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SALAIRE. ANALYSE JURIDIQUE


Il ne serait pas sans intérêt de rechercher le sens que le mot revêt dans l'Écriture — puisque nous parlons du salaire en théologien — et aussi dans l’usage courant. D’un examen siperlicicl, on conclurait que le mot de salaire y est employé sans rigueur technique. Mais il ne s’ensuit pas que l’idée de salaire ne puisse, moyennant un clïort de réllexion critique, se dégager avec une certaine précision des expressions spontanées et usuelles. La donnée la plus fondamentale et la plus générale suggérée par les divers emplois du mot est cille d’une contre-partie équilibrée, d’une juste compensation.

Cependant on peut serrer de plus près l’idée de salaire en insistant sur ceci, que l’idée stricte de salaire inclut celle d’une stricte justice. Il devient objet d’obligation juridique, un élément du contrat conclu entre deux parties, par lequel l’une d’elles accepte de se tenir par rapport à l’autre dans une situation inférieure, relativement désavantageuse, pourvu qu’elle obtienne en contre-partie un avantage couvent ionnellement défini. "Voyons donc comment cette notion précise, mais philosophique et intemporelle du salaire, s’exprime concrètement en technique juridique.

L’incertitude des idées se révèle ici par l’incertitude du vocabulaire. On s’accorele bien sur l’existence d’un contrat à l’origine de la dette et de la créance de salaire ; celui-ci ne peut donc être considéré comme une indemnité ou comme une réparation pour une lésion ou un dommage subis malgré lui par le salarié. Mais, dès que l’on veut définir et même nommer ce contrat, les avis ditTèrent.

1° Contrat de travail ou contrat de salariat ? — L'économiste Ch. Gide, dans son Cours d'économie politique, 6e éd., t. ii, p. 312, regrette que les juristes emploient habituellement l’expression « contrat de travail » parce que, dit-il, le travail n’est ejue l’objet du contrat. Or, on ne désigne jamais un contrat par la chose qui lui sert d’objet : on ne dit pas le contrat de terre, ni le contrat de maison, ni le contrat d’argent, lorsqu’il s’agit de vendre une maison, de louer une terre ou de prêter une somme d’argent.

D’autre part, le juriste M. Planiol, dans son Traité élémentaire de droit civil, t. ii, n. 1820, renvoie le même reproche aux économistes. Ils se sont habitués à dire « contrat de travail », sans voir que cette expression n’a pas plus de raison d'être que l’expression symétrique « contrat de maison » si on l’appliquait au louage de chose. Selon M. Planiol, le travail, comme une maison, peut faire l’objet de plusieurs contrats très différents (louage, vente, entreprise, société, prestation gratuite) et l’expression « contrat de travail » ne précise pas suffisamment la nature du contrat dont il s’agit.

Les deux critiques sont d’accord sur un point : c’est-à-dire que les économistes, au jugement de M. Planiol, comme les juristes, si l’on en croit Ch. Gide, se conforment tous, pratiquement, à l’usage vulgaire qui admet l’expression « contrat de travail » de préférence à toute autre ; il est donc permis de tenir cet usage pour solidement établi.

Mais on ne peut concevoir que des esprits aussi fins et aussi rigoureux que M. Planiol et Ch. Gide aient pris le change sur un point aussi grave. Il sera donc instructif de peser les raisons pour lesquelles ils déplorent l’imprécision ou même l’incorrection de la formule « contrat ele travail.

Il n’est pas question pour eux de substituer à cette formule celle ele > contrat de salaire n. En effet, le salaire, ou plutôt la prestation de salaire est l’une eles obligations naissant ele noire contrat, à la charge ele l’une des parties ; contrat ele salaire » est elone aussi incorrect qin-contrai de prix » ou « contrat d’inté rèt. Or. pour Gide et pour Planiol, le travail, ou plus exactement la prestation ele travail, constitue précisément l’obligation symétrique de celle-là. Le contrat dont nous nous occupons crée à la charge des deux parties ces deux obligations réciproques ; l’une est tenue de fournir du travail, en certaines conditions ; l’autre est tenue de payer le salaire. Quoi qu’en ait dit Ch. Gide, ni le salaire ni le travail ainsi entendus ne constituent l’objet propre du contrat. L’analyse juridique et philosophique distingue ici entre l’objet constitutif ou formel du contrat et les réalités objectives eliverses sur quoi peuvent porter les obligations réciproques nées d’un même contrat. L’objet qui constitue et définit proprement le contrate.t l’ordre selon lequel les parties conçoivent et réalisent d’un commun accord la liaison de leurs obligations respectives et réciproques. Il y a contrat parce qu’il y a accord des volontés sur un objet unique ; il ne suffit pas que l’une el"s parties promette de faire et que l’autre promette de donner ; il faut que l’une et l’autre conviennent d’un certain type d’ajustement synallagmatique entre l’un et l’autre engagement. Les anciens avaient parfaitement saisi l’unité contractuelle supportant l'équilibre des engagements réciproquement contractés ; le vocabulaire classique témoignait de cette vue synthétique par les couples emptio-venditio, locatio-conductio, expressions techniques qui désignent les contrats de vente et de louage.

De même donc que la réalité juridique du contrat de vente n’est suffisamment définie ni par l’obligation du vendeur : livrer la chose ; ni par l’obligation de l’acheteur : payer le prix ; ni même par la simple juxtaposition de ces deux obligations, de même la réalité juridiepæ du contrat que nous essayons d’analyser ne peut se définir précisément ni par une obligation de fournir un travail ni par une obligation de payer un salaire. Il faut atteindre et, si possible, exprimer le type caractéristique d’ajustement qui assume les deux obligations distinctes et antagonistes, qui les soude en un seul complexe et qui constitue en dernière analyse le véritable objet de l’accord. C’est au fond cette exigence qui conduit parallèlement Ch. Gide et M. Planiol à rejeter l’expression « contrat de travail », parce que, sans s’en douter peut-être, ils partagent la même conception du travail-chose, objet de prestation, du travail que l’une des parties s’engage à fournir contre la prestation du salaire. L'économiste et le juriste acceptent, sans la discuter philosophiquement, l’existence d’une « force de travail, qui réside en chaque personne et qui peut être utilisée par autrui, comme celle d’une machine ou d’un cheval ». Planiol, op. cit., n. 1827. Une telle force peut être mise gratuitement à la disposition d autrui, elle peut être retenue par son propriétaire, mais elle peut être aussi concédée à autrui moyennant une rémunération. Dans ce dernier cas, le problème se pose immédiatement de mesurer cette force, afin de déterminer le montant de la rémunérât ion ; on y parvi ndra par différents procédés, de tous points analogues à ceux equi permettraient par exemple de mesurer l'énergie électrique ou l'énergie thermique : soit par une sorte d" tarif forfaitaire (au temps), soit par la mesure d<s effets produits (à la tâche). Mais cet aménagement pratique demeure secondaire et laisse subsister l’idée de principe : le travail est la réalité que fournit l’une eles parties contractantes.

Si l’on admet cette conception, il est clair que notre contrat ne devrait plus s’appeler « contrat de travail ». El puisque malgré tout c’est ce nom qu’on lui donne communément, nous devons nous demander si le vulgaire entend le travail élans le même sens que les économistes.

Au lieu de (ont rat de travail. Ch. Gide propose