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SALAMANOUE THÉOLOGIENS DE). LA MÉTHODE


la connaissance à quoi elles prêtent. Le texte suivant, relatif à l'étude des sacrements, serait applicable à toutes les matières de ce Cours : … Ai mentem, sicut diximus, et prascipuum studium in eo poncre curabimus, ut difjicultates mère scholastieas exlricemus, assignando metaphgsice sacramentorum essentiam, constitutionem, vires, efjectus, causas, subieela et reliqua quæ ejusmodi notitiam speculativam concernunt et per se ad institution nostrum speclant (tr. XXII, Proœm.). En cela, le genre scolastique se distingue du dogmatique, où l’on établit la vérité de la doctrine de foi contre les hérésies : s’y appliquent les théologiens qu’on nomme controversistes. On peut rattacher à ce dernier objet ce que nos Salmanlicenses appellent encore la théologie expositive ou historique, dont ils voient un exemple dans les q. xxvji-lix de la III omises, pour cette raison, en leur traité de l’incarnation. De même la scolastique est distinguée de la théologie morale, traitée par les magistri casuum conscienliæ, et toute tournée à. la solution des difficultés de conscience ou, s’il s’agit des sacrements, à leur administration et à leur réception. De la dogmatique, nos théologiens entendent ne retenir que les données nécessaires à l’introduction des disputes scolastiques ; de la morale, ce qui leur paraîtra nécessaire à la clarté de leur propre exposé (tr. XXII, Proœm. Cf. Proœm. et partitio tolius operis, en tête de l’ouvrage, n. 10).

Un tel dessein et les partis méthodologiques qu’il suppose ne vont pas sans conséquences. On peut penser en effet que la théologie scolastique ainsi entendue ne se tient pas autant qu’il serait souhaitable sous l’influence des données de la foi et qu’elle risque de tourner en une sorte de philosophie appliquée à des problèmes spéciaux. Il est remarquable que la. question première de la Somme, sur la nature de la théologie, est omise en ce Cursus theologicus, pour la raison, nous dit-on, que les doctrines en cause sont suffisamment éclairées par ce qu’ont dit les Complutenses en l’une des disputes de leur logique (toc. ult. cit., n. 3) : mais on ne considérait point, en cette logique, les rapports de la théologie avec la foi (relever cependant quelques notations sur l’ordre des savoirs dans l’A rbor prsed. virtutum, à propos des vertus intellectuelles). Le renvoi fréquent au cours d’Alcala révèle des auteurs peu sensibles au traitement proprement théologique de certains problèmes intéressant aussi le philosophe, comme celui de l’existence de Dieu, omis dans leur De Deo uno. En revanche, ils ne se font point scrupule d’inaugurer un Cours de théologie sur une dispute qu’on aurait cru philosophiejue entre toutes, celle du principe d’individuation et, cette fois, pour la raison que le collège d’Alcala, ob justas causas et ut brevitali consuleret, l’a délibérément omise. De la philosophie à la théologie, Antoine de la Mère de Dieu semble ainsi passer le plus naturellement du monde. Ne dit-il pas que le cours de philosophie est la préparation du cours de théologie, celui-ci le « complément » et la « forme » du premier ?

Ce n’est pas, bien entendu, r|ue nos auteurs ignorent ou méconnaissent la dépendance de la théologie par rapport à la foi et aux organes de la foi. Ils invoquent dans leur argumentation les preuves positives tirées des documents inspirés ou ecclésiastiques. Ils institueront même une recherche spéciale pour savoir, par exemple, ce qu’ont pensé les Pères de la possibilité de voir Dieu par essence (car Vasquez prétendait qu’ils l’avaient niée). Ce n’est pas non plus qu’ils s’exagèrent l’efficacité des raisons auxquelles se prêtent les mystères de la foi, soit l’analogie de la nature intellectuelle invoquée en faveur de la génération el’un Verbe en Dieu (une belle déclaration en ce sens, tr. VI, disp. I, n. 16). Mais on ne peut s’empêcher d’observer chez eux la prédominance des raisons sur les données. Celles-ci

assurent un départ, après quoi le raisonnement bal son plein. La pointe de l’effort n’est pas de pénétrer aussi avant que possible dans la pensée chrétienne, en un contact permanent avec les principes de la eloctrinc théologique ; mais, sur les données une fois reçues, de raisonner et « disputer. Ils sont plus subtils que savoureux. Ils ne prennent pas le temps de nous rendre sensibles à la beauté de la pensée chrétienne ni aux réalités qu’elle engage : tout de suite, et jusqu’au bout, ils spéculent. D’où la multiplication et le raffinement de ces questions, où la foi est sûrement incompétente, où la seule philosophie peut résoudre ce eju’aussi bien la seule philosophie avait demandé. D’où l'énorme développement dialectique et le soin de se frayer une voie parmi les opinions théologiques en circulation. D’où la part considérable de la réfutation en ces discours : et comme nos auteurs qualifient en général avec bienveillance les opinions mêmes qu’ils refusent, ils n’ont guère contribué à désencombrer la théologie. I ne telle méthode s’avère capable de multiplier à l’infini les moindres thèmes : entre toutes les raisons qui expliquent la longueur décourageante de l’ouvrage, celle-là n’est pas la moindre, et l’on voit qu’elle tient au fond même des choses. En somme, nous touchons ici, dans l’histoire de la science théologique, au degré extrême d'élaboration rationnelle et d’amplification, tel qu’on n’ose plus espérer, tel qu’on ne doit point souhaiter qu’il soit jamais dépassé. Dans son genre, le Cursus de Salamanque est un modèle achevé. Mais n’y voyons pas un chef-d'œuvre de la théologie. Ses auteurs sont indubitablement des niait res et, comme on dit volontiers, de grands théologiens, conduisant leur pensée avec une sûreté admirable. On peut bien estimer avec cela qu’ils ont tout fait pour que cette haute sagesse dont ils avaient la charge soit devenue une redoutable spécialité. N’est-ce pas la raison pourquoi un tel ouvrage demeure un livre fermé, que les théologiens eux-mêmes se contentent de consulter à l’occasion ? Ecrit pour l'école, il n’en est guère sorti. On peut rêver pour la science théologique d’une autre fortune.

N’est pas non plus sans inconvénients la séparation de la scolasticpue et de la morale. Les Salmanticenses n’en sont point les auteurs, certes, non plus que de l’attitude théologique dont nous venons de parler : mais leur ouvrage, et grâce à sa perfection même, nous paraît justement être l’exemplaire excellent d’un certain état de la théologie, telle que l’a faite l’histoire. Sous le genre scolastique entrent donc des matières qu’un saint Thomas avait traitées comme étant d’intérêt moral. C’est dire qu’on les soumet à la dispute, en vue d’une connaissance savante, tout comme les matières vraiment spéculatives de la théologie. Tandis que les objets livrés à la théologie morale seront soumis au traitement casuistique, selon les méthodes préférées du temps. La véritable science morale fait les frais de cette séparation. D’une part, les grands principes animateurs de la vie chrétienne n’obtiennent guère d’effet sur l’action ; d’autre part l'étude de l’action se réduit à celle des cas, tels que le confesseur est appelé à les résoudre. Des usages et des commodités d’enseignement prévalent sur l’ordonnance authentique de la doctrine. Et c’est pourquoi la IIa-IIæ est si peu exploitée dans ce volumineux Cursus.

La fidélité à saint Thomas.

Le thomisme de nos

théologiens appelle à son tour quelques remarques. Ils professent pour saint Thomas une admiration et une fidélité dont témoignent leur doctrine et non pas seulement leurs dédicaces. Leur ouvrage représente une connaissance étendue de ses écrits et l’assidue méditation de sa pensée. En cela ils suivaient, en même temps qu’une inclination personnelle, les directives précises des autorités religieuses du Carmel réformé, f.e milieu général de Salamanque, comme l'éclat jeté par les