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SATISFACTION. LES TARIFS PÉNITENTIELS


tion de la satisfaction qui s’y exprime est exactement celle qui caractérise les Églises restées ou devenues étrangères à la pratique de la pénitence publique.

2° La généralisation de la pénitence privée. - C’est donc que, là même où l’on s’applique le plus à maintenir cette forme traditionnelle de l’expiation et de la rémission du péché, prévaut une façon plus subjective d’en concevoir et d’en poursuivre la réparation. A mesure que l’une devient plus administrative et plus exceptionnelle, l’autre passe au premier plan dans l’ordre proprement moral et religieux. Le for interne se dégage progressivement du for externe, et c’est aces orientations nouvelles des esprits que correspond, dans la pratique, la généralisation de ce qu’on appellera désormais la pénitence privée.

1. Traits caractéristiques traditionnels.

Comme moyen d’obtenir le pardon du péché, elle ne saurait produire à personne l’impression d’une innovation. Cf. Pénitence, col. 857. Traditionnel pour les fautes moindres, ce mode de pénitence avait plus ou moins vite été considéré comme pouvant suflire aussi, exceptionnellement, pour les fautes les plus graves. Il n’était pas seulement le seul possible au moment de la mort ; même au cours de la vie, nous l’avons vu dès la période précédente, il arrivait, pour des motifs divers, qu’on en prît son parti. Mais il est bien vrai que le trait caractéristique de l’évolution de la pénitence dans le haut Moyen Age se trouve dans la prédominance officiellement admise de son aspect subjectif et afllictif.

On ne saurait parler pour autant d’une expiation du péché exclusivement privée et secrète. Elle comporte, tout au moins pour les fautes plus notables, une exclusion de la communion qui peut être fort longue et ne saurait passer inaperçue. Les œuvres expiatoires à accomplir dans l’intervalle ne sauraient manquer non plus d’attirer l’attention. Mais elle n’implique aucun assujettissement à des rites liturgiques spéciaux et publics. L’intéressé s’en acquitte en son particulier. Les satisfactions qui lui sont imposées consistent surtout en abstinences et en jeûnes plus ou moins rigoureux et prolongés, en aumônes, en interdictions de séjour ou en pèlerinages, en psaumes ou autres prières à réciter régulièrement. Voir Pénitence, t. xii, col. 849-851 et Pémtkntiels, col. 1163-1165.

Non moins qu’ailleurs, cependant, la pénitence ainsi faite est conçue comme un moyen d’échapper aux châtiments du péché. In prsesentia, céleri medicina psenitentiæ preevenire oportet pœnas perpétuas in fuluro. Pénitentiel de Vinnian, can. 22, dans Wasserscnleben, Die Bussordnunç/en der abendlandischen Kirche, p. 113. Elle en est le rachat, la « rédemption » : Per pœnitenliam redirai potest, note le même Pénitentiel à propos des plus grands crimes, par exemple, can. 12, 18, 22, 35, 47 ; ibid., p. 110-118. Il faut l’avoir accomplie pour être « réconcilié » : allario reconcilietur, can. 6 ; restituatur altario, can. 14 ; jungatur altario, can. 15 ; 35. L’absolution est accordée par le prêtre en dehors de toute cérémonie liturgique. Cependant elle peut précéder l’achèvement de l’expiation. En danger de mort, cela va de soi. Ibid., can. 34. Mais on l’admet aussi pendant la vie : Post annum et dimidium eucharistiam sumat et ad pacem veniat, dit le Pénitentiel breton de Gildas, de prêtres et de diacres condamnés à une pénitence de trois ans. Art. 1, dans Wasserscnleben, op. cit., p. 105. De même le Pénitentiel de Cumméan : II, De fornicatione, 2, édit. de Zettinger, dans Archiv jiïr kalhol. Kirchenrecht, t. lxxxii, 1902, p. 508. La raison donnée est ne anima tanto tempore cœlestis medieinæ jejuna intereat. Or, cette anticipation de la communion, les judicia Theodori conservés par la tradition montrent cet évêque qui la généralise lui-même : Psenilentes non debent, secundum canones, communicare anle consummalionem pienitentiæ. Theodorus

autem, pro misericordia, post annum pcI post sex menses licentiam dare /assit. N. 123, dans Wasserscnleben,

op. cit.. p. 174. De même dans la collection du Discipulus Umbrensium, saut la substitution à Theodorus de l’indéfini nos : Nos post annum vel sex menses licentiam damus. Ibid., p. 196. C’est dire que la satisfaction s’achève après l’absolution et, sur ce point, le désaccord avec les « canons » est moins absolu que ne le croient les auteurs de ces textes : ce qu’ils admettent comme normal, nous avons vu que la pratique ancienne l’avait parfois comporté, tout au moins à titre d’exception. Voir col. Il 13 sq.

2. Les « taxes » des « pénileniiels ». — Le trait le plus original de cette forme < insulaire » de la pénitence, à cet le époque, est de se trouver « taxée » ou « tarifée » d’avance dans ce qu’on appelle les « livres pénitentiels ». C’est là tout au moins que se trouvent le mieux indiqués les modes de satisfaction les plus usités au Moyen Age.

a) Origines et caractère. — On a vu ci-dessus, t. xii, col. 847-877 et 1160-1179, la place qu’occupent alors ces sortes d’ouvrages dans l’exercice du ministère pastoral et quelle en est l’origine. Voir aussi Watkins, A history of penance, t. ii, p. 756-761. Conçus et élaborés d’abord en Irlande et en Grande-Bretagne, ils se sont répandus ensuite sur tout le continent. Pour les prêtres isolés dont nous avons parlé, ce sont comme des guides d où ils trouvent toute faite l’adaptation de la pénitence aux diverses catégories de fautes qu’on vient leur confesser. Presbijtcrorum noslrorum opuscula, les appelle Ébon, évêque de Reims (vers 830), en demandant àl’évêque de Cambrai, Halitgaire, d’en rédiger un. P. L., t. cv, col. 652 D. Sacerdolum noslrorum libelli, dit également vers 840, Rodolphe, évêque de Bourges, Capitula, prologus, P. L., t. c.xix, col. 703 G, et le concile de Paris, en <S29, can. 32, en parle aussi comme des codicelli, dont se servent les prêtres pour imposer la pénitence. Concil. sévi kar., t. i, p. 633. Ils n’ont aucun caractère officiel, aucune autorité canonique. Des particuliers y ont recueilli et noté pour eux-mêmes ou pour d’autres les variétés de peines ou « pénitences » qu’il convient ou qu’il est d’usage d’imposer pour les différentes catégories de péchés et de pécheurs. Ils y ont inscrit sous le nom de canones. de judicia, de capitula, les « dits » d’apôtres comme Patrice, Gildas, d’évêques comme Théodore, de grands abbés comme saint Colomban, sur la manière d’appliquer aux cas concrets les principes pénitentiels posés par les écrivains ecclésiastiques ou transmis par les conciles soit généraux soit locaux. Une jurisprudence pénitentielle s’est ainsi fixée, qui récemment a fait qualifier de « tarifée » la pénitence administrée d’après ces sortes de recueils. Par « tarif » on entend la satisfaction prescrite pour chaque faute. Cette manière d’y pourvoir n’a rien que de traditionnel : les canons pénitentiels d’Elvire, d’Ancyre ou de Nicée ; ceux de saint Basile et de saint Grégoire de Nysse « tarifaient » eux aussi la « pénitence » à imposer. Le soin seulement de l’adapter aux cas particuliers était laissé par eux à ceux qu’ils appelaient les « économes de la pénitence ». Ici, tout au contraire, cette adaptation était livrée toute faite. Les prêtres confesseurs n’avaient ou croyaient aisément n’avoir qu’à la prendre dans leurs « livres ». De plus l’expiation prévue était toute autre qu’en Asie Mineure, en Afrique ou à Rome. Elle consistait surtout en restrictions alimentaires, qu’on faisait un devoir au coupable de s’infliger à lui-même.

Les abstinences de vin et de viande, les jeûnes au pain et à l’eau, les aumônes, les pèlerinages et les récitations du psautier qu’on leur prescrivait ainsi, paraissaient-elles moins pénibles et étaient-elles plus profitables aux chrétiens du viiie, du IXe et du Xe siècle que ne l’eût été l’assujettissement aux rites liturgiques