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943 SAINTS (CULTE DES). AU M. A., POPULARITÉ DU CULTE

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monastères firent récrire, voire même recomposer des passionnaires complets. Au xiir siècle, on trouve des légendaires rimes, analogues latins de nos chansons de gestes. L’origine des ordres mendiants, n’est-elle pas une merveilleuse épopée évangélique’.' Aussi fit-elle L’objet d’histoires moralisées comme les Fioretti et le Livre des frères, qui sont encore des recueils de Viliv Patrum. Aux xiv et xv siècles, après les Révélations de sainte Gertrude, les Vitte deviennent des études de l’âme sainte et des opérations les plus extraordinaires de la grâce. Signalons les encyclopédies de Vincent de Beauvais, Spéculum historiale, et la Légende durée de Jacques de Voragine, où toutes les légendes viennent confluer.

Nous avons mentionné toutes ces productions non pas pour en approuver les affirmations, mais uniquement comme témoignage de la dévotion croissante des fidèles pour les saints de tous ordres. Ce qu’on peut tirer de plus solide, en effet, de beaucoup de ces Vies de saints, ce sont les preuves du culte constant qu’ils ont reçu dans tel sanctuaire ; quant aux faits de leur vie qui ont suscité une telle admiration, il faut concéder à la critique que le départ des choses certaines est difficile. Des plus suspects cependant, on pourrait répéter ce que Bollandus, avec un peu d’optimisme, écrivait de la Légende dorée : « Certes je n’approuve pas tout ce qui est écrit en ce livre ; je ne doute pas néanmoins qu’il ait suivi des monuments anciens… Que Jacques de Voragine ait eu un style incorrect, c’était le vice du temps. Mais il était docte et pieux… > » Acla sanct., préface générale, § iv, p. 10. Les hagiographes ont sur place trouvé bien plus qu’un nom, et « les saints qui n’ont pas existé a ne sont qu’une infime exception. Cf. II. Delehave, Sanctus, p. 208.

Dans ces témoignages de la piété envers les saints, l’élément humain et populaire, c’était fatal, paraît plus contestable que la vie du saint lui-même. Les chroniqueurs se sont faits les échos de l’enthousiasme des foules et ils ont raconté, avec l’intention de les faire admirer de la postérité, les merveilles les plus invraisemblables accomplies sous leurs yeux ou rapportées par la tradition. Cependant la gloire en est rapportée à Dieu. Cf. Adrevald de Fleury, De miraculis S. Benedicli, dans Acl. sanct. 0. S. H., t. ii, p. 363, et passim. De plus, à côté des guérisons corporelles, ils ont fait une place aux conversions. Cependant ils imaginent des rivalités entre saints et tirent de tel miracle accompli chez eux des conclusions qui auraient laissé rêveur saint Augustin. Loc. cit. Ils approuvent même des façons de prier qui sont de vraies mises en demeure, loc. cit., p. 366, sinon des menaces et des injures. Loc cit., ]). xxvi. Que dire de tout cela, sinon que ces abus regrettables ne pouvaient être évités ? Nous n’approuvons pas tout ce que nous tolérons, auraient pu dire, après saint Augustin, les plus sages des évêques de ces pays. « La religion de la multitude, a dit à ce sujet le cardinal Xewman. a toujours un côté vulgaire ; elle sera toujours empreinte de fanatisme et de superstition, tant que les hommes resteront ce qu’ils sont. La religion du peuple est toujours une religion altérée, en dépit des précautions que prend la sainte Église. Xewman. Culte de lu suinte Vierge, p. 123. Au reste, le catholicisme lui-même avait l’antidote dans une dogmatique ferme qui remettait sans cesse les saints au dessous du Christ et dans une morale qui était plus spirituelle que rituelle.

Il y a dans ces récils toute une part de merveilleux, dont l’an t lient ici té n’est aucunement prouvée : miracles dont le caractère même indique la fausseté, révélations qui autorisent telle pratique de dévotion envers les saints. Admettons qu’il y ait une grande part de convention littéraire ; mais on sérail plus a l’aise aujour d’hui si elle n’avait pas existé. Cf. A. Molien, Le culte des saints, p. 111.

Quand ces faits merveilleux atteignaient la célébrité, l’Église universelle s’en faisait l’écho bienveillant : elle laissait passer dans les lectionnaires, puis insérait au bréviaire, les légendes concernant les fêtes de la Vierge (Notre Dame des Neiges) et des saints : saint Sylvestre et les papes plus anciens héritèrent des légendes et des Fausses décrétâtes. Il y avait là une condescendance qui tenait au peu de cas qu’on faisait alors de l’histoire. Somme toute, Dieu n’a pas fait de miracles pour permettre à l’Église de séparer l’ivraie du bon grain ; mais c’était tout de même de l’ivraie semée par le diable dans l’âme du peuple. Les biographes d’ailleurs ne. font pas un secret de leur intention édifiante. Aussi le saint a-t-il toujours toutes les vertus : casiilate præditus, caritate profusus, in vigiliis sedulus, in oratione devotus, in fide perfectus, etc… Ces expressions reviennent en toutes les Vies. On les décrit en termes que l’on veut simples, mais qui ne sont pas toujours sans recherches verbales. On omet de nous dire les débuts, les échecs et les éclipses de cette sainteté, et, devant des gestes plus contestables, on prend le parti du silence ou de l’interprétation bénigne. La simple vérité aurait été assurément plus simple et plus loyale, et en somme plus édifiante.

Mais si les dieux n’ont pas revécu dans les saints, les légendes des dieux du moins n’ont-elles pas influé sur celles des saints du Moyen Age ? Point ou très peu. Moins en tous cas que pour certains Acta martyrum : leurs faits et gestes ont parfois été modelés sur ceux de Notre-Seigneur et des apôtres : naissance miraculeuse, présages hâtifs de sagesse et de puissance, multiplication des pains, marche sur les eaux, punition des incrédules par le feu du ciel, résistance impavide à tous les tourments, etc. Et, naturellement, on fermait bientôt les Évangiles canoniques pour recourir aux Evangiles apocryphes ; et l’on complétait tous ces thèmes par des emprunts aux éternels récits du folklore. Toutes les phases de la vie des saints, toutes les manifestations de leur culte portent, ici ou là, des enjolivements poussés sur cette racine vivace des traditions populaires. Le saint avait aimé les hommes, mais aussi les animaux et les plantes : cet arbre merveilleux avait été planté par lui, c’était son bâton qui avait fleuri. Il avait prêché aux bêtes sauvages, il en avait excommunié, il en avait guéri de leurs blessures et aujourd’hui encore, à son sanctuaire, il guérissait les chiens enragés, comme les fidèles affligés de certaines maladies, etc. Cette église qu’il protégeait, il en avait lui-même indiqué l’emplacement par une apparition ou l’invention de. sa slatue ; il en avait enclos le terrain ; il en avait bâti en une nuit ou rebâti les murs, supposant de mille façons à son déplacement, faisant sonner les cloches toutes seules à son passage, au moment de sa mort ou au jour de sa translation, etc. Sa chasse s’était arrêtée parfois inopinément à un endroit du chemin d’où ses reliques, devenues pesantes, ne pouvaient plus être enlevées ; les sources y jaillissaient comme sous le bâton de Moïse, les arbres y fleurissaient en plein hiver, etc. En conséquence, on convoquait a ses fêtes les animaux domestiques, et les bêtes de la forêt s’y donnaient rendez-vous. Cf. V. Sébillot, Le folklore de France, passim et surtout t. iii, p. 106138, 137-445 ; t. iv, p. 111-124, 142-145, 214-216, 277, etc. Mais une chose que les hagiographes n’ont pas trouvé dans les traditions barbares, c’est la bonté des saints pour les pauvres et les pécheurs. Seulement, si l’on veut leur en faire un procès, il faudra bien le porter devant François d’Assise et Jésus de Nazareth.

2. Dans les sermons les saints paraissaient tels qu’ils étaient vus par les prédicateurs en leurs méditations : prêts a servir d’exemples aux fidèles. C’est