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SALAMANQUE (THÉOLOGIENS DE). LA DOCTRINE


Jean de Saint-Thomas, voir son art. ci-dessus, t. viii, col. 808.

2° Sur le révélé virtuel et sa déftnibililé comme objet de foi théologale (tr. XVII, disp. I. n. 124-153, t. xi, p. 58-71 ; cf. F. Marin-Sola, L'évolution homogène du dogme catholique, t. i, Fribourg, 1924, p. 87-94). — Ils nient (n. 124) que le révélé virtuel soit jamais objet de foi : il ne peut être que conclusion théologique. C’est qu’ils ont entendu la virtualité révélée dans le sens de Suarez et de de Lugo, comme s’il y avait ici, ainsi que dans l’ordre de la causalité naturelle, une cause et un efîet réellement distincts, au lieu d’adopter la notion traditionnelle d’un virtuel implicite. D’où pour eux cette difficulté, que l'Église a souvent défini comme de foi des vérités non formellement révélées dans l'Écriture. Suarez et de Lugo n’avaient osé révoquer un tel fait en doute ; et ils tentaient de l’expliquer, sans préjudice de leur conclusion principale. À bon droit, nos théologiens refusent leurs explications. Mais ils sont par là conduits à la position nouvelle et audacieuse de nier le fait qu’on leur oppose : « Ils tranchent d’un coup le nœud gordien et, par un solennel nego majorem, ils font table rase de l’histoire et nient que l'Église oit jamais défini aucune vérité virtuellement révélée, aucune conclusion théologique proprement dite. » Marin-Sola, op. cit., p. 88-89 ; cf. Sa/m., toc. cit., n. 146. « Jamais aucun théologien antérieur à Molina, qu’il appartînt au camp thomiste ou à toute autre école, n’avait osé lancer ce nego majorem des théologiens de Salamanque ; complète négation de tout ce que nous apprend l’histoire des dogmes et de tout ce qu’admettent unanimement les théologiens jusqu'à la fin du xvi c siècle. » (Ibid., p. 89.) On noiera toutefois qu’une position comme celle du P. Schultes sur le problème de l'évolution des dogmes emporterait une appréciation moins défavorable de cette intervention des Salmanticenses. Cî.Rev. des sciences phil. et théol., t. xiv, 1925, p. 286-302.

3° Sur le desir naturel de voir l’essence divine (tr. II, disp. V, dub. in-v, t. i, p. 103-118 ; tr. IX, dis]). VI, n. 6-10, t. v, p. 377-380). — Ils se situent dans la tradition thomiste de leur temps, quitte à rendre moins fidèlement ce que l’on tend aujourd’hui à considérer comme la position authentique de saint Thomas. A partir d’une indication de Bariez, ils ont été cependanl les premiers, semble-t-il, à dégager la question de la démonstrabilité de la vision de Dieu comme possible à l’intellect créé ; mais pour dire que par la lumière naturelle, prise en soi et précisément, on ne peut évidemment connaître ni démontrer que la vision de Dieu par essence soit possible à l’intellect créé.Tr. II, disp. Y, n. 39. Ils ajoutent qu’il n’y a pas dans la créature intellectuelle d’appétit inné de la vision divine, considéré comme poids et inclination de nature, sans une connaissance préalable se référant à Dieu clairement et quidditativement vii, soit en tant qu’il est Trine et Un, soit en tant qu’il est Un et selon les prédicats convenant à la cause première. Ibid., n. 60. I.e désir naturel dont parle saint Thomas, inspiré par la vue des effets naturels de Dieu, est inefficace et conditionné : le saint Docteur l’appelle néanmoins un désir naturel ou nécessaire quant à sa spécification, non parce qu’il est tel absolument parlant, et donc qu’il posséderait toujours cette nécessité comme la possède le désir de la béatitude en général, mais parce qu’il est naturel et nécessaire ut in pluribus : de même, toutes proportions gardées, que l’appétit de la vie, de la science, de l’intégrité corporelle et choses semblables, qui n’est point un appétit naturel et nécessaire ni semper, mais ut in pluribus.

4° Sur le mode de l’habitation ou présence de Dieu dans l'âme des justes (tr. VI, disp. XIX, dub. v, t. m. p. 752-761. Cf. A. Gardeil, La structure de l'âme et

d : ct. de tiiéol. cathol.

l’expérience mystique, t. n. Paris, 1927, p. 35 sq.)- — A l’imitation de Suarez, de qui ils accentuent la position originale (au rebours de celle de Yasquez), les Salmanticenses entreprennent d’expliquer la présence de Dieu en l'âme des justes à partir des seules exigences de la charité, sans faire nullement intervenir la considération de la présence d’immensité, lui quoi ils ne sont pas fidèles à saint Thomas, pour qui la présence d’immensité de Dieu auteur de la grâce donne son fondement à la présence spéciale et objective qui s'établit en l'âme du juste. Fl. dans leur argumentation, ils commettent notamment la faute déjuger des conditions de la charité sur la terre d’après la charité du ciel. au nom de l’identité spécifique de l’une et de l’autre : comme si l’objet spécificateur d’un habit us ne se spécifiait que selon une présence substantielle au sujet. Un théologien comme le P. Froget, à la suite de Billuart, dépend de cette opinion de. Suarez et des Salmanticenses.

5° Sur la grâce (tr. XIY, t. ix-x, avec les passages s’y rapportant dans les autres traités). — En cette matière controversée entre toutes, nos théologiens observent la position communément reconnue comme celle du thomisme dans la seconde moitié du xviie siècle. Elle se tient entre le molinisme d’une part, les^ auguslinismes immodérés de l’autre. Saint Augustin et saint Thomas sont les deux maîtres déclarés de leur doctrine. Certaines de leurs thèses néanmoins valent comme des positions de lutte, plutôt qu’elles ne représentent l’enseignement exact de saint Thomas.

1. Absolument parlant, l’homme tombé peut aimer Dieu par-dessus toute chose par les seules forces de sa nature ; quoique pour aimer Dieu ainsi.de puissance conséquente, c’est-à-dire pour y parvenir pratiquement, en dépit de tous les obstacles, la grâce soit nécessaire. Disp. III, n. 129. Comparer avec saint Thomas, l'-ID, q. cix, a. 3.

2. Il y a de fait une grâce actuelle intérieure vraiment suffisante aux actes surnaturels, et qui est très souvent séparée de l’efficace. Selon la providence et dans l'état actuel. Dieu prépare et offre à tous les hommes les secours nécessaires au salut : il les confère effectivement, et c’est pourquoi il n’est point d’homme en possession de la raison chez qui aucun sec. nus surnaturel ne soit reçu. Disp. VI, n. 5, 13. 61. Théologie qu’il faudrait confronter soigneusement avec celle de saint Thomas. Sur la distribution des grâces suffisantes, les Salmanticenses, quoique très fermes en leur sens. reconnaissent comme fort probable, assez commune entre les théologiens et appuyée par des arguments assez difficiles, l’opinion contraire à celle qu’ils soutiennent. En s’en séparant, et en critiquant notamment un thomiste comme Gonet, qui limitait encore la distribution des grâces suffisantes, ils témoignent être préoccupés de SOUStraire le thomisme à toute suspicion de jansénisme. Il a été signalé plus haut, art. Infidèles (Salut des), I. vii, col. 1X13-1845, que nos théologiens entendent bien, sous la grâce suffisante, un secours surnaturel quoad substantiam, ce qui les conduit à admettre la distinction d’une foi surnaturelle au sens strict et au sens large, dont la première idée viendrait de Ripalda.

3. De cette théologie de la grâce suffisante, on est donc amené à rapprocher l’une des thèses qu’ils professent en matière de salut des infidèles. Ils disent en effet que, si la foi explicite au Christ, après la promulgation de l'Évangile, est de soi nécessaire au salut, par accident cependant il peut arriver, même après la promulgation de l'Évangile, que l’on soit sauvé sans une telle foi. Sur ce point encore, ils sont opposés à Gonet, mais aussi à Jean de Saint-Thomas ; et l’on doit avouer que leur argumentation est faible. Tr. XVII, disp. VI, n. 77.

T. — XIV.

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