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SALAMANQUE (THÉOLOGIENS DE. LA DOCTRINE
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théologiens dominicains sur les principales chaires de cette université depuis Vittoria, n’ont pu que soutenir leur résolution de s’attacher avant tout au Docteur angélique (la formule du serment décrété par l’université de Salamanque le 7 juin 1027 pour les professeurs de théologie scolastique est reproduite dans le Cursus, tr. XIV, disp. I, n. 269. Basile Ponce, professeur à Salamanque, avait publié un écrit pour la défense de ce serment, que certains critiquaient, 3' éd., Douai, 1634). On comprend donc l’enthousiasme et l'émerveillement qu'éprouvèrent les théologiens thomistes à l’apparition de l’ouvrage, en un siècle surtout où ils avaient à soutenir le combat contre tant d’adversaires. Jean de Saint-Thomas ne manqua pas de décerner quelques lignes d'éloge, dès 1635, dans la Préface de la IVe partie de sa Philosophia naturalis, aux Complutenses et aux Salmanliccnses ; Gonet voulut dédier son Clypeus à sainte Thérèse comme les Salmanlicenses avaient dédié leur Cursus à saint Thomas, en signe d’une reconnaissance que l’on sent très sincère ; de même le couvent dominicain de Toulouse se mit en devoir d'écrire aux auteurs une lettre chaleureuse où est loué leur zèle de la cause thomiste. Il est sûr que les disciples de saint Thomas n’eurent pas de plus fidèles alliés.

Avec cela, n’attendons pas de nos auteurs une interprétation historique du maître. Nous voulons dire qu’ils ne sont pas curieux du sens original de la doctrine, retrouvée dans les intentions et l’esprit qui l’animent. Déjà leurs omissions de traités ou de questions, comme leur façon de distribuer la matière théologique dans les différents genres tpie nous avons dits, sont sur ce point significatifs. Car, chez un saint Thomas, l’ordre de la doctrine n’est pas indifférent à la doctrine même. De certaines insistances, un certain équilibre des matières, des allusions le plus souvent discrètes y sont des circonstances non négligeables. A l’intérieur des traités qu’ils conservent, les Salmanlicenses respectent l’ordre des questions, et ils expliquent même qu’il est convenable de les étudier en cette suite : mais la raison d'être de telle recherche, une reconstruction de la doctrine par le dedans, telle qu’y avait procède saint Thomas lui-même, il ne faut pas le leur demander. De même leur argumentation, faite de raisons accumulées, prises d’ici et d : là, n’entend point reproduire le mouvement de pensée du Docteur angélique. À plus forte raison, ne s’intéressent-ils pas à la genèse, parfois laborieuse, de ces doctrines qu’ils enregistrent toutes faites. Un Cajétan se montrait attentif aux changements observables d’un ouvrage à l’autre de saint Thomas : qui nd il les leur signale, leur tendance est plutôt de faire valoir une interprétation des textes où soit sauvegardée l’uniformité de la pensée (eximpie tr XIV, disp. II, n. 162). D’un mot, ils ne retournent pas à l’Ange de l'École, ils le continuent. Et l’interprétation qu’ils en donnent se trouve, du coup, conditionnée par tout ce que le temps et la nécessité même d’en défendre le dépôt ont introduit d’inauthentique en une telle doctrine. Il ne sera pas difficile d’en fournir des exemples tout à l’heure. L’un des effets de cette méthode est qu’on nous livre des solutions thomistes pour dis questions qui ne le sont pas toujours. On verra donc dans le célèbre Cours dt Salariu-nquc un témoin de l'état du thomisme au xvii° siècle ; mais on se gardi ra de penser qu’il puisse suppléer la lecture

de SSlnl Thomas lui même.

3° Théologie et humanisme. Un trait spécial de leur méthode est propre à nous découvrir une certaine position historique de nus théologiens, nous voulons dire leur rapport au mouvement humaniste, dont ils sont d’ailleurs tributaires, comme leur style en fait foi. En tête de chaque traité, ils ont soin d’instituer une élude du mot même qui le désigne. Us recensent à cette

occasion toutes les significations auxquelles il prête, illustrées de citations profanes et chrétiennes. Conduite avec intelligence, cette méthode peut dépasser l'érudition plus ou moins conventionnelle et faire entrer dans le vif îles choses. De fait, sur deux cas au moins, nous voyons nos auteurs s’animer. Le mot d’incarnatio n’est lias dans la langue latine. Cornélius Agrippa en avait pris argument pour déclarer vainc toute étude du Christ : d’où cette invective que l’on sera peut-être curieux de lire :

Sed lii hommes sunt grammatici, superbi, verbosi, et qui in reluis sanctis ineptius præ cunctis soient delirare, dum omnia verborum ferula ; conantur submittere. Quinimmo quo mysteria sacra minus percipiunt, verborum aucupio detenti, eo nuisis impii sunt et audaces ut giavia aliorum studia parvifaciant et spei aant : quod expérimente constat in ipso Agrippa, Valla, Erasmo, Revelino, Petro de Valle Clausa aliisque grammaticis, prodromis hareticorum et tactoribus. nui (ut objectant simul dispellamus calumniam) Lactantîo, Cypriano et Hieronymo, vel in ipsa latinitate, qua superbiunt, comparati, pigmæi erant : et tamen hi Patres non semel Incarnationis vocabulo usi sunt. Tr. XXI, Prooem., n. 2.

Nos théologiens retrouvent Érasme et Valla, en compagnie cet te fois de Théodore de Bèze. à propos du mot de psenitentia. Ils ne montrent pas moins d’humeur que dans le premier texte :

lline quam tandem nanciscantur Laurentius Valla et Erasmus, duo Lutheri et lutheranæ f ; rcis aliorumque ejus(Icin larragiuis vexillarii ac pra-cursores, facile constat. Obtendunt Itaque hi duo obcæcatissimi in pœnitentiam lestes et infestissimi hosles (a quibus didicisse prolitetur Lutherus eam placidam et delicatam psenitentise signifrcationem tôt les catholicis obstiusam et pro nostris ha’retice proclamât am), eam non a peense tenentia vel punientia originem trahere vel ethyrna sumerc ; sed a pone et lencrc. quasi r eincidal pœnitere cum eo quod est posterius consilium tenere, etc.

Pour conclure comme ceci :

Inde Laurentii Valla, Erastni, Hez ; e et similium gannitus contemneadi sunt et pro næniis ac nugis habendi. Tr. XXIV, Prooem., n. 3.

Voilà donc l’humanisme et ses méthodes philologiques éconduits sans ménagements des écoles de théologie. N’aurait-on pu souhpiter cependant quelque influence plus heureuse sur les théologiens d’un mouvement si favorable à raffinement du sens historique comme à une perception renouvelée des textes originaux ?

IV. La doctrine.

Le Cursus de Salamanque reproduit le plus souvent les thèses reçues dans l'école thomiste du temps. Il est inévitable cependant que, sur certains points, des divergences subsistent à l’intérieur même de l'école, comme il est probable que des opinions soient défendues par nos théologiens qui ne peuvent réellement s’autoriser de saint Thomas. On ne remue pas une telle matière sans trahir ici ou là quelque originalité. Nous présentons ci-dessous quelques thèses caractéristiques des Salmanlicenses. dont quelques unes ont été déjà signalées ; on ajoutera sans doute encore à la liste ainsi établie. Il est. remarquable que ces thèses se laissent difficilement ramener à dos principes constants, ni davantage à des influences préférées. Elles offrent plutôt de ce point de vue une grande diversité et qui témoigne d’une relative indépendance chez nos théologiens.

1° Sur le constitutif formel de la déité (tr. III, disp. IV, édit. Palmé, t. i, p. 403-429). — Type de question disputée entre thomistes mais non posée par saint Thomas. Les Salmanlicenses tiennent avec Jean de Saint-Thomas, comme constitutif de l’essence et nature divine, pour ['intelligere subsistant, de préférence à l’aséité. Cf. Études carmélilaines, t. xx, 1° part, (avril 1935), p. 128-130. Sur cette position de