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ROUSSEAU. L’EMILE


suivant Saint-Preux, « ils ne sachent pas seulement leur religion, mais qu’ils la croient », car « il est impossible à l’homme de croire ce qu’il n’entend pas ». Part. "V, lettre ni. Son Credo est proche du déisme. Elle parle de l'Écriture, règle de foi, et de Dieu, mais pas un mot de Jésus-Christ ou de la Trinité. Et son Dieu n’est pas le Dieu de Calvin mais le Dieu des bonnes gens avec une note sentimentale. C’est « un père. Ce qui la touche est sa bonté ». Elle croit à l’immortalité de l'âme, non à la résurrection des corps ou à l’enfer. « Qui s’endort sur le sein d’un père n’est pas en souci du réveil » et, pour me damner, « il faudrait que Dieu m’empêchât de l’aimer ». Part. VI, lettre xi.

b) Emile ou de l'éducation, 4 vol. in-12, Amsterdam et La Haye, 1762 ; 4 vol. in-12 et 4 vol. in-8°, Paris, 17C2, avec cette épigraphe : Sanabilibus œgrotamus malis ipsaque nos in rectum genitos natura, si emendari velimus, juval. Seneca, i ?e ira, t. II, cap. xiii. C’est le plan d’une éducation enlevée à la société viciée et conforme à la nature.

La question de l'éducation était à l’ordre du temps. Rousseau y avait touché dans un Projet pour l'éducation de M. de Sainte-Marie, étant précepteur, dans la Nouvelle Héloïse, part. V, lettre iii, et dans l’article Économie politique. Dans cet article, il jugeait que l'éducation doit former le citoyen, donc être donnée en commun et par l'État ; dans V Emile, c’est « l'état d’homme » qu’il veut enseigner. Cela importe : « quiconque est bien élevé pour cet état ne peut pas mal remplir les devoirs qui s’y rapportent ». Or, « vivre, dit-il, est le métier que je veux lui (à son élève) apprendre ; d’où il suit que la véritable éducation consiste moins en principes qu’en exercices ». L. I, t. ii, p. 403. Il part de ce principe : « Tout est bien sortant des mains de l’auteur de la nature ; tout dégénère entre les mains des hommes. » Il faut donc, autant que possible, isoler l’enfant et laisser agir en lui la nature. Emile, l’enfant, sera confié à un précepteur. Il sera élevé à la campagne. Son éducation sera d’abord « négative ». L’enfant a droit au bonheur, donc à la liberté. On ne s’occupera que de former ses sens et de le soumettre à la leçon de choses. Rien de livresque, pas même les fables de La Fontaine. On l’amènera seulement à désirer lire et écrire. Cf. Laparède, J.-J. Rousseau et la conception fonctionnelle de l’enfance, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 391-416. De douze à quinze ans, Emile sera instruit et formé à la réflexion, mais toujours expéiimentalement. Il apprendra ainsi l’astronomie, la géographie, la physique, si utile puisqu’elle fait connaître les grandes lois de la nature. On le formera à un métier, celui de menuisier, afin qu’il comprenne l’interdépendance humaine. Un seul livre lui sera remis : Rcbinson Crusoé. L. III au 1. IN'. Emile a de quinze à dix-huit ans. Son maître formera sa sensibilité. Pour retarder l'éclosion de ses passions, on fera dévier sa sensibilité vers les sentiments affectueux : reconnaissance, amitié, pitié, amour du peuple et de l’humanité et on lui fera connaître les hommes par l’histoire, surtout par Plutarque. Enfin on lui parlera de Dieu. Voir plus loin : La profession de foi du vicaire savoyard. Au t. V, c’est le mariage. Emile sera fiancé à Sophie et deux ans après, l'épousera. Et Rousseau esquisse à cette occasion un nouveau Trailéde l'éducation des filles, bien plus traditionnel que l’Emile. Sur le système d'éducation de Rousseau, voir F. Vial, Rousseau éducateur, in-8°, Paris, 1912, et La doctrine d'éducation de J.-J. Rousseau, Paris, 1920, in-8°.

L’Emile eut une suite : Emile et Sophie ou les Solitaires, s. 1., 1780, in-8°, où l’on voit tourner très mal les deux personnages.

c) La profession de foi du vicaire savoyard (citée ici d’après l'édit. Masson, les chiffres donnés sont ceux

qui figurent dans les marges entre crochets), dans Emile, 1. IV ; cf. aussi, E. Beaulavon, La profession de foi du vicaire savoyard, avec une introduction et des notes, Paris, 1936, in-16. Avant dix-huit ans, Emile n’a donc pas entendu pailer de Dieu. Il n’eût rapporté d’un enseignement catéchistique que « des images difformes de la divinité ». Mais la religion est devenue utile à sa vie morale ; « l’oubli de toute religion conduisant à l’oubli des devoirs ». P. 7. Le précepteur ne le formera point à une religion précise ; il le mettia seulement « en état de choisir celle où le meilleur usage de sa raison doit le conduire ». Rousseau confie cette tâche à un vicaire savoyard (abbés Gaime et Gâtier ? Cf. Confessions, 1. VIII et ici col. 103) qui, après avoir trahi ses vœux, se trouvant pris d’un doute, non méthodique mais réel, soumit, tel Descartes, ses certitudes antérieures à une revision. A l’exemple de « l’illustre Clarke », il borna son étude aux vérités utiles, c’est-à-dire, aux règles de la vie bonne et heureuse, et admit parmi elles « pour évidentes, celles auxquelles dans la sincérité de son cœur, il ne pourrait refuser son assentiment ; pour vraies toutes celles qui lui paraîtraient avoir une liaison nécessaire avec les premières ». Quant aux autres, il les laissait « sans les rejeter ni les admettre ». P. 33-34. A « la lumière intérieure », p. 61, le vicaire arrive aux certitudes suivantes : « J’existe et j’ai des sens par lesquels je suis affecté. » C’est un fait. « Je trouve en moi la faculté de comparer mes sensations » : donc « une force active », p. 39, et, quoi qu’en dise » Helvétius, qui voudrait persuader que notre vie spirituelle et morale se ramène à la sensation, « j’oserai prétendre à l’honneur de penser ». P. 91. Autre fait : le monde existe, puisque « mes sensations m’affectent quoi que j’en aie ». P. 36. Or il « m’apparait en mouvement » tt « concevoir la matière productrice du mouvement, c’est concevoir un effet sans cause » ; elle est donc mue par une volonté ; et, « mue selon certaines lois, elle me montre une intelligence ». Dieu existe. P. 44-57. « Je l’aperçois dans ses œuvres ; je le sens en moi », mais ce qu’il est en lui-même, je ne puis le savoir. P. 63, 92, 96.

Incontestablement, l’homme « est le roi de la terre », p. 151, et, quoi qu’en dise Helvétius encore, il n’est pas un. P. 68. Nul être matériel n'étant actif par luimême, ni par conséquent libre, il y a en lui une « substance immatérielle ». La justice exige également la vie future. L’homme trouve en lui-même cette promesse : « Sois juste et tu seras heureux », qui, déçue en ce monde, suppose la vie future. L'âme est-elle immortelle par nature ? Qu’importe ? « Elle survit assez au corps pour le maintien de l’ordre », et « cela me console de penser qu’elle durera toujours ». P. 96. « Quelles règles suivre pour remplir ma destination sur la terre ? » Celles que fixera ma conscience. « Qui la suit obéit à la nature, donc au bien, et trouve le bonheur pour lequel il est fait. » P. 115-128.

Mais, dit au vicaire son interlocuteur, n’est-ce pas là « le théisme ou la religion naturelle que les chrétiens affectent de confondre avec l’athéisme » ? P. 301. Pourquoi m’en faudrait-il une autre, répond le vicaire. J’y sers Dieu selon la lumière et les sentiments qu’il m’a donnés. Et les religions révélées nuisent « à Dieu, en lui donnant les passions humaines », à la société, « en rendant l’homme orgueilleux, intolérant, cruel ». Puis comment trouverais-je la véritable au milieu de toutes les religions qui se disent révélées ? Elle a ses preuves, dit-on : des prodiges. Mais où sont-ils ? Dans des livres. Qui les a écrits ? Des hommes. Qui a vu ces prodiges ? Des hommes. « Que d’hommes entre Dieu et moil » Donc que de causes d’erreur. Mais soit. Quel travail s’impose alors à l’homme 1 II devra faire la critique historique des livres en question. Il se heur-