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SATISFACTION. LES INDULGENCES


d’un certain nombre d’années de pénitence, c’est parler de leur équivalent en psaumes à réciter. Ainsi saint Pierre Damien raconte-t-il d’un de ses moines qu’il lui demandait couramment une pénitence de cent ans : Crebrn centum annortun pænitentiam suscipit. 0pu.se, li, 8, P. L., t. cxlv, col. 757 B. Une fois même, à un début de carême, il lui en demanda une de mille ans : Mille annos imponi sibi per nos ad psenitentiam peliit. Ibid., 9, col. 957 C. D’après les explications données ace propos par lui-même, col. 757 B, cela revenait à réciter 20 fois ou 200 fois le psautier en se flagellant soi-même des deux mains. Il existait, en effet, comme un taux couramment admis pour la rédemption de ces années de pénitence : il était de 3 000 coups de verge, de 20 psautiers ou de 25 messes. Dantur ex more tria millia scoparam pro unius anni pœnitentia, sive viginti psalleria aul viginti quinque missæ. Opusc, xiv, P. L., t. cxlv, col. 332 A.

Caries messes à faire célébrer étaient devenues, elles aussi, un mode courant de rédemption. On les trouve déjà signalées par Burchard, Decretum, t. XIX, c. xxi. P. L., t. cxl, col. 983 et cf. Schmitz, op. cit., t. ii, p. 460. Elles représentaient une forme d’aumône. Saint Pierre Damien atteste cet usage : Cum sacerdotes… annosam indicunt quibusdam peccatoribus pænitentiam, numquid non aliquando certain pecunise prsefiguni pro annorum redemptione mensuram, ut nimirum facinora sua eleemosijnis redimant, qui longa jejunia perhorrescunt ? Epist., v, 8, P. L., t. cxliv. col. 351 D. Un siècle plus tard à peu près, l'évêque de Paris, Odon de Sully, signalera encore les messes comme une des pénitences couramment imposées par les confesseurs. Synod. constitutiones, vi, 11, P. L., t. eexil, col. 61 D ; il interdira seulement que ceux qui les imposent acceptent de les célébrer eux-mêmes : Nullus missas quas injunxerit celebrct. Ibid., 12, col. 61 I).

Sous ces formes multiples, la pratique des rédemptions » était donc bien une application du principe traditionnel que la satisfaction pour le péché se (but adapter aux possibilités des pécheurs. Elle n’avait pas seulement pour effet de rendre plus humain et d’assouplir un régime pénitentiel que les mœurs de l'époque et les usages des peuples du Nord avaient empreint d’une rudesse et d’une rigidité extrêmes ; le vrai caractère des pénitences tarifées en apparaissait aussi beaucoup mieux. Elles n'étaient donc pas uniquement une expiation légale ou pénale : un for purement externe, civil ou ecclésiastique, ne se fût pas accommodé d’une commutation de peines laissées ainsi au choix des coupables. Manifestement, et même, avons-nous vii, après avoir reçu l’absolution, on songeait ainsi à s’acquitter envers Dieu.

Telle quelle cependant, cette pratique laissait encore à la satisfaction un caractère très officiel, à la fois bien matériel et bien formel. L’idée s’y marquait très fortement d’une peine à subir, d’une obligation d’ordre ecclésiastique à remplir. La distinction, par conséquent, du for interne et du for externe n’y apparaissait encore que fort vague. C’est en acheminant à l’usage des « indulgences » que la pratique des « rédemptions » aura le plus contribué à la faire ressortir.

2. Indulgences.

a) Point de départ : les rédemptions. — - Les indulgences, en effet, se sont présentées d’abord sous la forme de « rédemptions ». N. Paulus, Geschichte des Ablasses im Mittelalter, t. i, p. 13-17. En les accordant, on permettait à qui les gagnait de se décharger en tout ou en partie des pénitences qui lui avaient été imposées. Cette idée d’un adoucissement ou d’une commutation de peine s’exprime très nettement dans les premières concessions d’indulgences : lier illud pro omni pœnitentia repuletur, disait le concile de Clermont (1095) à propos de l’indulgence de la croisade accordée parle pape Urbain II, Mansi, Concil..

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

t. xx, col. 816 ; et le pape, dans son discours au même concile, avait dit en propres termes : Fidelibus qui arma susceperint et onus sibi hujus peregrinationis assumpserint, immensas pro delictis suis pœnitentias relaxamus. Ibid., col. 823 D. De même dans sa lettre à la ville de Bologne à ce propos : Pœnitentiam totam peccatorum. de quitus veram et perfeetam confessionem fecerint… dimittimus. Jafîé, n. 5678 ; P. L., t. cli, col. 483. De même encore dans les autres formules de concession de la même époque : Benefacientibus et eumdcrn locum colentibus quartam partem pœnitentiæ ab episcopo sive a presbgtero illis injunctæ condonamus. Jaffé, n. 5452 cf..1 / ! « I. jur. pont., t. x. 1869, p. 528. Ipsis quadraginla dies pœnitentiæ sibi injunctæ remissimus. Jaffé, n. 75 18 ; P. L.. t. ci.xxix, col. 127. Ainsi l’entendait-on bien d’ailleurs. Ordéric Vital, contemporain d’Urbain II, dit de l’indulgence accordée par ce pape aux croisés : J'œnitentes cunclos ex illa hora, qua crucem Domini siimerenl, ex auctoritate Dei ab omnibus suis peccatis absolvit et ab omni gravedine quæ fil in jejuniis aliisque macerationibus carnis, pie relaxavit. P. L., t. clxxxviii, col. 652 B.

Ce sens est aussi celui qui s’exprime dans le nom primitivement donné à l’indulgence : elle est un adoucissement de la pénitence à laquelle on est tenu : Relaxatio, écrit Alexandre de 1 lalès. est [lœnilentiæ injunctæ pro peccatis ex virtute clavium diminulio, imposita pœna ejusdem generis. Summa theol., part. IV, q. xxiii, nienib. 2. Et Albert le Grand le noie également : Magistri definiunt relaxationem sic : … satisfactionis majoris in minorent compeiens et discreta commutatio. In IV am. dist. XX, a. Ki. Cela est si vrai qu’on trouve parfois l’effet de l’indulgence restreint aux pénitences pour lesquelles a été prévu et autorisé ce mode de rémission : Cum a non suo judiee ligari nullus valeai » el absolvi, remissioncs prsedictas prodesse illis tantummodo arbitramur. quibus, ni prosint, proprii judices specialiter indulserinl. Décret. Greg., t. V, lit. xxxviii, c. 4.

b) Conception ultérieure et définitive. — L’indulgence se présente donc bien d’abord comme une « rédemption » : à la vindicta peccati, qu’avait exigée le prêtre, est substituée la bonne œuvre à laquelle est attachée L’indulgence. Cependant, elle n’est pas que cela, et il y a plus ici qu’une commutation. La peine n’est pas seulement adoucie et commuée : elle est remise. N. Paulus, Geschichte des Ablasses im Mittelalter, t. I, p. 14 sq. ; (laitier. De pœnitentia, n. 589-600. Cette remise, de plus, ne se limite pas à la vindicta peccati imposée par l'Église ; la vindicta décrétée par Dieu et à laquelle celle de l'Église devait permettre d'échapper se trouve remise elle aussi. Tel est du moins le sens auquel sera comprise l’indulgence, lorsqu’aura fini de s’en préciser la notion. Dès l'époque d’Abélard, elle y tend. Luimême, en protestant contre ce qu’il appelle un abus, atteste l’usage : ceux qui accordent des indulgences sont considérés et se considèrent eux-mêmes comme remettant ainsi jusqu'à la peine due au for divin. Ethica, c. xxv, P. L., t. clxxviii, col. 673 ; voir N. Paulus, op. cit., t. i, p. 18 et 213. Et c’est bien ainsi, en effet, que l’entend Alexandre de Halès : Si Ecclesia, écrit-il, si Ecclesia relaxai et Deus non, magis essel deceplio quam relaxalio, et crudelitas quam pietas, quia tune ad diminulioncm pœnæ præsenlis sequeretur alla incomparabiliter gravior joroDei. Summa //îeoL, part.IV, q. xxiii, n. 1, a. 1. Par quoi se trouve écartée d’avance l’accusation que Luther portera un jour contre les indulgences : les accorder, dira-t-il, c’est uniquement dispenser des bonnes œuvres et donc, sous couleur de piété, tendre un piège et porter préjudice : Indulgentiæ sunt piæ fraudes fidelium et remissiones bonorum operum, 18e de ses propositions condamnées par Léon X, Denzinger-Bannwart, n. 758. L’objection vaudrait dans l’hypothèse d’une conception des indul T.

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