cette ville. » Pastor, op. cit., t. vi, p. 106-107.

III. Prophétisme ov pseudo-prophétisme. A partir de 1491, Savonarole ne put plus résister a l’esprit prophétique qui l’animait. « Je me souviens, dit-il, que pénétrant au Dôme en l’an MOI et mon sermon déjà composé sur des visions, j’envisageais la possibilité de les supprimer et de m' abstenir entièrement de ce sujet à l’avenir. Dieu m’est témoin que je priai la journée et la nuit entières jusqu'à l’aube, et que toute autre voie, toute autre doctrine nie furent

refusées. Vers l’aube, las et déprimé par la longue

veille, j’entendis, alors que je priais, une voix qui disait : a Insensé, ne vois lu pas que Dieu te commande de suivre la même roule' 1 II ce jour là, je prêchai un sermon terrible. » Une autre fois, en chaire, il s'écrie : « Je ne voulais pas parler en votre nom. û Seigneur, mais vous avez élé plus fort que moi ; oiis m’avez dominé ; votre Verbe est devenu semblable à

une flamme brûlant la moelle de mes os ; et pour cette raison je suis devenu un objet de dérision et d’opprobre parmi les hommes. Mais j’invoque le Seigneur nuit et jour et je vous le dis : les temps nouveaux sont proches. Qu’il lui faille prêcher et prophétiser jusqu’en matière politique, cela ne fait pas reculer le hardi dominicain. Il s’appuie sur l’exemple des gloires de son ordre : saint Dominique, saint Pierre martyr, sainte Catherine de Sienne qui n’ont pas négligé de se mêler ardemment aux affaires de ce monde. Tel est du moins l’avis de Savonarole.

Parmi les prédictions de ce dernier, il est très remarquable que certaines se sont parfaitement vérifiées. I. 'historien Schnitzer a insisté sur ce point capital autant qu’il le fallait. En 1491, l’apôtre florentin annonça sans se tromper la mort de Laurent de Médicis et celle d’Innocent VIII. Il annonça des événements humainement imprévisibles comme la séparation de deux congrégations dominicaines : la lombarde et la toscane. Plusieurs autres prophéties sur Charles VIII ou sur les Médicis se sont réalisées comme il l’avait prédit. Savonarole qui avait assigné huit années au terme de sa prédication, et cela sans se tromper, a aussi indiqué quel serait son genre de mort, non dans son lit, mais sur un bûcher et au milieu de la place de la Seigneurie. Il a dit qu’on lui passerait la corde au cou et que ses cendres seraient jetées dans l’Arno. Si les circonstances de la réforme de l'Église qu’il a annoncée comme devant suivre une ère de calamités n’ont pas été conformes, dans le détail, à ses paroles, yrosso modo il n’en a pas moins prévu, en fait, et la réforme luthérienne et la contre-réforme décisive du catholicisme à l'époque du concile de Trente. Tout cela n’est aucunement négligeable.

Pourtant on ne saurait faire de Savonarole un prophète pleinement inspiré de manière surnaturelle. Il peut en elle ! se produire qu’un homme soit vertueux parfois jusqu'à l’héroïsme, qu’il soit animé des meilleures intentions, qu’il s’estime, de bonne foi, inspiré du Saint-Lsprit… et que l’on constate ensuite que certaines au moins de ses prophéties ne se sont point réalisées. Tel semble bien être le cas de Jérôme Savonarole. Or, en matière de prophéties, Savonarole ne connaissait pas les demi-mesures. Devant ce qu’il considérait comme les crimes de la papauté il s’imaginait, à la lettre, qu’il était le nouvel Amos, chargé de corriger le grand prêtre.

Plusieurs de ses prophéties se sont avérées fausses. Il prédisait à la république de Florence qu’elle s’agrandirait de toute l’Italie. Or, trente-deux ans après sa mort, la république florentine disparaissait. Il annonça à maintes reprises que les Turcs et les infidèles avant dix ans se convertiraient à la religion chrétienne… Surtout, contre la Rome papale il se répandit en menaces, en annonces apocalyptiques qui heureusement ne se réalisèrent point : « O Italie ! criait-il en chaire, ô Rome ! je vous mettrai entre les mains de gens qui vous bouleverseront jusque dans vos fondements. Je sèmerai parmi vous la peste, une peste si terrible que peu de monde y résistera. Je conduirai en Italie et à Rome des hommes aux passions brutales. L’herbe croîtra dans les rues, les routes seront comme les bois et les forêts… Italie ! Combien de fois ces malheurs l’ont ils élé prédit-. Je t’ai exhortée de la part de Dieu a faire pénitence. Rome, je t’ai dit de faire pénitence. Milan, je t’ai dit de faire pénitence. Je l 'ai dil a I OUS les sages du monde : il n’y a pas d’autre remède que la pénitence. Mais vous ne voulez pas croire, vous ne voulez pas prêter l’oreille… C’est pourquoi Dieu dil : Je déteste votre orgueil et je hais vos demeures. Elles seront brûlées et rasées ; vous irez à la maison du diable. Italie, tu ne veux pas croire. Bah ! dis-tu, Amos parlait ainsi pour son temps et non pas