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L199 SATISFACTION. LA QUESTION DU « RELACHEMENT PENITENTIEL » 1200

gravité. Cette Ignorance, d’ailleurs, ou cette absence

de sens moral est très commune : « Baptisés tout enfants, beaucoup de chrétiens n’ont reçu aucune éducation. Ils mènent, dans les ténèbres de l’ignorance, la vie la plus honteuse, sans rien savoir de ce que la doctrine chrétienne prescrit ou défend. » Leur pasteur n’hésite pas à mettre leur inconduite au compte de l’ignorance et de la faiblesse. In Rom. inch. expos., n. 16, P. L., t. xxxv, col. 2100. Mais ce qu’il en dit nous permet à nous de comparer leur niveau moral à celui des chrétiens modernes et de juger s’ils apportent de meilleures dispositions à la réception des sacrements.

4. La préparation aux communions de fête. Car tout ce monde-là communie régulièrement, au moins à certaines fêtes de l’année, et les évoques ne se font pas illusion sur l’état de leurs âmes ; saint Augustin redoute que la tolérance dont certains paraissent bénéficier ne permette à d’autres d’opposer une fin de nonrecevoir aux exhortations des prédicateurs. Serm., cccli, 10-11, P.L., t. xxxix, col. 1545-1546. Mais lui-même le déclare en propres termes, à leur égard les évoques ont les mains liées. À cette époque, ils « ne peuvent écarter quelqu’un de la communion qu’autant que lui-même se reconnaît coupable ou qu’il a été dénoncé et convaincu dans un jugement ecclésiastique ou civil ». C’est dire qu’en dehors des fautes passibles d’une sanction au for externe, les pécheurs sont laissés, plus encore que de nos jours, au jugement de leur propre conscience.

Sans doute connaissent-ils la nécessité de la pénitence ou du repentir ; les prédicateurs y insistent et les intéressés eux-mêmes entendent bien recourir un jour au pouvoir des clefs ; plusieurs le font sans plus de retard et vont parfois jusqu’à demander ou accepter la pénitence publique ; mais, pour beaucoup d’autres, le moment choisi pour cela sera celui d’une maladie grave ou d’un danger de mort. Alors, comme il arrive encore, on les verra s’empresser de demander la pénitence comme d’autres demandent alors le baptême ou l’absolution. Epist., c.cxxviii, 8, P. L., t. xxxiii, col. 1016.

Sauf ces cas d’extrême urgence, ils attendent et continuent à participer aux sacrements. Aux approches des grandes fêtes, eux et beaucoup d’autres qui viennent rarement à l’église et plus rarement encore à la communion s’entendent rappeler avec force, par saint Jean Chrysostome par exemple ou par saint Léon, la nécessité de faire pénitence pour recevoir dignement le corps du Christ ; mais, pas plus à Home qu’à Antioche ou à Constantinople, ces sermons de carême ne leur demandent de satisfaire à Dieu par la pénitence publique. Bien qu’ils la connaissent, bien que par ailleurs on sache ces deux illustres pontifes attentifs à en faire observer les lois, on ne les entend jamais, dans leurs sermons, la recommander ;  : leurs auditoires. Ce qu’ils leur demandent, alors même qu’ils les supposent expressément chargés de lourdes fautes,

par exemple, saint Jean Chrysostome, De beato Phi logonio, 4, P. C, t. XLVIII, col. 731-735 — c’est uniquement la conversion du cœur, celle dont peut suffire à témoigner le mot peccavi. Comme garantie de sa sincérité et de sa fermeté, on ne saurait dire que ce soit plus que ce qu’on exige aujourd’hui. Saint Jean Chrysostome s’en contente : / » Ecclesiam ingredere. Die Deo : peccavi. Nihil aliud abs te nisi solum istud exigo. De peenitenlia, boni. ii, 1, P. G., t. XLVIII, col. 2.N.">. Il est vrai qu’au concile du Chêne, ses adversaires lui reprochèrent sa bienveillance à l’égard des pécheurs, lin leur disant : Quoties peccaveritis, venite ad me et ego dos sanabo, il les aurait induits à pécher. Ce qui est le grief même des jansénistes contre la pratique moderne de absolutions ; mais ce qui confirme ce quc nous

venons de constater : les conditions dans lesquelles le commun des fidèles et des pécheurs de jadis participaient normalement à la sainte communion ne témoignent point par elles-mêmes d’un niveau moral ou religieux supérieur à celui des chrétiens d’aujourd’hui.

."). La pénitence renvoyée à la mort. — Et la comparaison peut se poursuivre. A Rome, le pape saint Léon atteste lui aussi que l’usage est courant d’attendre le moment de la mort pour offrir à Dieu la satisfaction qu’on lui doit pour ses péchés : Satisfactionis sibi lempus in fine vitæ suæ constituant, Ad Theodorum Forojuliensem, Epist., cviii, 5, P. L., t. liv, col. 101 3 B, mais il n’ajoute pas qu’on s’interdise, pour autant, de participer aux sacrements. En Gaule, à l’époque de saint À vit et de saint Césaire d’Arles, l’empressement est le même à demander la peenitenlia momentanea de la dernière heure. Les deux évêques en affirment l’efficacité, ci-dessus, col. 1156, mais sans donner aucunement à entendre que ces tard-venus à la pénitence se fussent montrés jusque-là moins assidus à communier que le commun des fidèles.

La même observation s’applique à saint Grégoire le Grand. Rien de plus et de mieux attesté chez lui que l’absolution donnée aux mourants ; mais l’absolution demandée ou reçue au cours de la vie l’est beaucoup moins. On a même pu contester qu’il s’en trouvât chez lui aucune trace. De son temps, en dehors des approches de la mort, l’Église n’aurait pratiquement plus administré de pénitence sacramentelle. Poschmann, Die abendlànd. Kirehenbusse im Ausgang des christl. Alterlums, p. 301-305. C’est une exagération, voir Coller, dans la Rômische Quarlalschrift, 1931, p. 214, 218, 223, 228, 239, 247, 259 ; 1932, p. 341-342. Mais il reste qu’à cette époque où la barbarie matérielle gagne progressivement tout le monde latin, la persistance de la législation ou des coutumes pénitentielles héritées des premiers siècles n’empêche nullement la barbarie morale de s’abattre sur les consciences. C’est l’impression qu’éprouvent les moines irlandais, quand ils abordent, alors, les Églises du continent : la pénitence y est à peu près inconnue. Ci-dessus, col. 1166. Si l’on admet, et il semble qu’on doive l’admettre, que la participation à la liturgie ne laissait pas de s’accompagner en général d’une participation à la communion, quelles dispositions pensera-t-on qu’aient pu y apporter le commun des fidèles ?

6. Conclusion.

Inutile, croyons-nous, de poursuivre cette enquête. Le niveau moral et religieux des populations venues au christianisme pendant les siècles qui ont suivi saint Grégoire le Grand est trop connu pour qu’on puisse songer à l’estimer supérieur. Ni avant, ni après la réforme carolingienne, la sévérité des tarifs pénitentiels n’a fait que la participation générale aux sacrements correspondit à des dispositions morales ou religieuses présentant des garanties spéciales de sincérité, de profondeur et de durée.

I.a question préalable est donc bien résolue. Elle écarte manifestement le présupposé d’un idéal de vie chrétienne à mettre au compte de régimes pénitent iels particulièrement rigoureux. Sans doute, en cette matière, les comparaisons d’époque à époque sont-elles plus qu’odieuses ; la difficulté en est extrême. Inconsciemment, nu s’y pose en laudator temporis acti. Volontiers, en outre, parce que le Christ a voulu et veut une Église sans tache ni ride, sainte et immaculée », on s’imagine que cel idéal s’est trouvé réalisé au début, aux premiers siècles. Mais quoi qu’il en soit de cette réalisation sur terre de cet idéal divin, nous en savons assez pour contester qu’aux régimes pénilenliels les plus rigoureux et les plus rigoureusement Observés aient correspondu, chez le commun des fidèles, dans leur participation à l’eucharistie, des dispositions morales et religieuses l’emportant sur celles qui se