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    1. SALAIRE##


SALAIRE. RÉGULATION MORALE. LES SOLUTIONS

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possible du souhaitable. De là « les nuances appréciables entre les textes qui commandent ou qui condamnent, les textes qui comportent une invitation précise à agir autant que possible, dans tel sens et ceux qui se contentent d’indiquer les perspectives encore inaccessibles qu’il faut souhaiter d’atteindre un jour. Cette mesure, ce sens du possible, donne à l’enseignement de l’Église une valeur pédagogique incomparable, alors que l’affirmation de principes absolus, suivis d’une série de conséquences obligatoires irréalisables, mènerait au découragement et par contre-coup à la consolidation du régime actuel dans toutes ses tares.

b) Affirmation des responsabilités. Contraire ment à certaine mentalité trop étroitement juridique, qui réduit la morale à l’observation de ce qui est strictement commandé et à l’abstention de ce qui est rigoureusement interdit, l’enseignement chrétien en matière de salaire éveille peu à peu dans la masse des fidèles, entrepreneurs et salariés, le sens de leurs responsabilités. Toutes ces références aux tins objectives du salaire finissent par constituer un « traité des devoirs » à l’usage du patron et de l’ouvrier, montrant à l’un et à l’autre l’étendue, l’excellence et la complexité de leur fonction sociale. Tout n’est pas dit quand le salaire est payé ou gagné ; on rappelle a l’ouvrier sa mission d’époux et de père, cela va de soi ; mais on l’invite aussi à réfléchir sur la situation de l’entreprise et sur les liens de justice, sur les considérations de prudence économique, sur le sens de la solidarité, qui gouvernent son appartenance à l’usine. Mieux encore, l’enseignement ecclésiastique, inlassablement, élève les préoccupations des employeurs et des salariés au niveau du bien commun politique ; ceux qui concluent un contrat de salaire sont positivement invités par Pie XI à s’inspirer des nécessités de l’économie générale ; on leur rappelle qu’il importe à l’intérêt commun que travailleurs et employés puissent, une fois couvertes les dépenses indispensables, mettre en réserve une partie de leurs salaires afin de se constituer ainsi une modeste fortune.

Mais on fait encore observer qu’une réduction ou une hausse excessive du taux des salaires, dans des vues d’intérêt personnel, léserait la justice sociale en compromettant le bien commun, en suscitant le chômage et ses suites douloureuses. Aux entrepreneurs et aux salariés d’une industrie, on rappelle l’existence et les droits des autres branches de la production et l’on élève ainsi leurs soucis au niveau des nobles et hautes préoccupations de la prudence politique et de la justice générale. Ce n’est pas en vain que la lecture et la méditation des encycliques ont fait pénétrer ces idées dans toutes les classes de la société ; le droit, la dignité humaine, l’amitié naturelle et chrétienne, les valeurs absolues (le la civilisation, les grandes lâches pour lesquelles nous vivons, tout cela reprenait sa place au grand jour, une fois dissipé le préjugé mer cantile qui fait de la vie en société un bon placement et de chaque homme un exploiteur heureux en même temps qu’un exploité consentant.

r) Appel à lu reforme des institutions publiques. Ce rappel des devoirs politiques a pour corollaire exprès une invitation à réformer et à perfectionner les institutions publiques. L’aspect grandiose et commun

des tâches à remplir révèle immédiatement la vanité et la nocivité du préjugé individualiste. Quadragesimo anno, plus explicitement encore que Rerum novarum, explique le rôle économique de l’État, l’utilité « le la corporation professionnelle, la nécessité d’une colla boration internationale. Là encore l’éducation néces saire se poursuit. S’il es1 Mai que la fixation du taux des salaires est une œuvre de prudence et de raison, presse de conséquences politiques et basée sur des connaissances complexes et multiples, comment l’entre

preneur et le salarié, en tête à tête, livrés à eux-mêmes, pourront-ils jamais s’en acquitter convenablement ? Les institutions publiques, étatiques ou corporatives, chargées de préparer cette tâche et d’en régler les grandes lignes ne doivent plus se heurter à la méfiance ou à l’indifférence, mais susciter la collaboration confiante et efficace des intéressés.

il t Invitation à une réforme générale des mœurs. L’effort éducatif et civilisateur de l’Église porte sur l’ensemble de la vie humaine. Il dégage avec pénétration les causes psychologiques et morales du désordre économique et les remèdes nécessaires : « Le nouveau régime économique faisant ses débuts au moment où le rationalisme se propageait et s’implantait, il en résulta une science économique séparée de la loi morale et, par suite, libre cours fut laissé aux passions humaines. Dès lors un beaucoup plus grand nombre d’hommes, uniquement préoccupés d’accroître par tous les moyens leur fortune, ont mis leurs intérêts au-dessus de tout et ne se sont fait aucun scrupule, même des plus grands crimes contre le prochain… La démoralisation des cercles dirigeants de la vie économique devait par une pente fatale atteindre le monde ouvrier et l’entraîner dans la même ruine, d’autant plus qu’un très grand nombre de maîtres, sans souci des âmes et même totalement indifférents aux intérêts supérieurs de leurs employés, ne voyaient en eux que des instruments. On est effrayé … quand on considère l’universel affaiblissement de ce vrai sens chrétien qui portait jadis si haut l’idéal même des simples et des ignorants, et qui a fait place à l’unique préoccupation du pain quotidien. Contrairement aux plans de la Providence, le travail, destiné, même après le péché originel, au perfectionnement matériel et moral de l’homme, tend, dans ces conditions, à devenir un instrument de dépravation : la matière inerte sort ennoblie de l’atelier, tandis que les hommes s’y corrompent et s’y dégradent. » Le souverain pontife appelle de ses vœux les recherches et les réformes techniques, mais il ne leur reconnaît qu’une efficacité conditionnelle, dépendant de l’état des âmes : « Toutes les institutions destinées à favoriser la paix et l’entr’aide parmi les hommes, si bien conçues qu’elles paraissent, reçoivent leur solidité surtout d’un lien spirituel qui unit les membres entre eux. Quand ce lien fait défaut, une fréquente expérience montre que les meilleures formules restent sans résultat. » Et c’est pourquoi la solution de tous les problèmes sociaux dépend au premier chef d’une atmosphère rénovée, d’un nouveau « rayonnement de l’esprit évangélique sur le monde ».

e) Une position sainement relative du problême tirs salaires. — Quant au problème spécial des salaires, la pédagogie chrétienne a pour effet de le situer exactement dans un ensemble de règles morales et sociales où il perd de son acuité irritante et où il admet une solution. Le salaire n’est plus dans la synthèse chrétienne le primum moi>ens du travail ; pas davantage le prolit n’est la fin suffisante et adéquate de l’entrepreneur. On s’aperçoit que le contrat de travail n’est qu’une pièce chargée d’un rôle technique spécial, au service d’un vaste programme de collaboration juste et fraternelle qui a déjà ses lois supérieures, essentiellement humaines. Et voici qu’au sortir d’une crise redoutable, la tourmente une fois apaisée, la doctrine du salaire retrouve la simplicité relative qu’elle revê tait autrefois et l’effervescence théologique soulevée par ce problème retombe d’elle même. Bientôt l’on s’étonnera de ces joutes doctrinales qui s’obstinaient curieusement a isoler l’organe technique qu’est le salaire et a attendre de lui qu’il règle à lui seul le fonc tionnement de tout l’organisme économique ; on ne relira, pas sans surprise ces témoignages d’une raison débile et inquiète, qui prend pour donnée invariable et