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SAINTS (CULTE DES). LÉGISLATION ACTUELLE


Enfin l’auteur se met trop à l’aise avec les pratiques du culte des saints : « Qu’on les ait invoqués avec tel ou tel rite, à telle époque et en tel pays, c’est affaire de pure discipline qui est sujette à des changements. » Loc, cit., p. 711. On remarquera, dans plusieurs de ces solutions, le ton tranchant et sans nuance qui déplaît en ce théologien.

5. Billuart, malgré sa méthode argumentatrice, est un homme de bon sens et de juste milieu. À propos de notre question, qu’il raccroche à l’article de saint Themas sur le destinataire de nos prières, Traclalus de religione, dissert. II, art. 3, il fait ces quelques réflexions qui méritent d'être retenues : « J’avoue que l’invocation des saints n’a pas été si fréquente chez les juifs que chez les chrétiens, et ne leur a point été proposée. » Objectio viii, édit. Lyon, t. vii, 1852, p. 195. Il y a aussi des Pères anciens qui rappellent que Dieu connaît tout et est plein de miséricorde : c’est le cas de rappeler l’adage bien chrétien : il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu'à ses saints. Billuart renvoie ses interlocuteurs à cet autre adage de saint Jean Chrysostome : « Ne méprisons pas les prières des saints, mais ne mettons pas toute [notre espérance, notre religion| en eux. » « Plusieurs autres docteurs, surtout Origène, parlaient à des païens, avec qui il était moins question de bâtir les dogmes de la foi que de réfuter les accusations nées d’une mauvaise interprétation de notre foi. »

6. À propos des Vies des saints.

La controverse protestante porta aussi sur les Vies des saints. Louis Vives n'était pas tendre pour la Légende dorée. De tradenda disciplina, .X. Bellarminet Baronius n’osaient trop toucher même aux anciens Acta martyram. « Je le dis avec douleur, écrivait Melchior Cano, il y a beaucoup plus d’exactitude et d’intégrité dans Suétone, historien des Césars, que dans les catholiques, historiens des martyrs, des confesseurs et des vierges ! Presque tous sacrifient à leurs préjugés, ou se jettent par système en tant de fictions, qu’ils m’inspirent de la honte et du dégoût. Je comprends qu’inutiles à la cause de l'Église, ils en soient un grand embarras… Comme si les saints hommes de Dieu avaient besoin de nos mensonges, eux qui ont fait pour le Christ tant de choses vraies I Or, nos héros, j’en ai la conviction, dans leurs actions véritables, ont été bien supérieurs à ce que la renommée nous en rapporte. » De locis theologicis, t. XI, c. vi. Aussi, après les tentatives insuffisantes de Lipomani et de Surius, et de Baronius pour le martyrologe, les jésuites Bosweyde et Bolland conçurent et commencèrent l'œuvre immense des Acta sanctorum, continuée par Henschenius et Papebrock. En France, au XVIIe siècle, les bénédictins L. d’Achery et Mabillon achevaient les Acta sanctorum de l’ordre de SaintBenoît. Baillet appliquait à l'étude de la vie des saints une critique que d’aucuns trouvaient excessive ; Launoy se faisait une réputation de « dénicheur de saints ». Il reste que tous ces efforts ont sérieusement assaini le champ de l’hagiographie.

VIL La législation ecclésiastique actuelle. — Elle s’est précisée aussi bien en ce qui concerne les canonisations et béatifications qu’en ce qui vise le culte à rendre aux saints.

Canonisations et béatifications.

Le nécessaire

a été dit aux deux articles respectifs, à compléter par l’art. Procès ecclésiastiques, t. xiii, col. 639-641, pour les modifications apportées par le Code canonique.

Une question mérite pourtant d'être soulevée, parce qu’elle a encore fait l’objet de discussions récentes, c’est celle de l’infaillibilité de l'Église (et respectivement du pape) dans les canonisations. On ne saurait trancher le problème sans distinguer entre les divers régimes de canonisation.

1. Les divers régimes de canonisation. Antérieurement au décret d’Alexandre III qui réserve au

Saint-Siège le canonisation, c’est l’autorité diocésaine qui décrète les honneurs à rendre à un saint pour un territoire déterminé. Par la suite telles de ces mesures particulières ont pu recevoir l’approbation plus ou moins explicite du Saint-Siège.

La constitution Cœlestis Jérusalem d’Urbain VIII, en 1634, perfectionne la discipline établie par Alexandre III et décrète que pour l’avenir il ne se fera plus de béatification ni de canonisation, avant qu’il ne soit établi qu’aucun culte public n’a été rendu au personnage en question. C’est une manière de mettre l'Église, dans chaque cas particulier, devant une situation nette. Telle est la règle présentement appliquée. Mais, postérieurement au décret d’Alexandre III, il s'était encore produit bien des cas de culte public attribué à un pieux personnage sans intervention de l'Église romaine. La constitution d’Urbain VIII détermine une période transitoire allant de 1181 à 1534 (cent ans avant la constitution Cælesiis Jérusalem). Le culte immémorial rendu aux serviteurs de Dieu durant cet intervalle pouvait demeurer dans le slatu quo ; mais de plus, il était possible d’instruire leur procès de béatification, per viam cultus seu casus exceplî, pour obtenir une approbation formelle de ce culte, équivalant à la béatification, qui peut devenir à son tour canonisation équipollente. Cf. Procès ecclésiastiques, col. 641.

2. Valeur des jugements rendus dans les faits de canonisation. — La question est de savoir si l'Église est infaillible quand elle propose tel personnage au culte des fidèles, le problème ne se posant d’ailleurs que pour les saints et non pour les « bienheureux ». Voir l’Ami du clergé, 1937, p. 317 sq., discutant la position de Bartmann en son Précis de théologie dogmatique. t. i, I). 58. Il semble bien qu’il faille établir ici des distinctions.

Pour les canonisations des seize premiers siècles, durant lesquels l'Église n’a que bien rarement engagé son autorité suprême, et s’agissant des nombreux martyrs ou confesseurs qui n’ont pas fait l’objet d’une décision spéciale du pape (par insertion au bréviaire et au missel, par confirmation spéciale d’un culte immémorial), « Bartmann a raison d’enseigner que les canonisations ne peuvent être acceptées qu’avec un acte de foi générale ecclésiastique ». Ami du clergé, p. 317. Cet acte de foi générale nous persuade que le grand nombre des personnages nommés au martyrologe sont dignes de notre culte. Ceux dont on fait mémoire à l’office échappent à toute suspicion ; quant aux autres, il serait imprudent d’en nier sans raison grave la sainteté, mais aucun enseignement infaillible n’est à invoquer en faveur d’une adhésion absolue.

Les cas est différent pour les saints canonisés formellement depuis Urbain VIII ; le jugement doctrinal que recouvre le décret de canonisation est infaillible : le saint canonisé est vraiment en jouissance de la vision de Dieu. L’acte de foi que commande ce témoignage de l'Église « n’est pas forcément un acte de foi divine : la plupart des théologiens n’y voient qu’un acte de foi ecclésiastique ». Ibid., p. 318. Mais il ne faut pas faire dire à cet acte plus qu’il n’est requis. Quand l'Église canonise un saint, « elle juge, d’un jugement prudentiel, moralement certain, que tel personnage est mort dans l’amitié de Dieu », mais elle ne canonise pas parla même toutes les initiatives du saint, même celles mises en relief par la procédure canonique préparatoire au décret définitif. La canonisation n’implique pas recommandation, par exemple des pratiques de pénitence et de piété d’un saint Benoît Labre. Elle n’implique pas davantage la croyance à la réalité des miracles opérés par les saints durant leur vie ou après leur mort. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille faire peu de cas de miracles soumis à un examen entouré de toutes les garanties.