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    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. EFFETS, LA GRACE SACRAMENTELLE

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même, tandis que la grâce commune, abstraction faite de toute origine sacramentelle, est plutôt conçue comme ordonnée par Dieu à la perfection de l’âme dans l’ordre de la vie surnaturelle, la grâce sacramentelle est conçue comme ordonnée à la réparation des blessures causées par le péché. Et c’est pour ce motif qu’elle est « une certaine dérivation et imitation de la grâce de Jésus-Christ ». « Il est peut-être possible d’éclaircir ce point, écrit Gihr, en comparant la grâce sacramentelle à la grâce originelle (la grâce de l’état d’innocence, laquelle n’est pas, très probablement, une dérivation de la grâce du Christ). Cette grâce avait une efficacité parfaite en tant qu’elle était le principe non seulement de la sanctification, mais encore et en même temps de l’intégrité (exstinctio fomitis). De même, la grâce de chaque sacrement peut avoir pour objet et, en raison de cet objet, elle peut posséder la vertu non seulement de purifier des péchés, mais encore de guérir, de cicatriser, d’adoucir, par une influence permanente, les suites du péché, les blessures de la nature déchue par la faute originelle. Mais, à la différence de la grâce originelle qui était la grâce de la santé parfaite, la grâce sacramentelle est et reste une grâce de guérison partielle et progressive pour la nature et pour les facultés naturelles qui, même après la régénération, demeurent affaiblies. Par son rôle et par ses effets, la grâce sacramentelle est surtout médicinale, et elle l’est de telle sorte que, par son action salutaire, non seulement elle aide l’homme malade dans tel ou tel acte en particulier et transitoirement, mais prépare intérieurement et d’une façon permanente son entière guérison et lui rend dans une certaine mesure, la santé originelle qu’il a perdue. Per virtutes et dona exeluduntur sufficienter viliu et peccatu quantum ad prtesens et futwum, in quantum scilicet impeditur homo per virtutes et dona a peceando ; sed quantum ad preeterita peccata, qua-transeunt acta et rémanent reatu, adhibetur homini remedium spéciale per sacramentel. S. Thomas, III*, q. lxii, a. 2. Si nos sacrements ne peuvent pas rendre la santé avec la plénitude et la perfection qui étaient le privilège de l’homme dans le paradis terrestre, il n’en est pas moins vrai que la grâce sacramentelle, en tant que remède fortifiant, possède sous plus d’un rapport, lorsqu’on la compare à la grâce originelle, une vertu et une énergie plus merveilleuse pour conduire l’homme au salut et à la béatitude céleste. Virtus (y SOvajxiç) in inftrmitale perficitur (II Cor., xti, 9). Malgré la faiblesse morale et l’impuissance naturelle qui subsistent même après la régénération ! la grâce sacramentelle met l’homme en état de triompher de tous les obstacles et de toutes les difficultés, ’! < soutenir victorieusement tous les combats et toutes les tentations, de parvenir heureusement au terme de la carrière et d’atteindre l’éternelle récompense. Op. cit., p. 116-117.

La grâce sacramentelle est donc, en toute propriété du terme, une dérivation et une imitation de la grâce du Christ, c’est-à-dire de la grâce salutaire et régénératrice dont la source se trouve dans les mérites infinis de la passion du Sauveur.

Nature.

La grâce sacramentelle est-elle suffisamment expliquée par « le mode intrinsèque et permanent », dont parlent les thomistes ? Multiples sont les opinions théologiques touchant la nature même de la grâce sacramentelle.

1. Saint Bonaventure, Richard de Médiavilla, Alexandre de Halès et plusieurs autres (voir les références dans les Salmanticenses, De sacramentis in communi, disp. III, n. 137) estiment que la grâce sacramentelle n’est autre que la grâce habituelle, en tant qu’elle est produite par le sacrement et, par lui, ordonnée au remède du péché en conformité avec la fin de chaque sacrement. Opinion peu probable, puisqu’en réalité elle revient à nier que la grâce sacramentelle ajoute quoi que ce soit de réel à la grâce commune, et contre elle valent les arguments que nous avons exposés. Voir la réfutation de cette opinion dans Gonet, Clypeus, De sacramentis in communi, disp. III, a. 6, § 1, n.’198-199.

2. À l’opposé, nous rencontrons l’opinion de Pierre de La Palu, de Capréolus (références dans les Salmanticenses, loc. cit.) qui font de la grâce sacramentelle un habitus spécifiquement distinct de la grâce sanctifiante. Cette opinion est pareillement irrecevable : « Les actes qui procèdent de la grâce sacramentelle ne sont pas, dans leur être et dans leur substance, différents des actes des vertus et des dons ; ainsi, l’acte de foi se retrouve dans la grâce sacramentelle de la confirmation ; l’acte de charité dans la douceur et la ferveur de l’eucharistie ; l’acte d’espérance dans l’allégement spirituel produit par l’extrême-onction. Ils ne requièrent donc pas, comme principes, des habitus substantiellement différents. » Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 197. Cf. Gonet, loc. cit., n. 201-202.

3. De l’improbabilité de ces deux opinions, beaucoup d’auteurs modernes ont conclu que la grâce spéciale, propre à chaque sacrement et qu’on appelle grâce sacramentelle, est l’ensemble des grâces actuelles et des secours particuliers conférés par le sacrement simultanément avec la grâce habituelle, et ordonnés particulièrement à la fin du sacrement. Et ainsi s’explique que la grâce sacramentelle ne soit ni la grâce habituelle elle-même, ni un habitus spécifiquement distinct de la grâce sanctifiante et qu’aucune différence essentielle n’existe entre la grâce habituelle conférée sacramentellement et celle infusée extra-sacramentellement. Toutefois les anciens théologiens avaient déjà fait observer que les secours actuels ne sauraient vérifier en eux-mêmes la notion de grâce sacramentelle : « Il faut plus qu’un concours divin actuel, écrivait Jean de Saint-Thomas, car les défauts qu’il s’agit de réparer dans la nature humaine lui sont inhérents d’une manière intrinsèque et permanente ; et pour les corriger il faut donc un secours inhérent et permanent. » Loc. cit., n. 287.

De plus, « si la grâce actuelle n’était qu’un secours actuel de Dieu, elle ne pourrait effectivement provenir des sacrements ; le concours actuel divin est en effet l’action même de Dieu que n’atteint pas l’instrument sacramentel. » Ibid.. n. 288.

4. Aussi, pour prévenir ces difficultés, les théologiens partisans de l’opinion moderne instituent-ils, entre la grâce sanctifiante conférée par les sacrements et les grâces actuelles et secours passagers qui constitueraient la grâce proprement sacramentelle, une connexion, soit intrinsèque, soit extrinsèque : intrinsèque en tant que la grâce habituelle conférée par les sacrements contiendrait en elle-même une exigence de ces secours actuels et transitoires ; extrinsèque en tant que ces secours dépendraient, comme la grâce habituelle elle-même, de la même vertu sacramentelle. Voir le développement de cette opinion dans de Smet, Traclatus dogmatico-moralis, De sacramentis in génère, n. 74-76. Cf. Van Noort, De sacramentis, t. i, n. 69. Cajétan, dans son commentaire In III* iii, q. lxii, a. 2, semble patronner cette opinion. Cette explication comporte elle-même quelques nuances diverses, selon que les auteurs qui la proposent tiennent pour la causalité ou physique, ou intentionnelle, ou morale.

5. Chez les théologiens plus récents, cette dernière opinion présente la grâce sacramentelle comme « l’ensemble des dons et des grâces actuelles qui nous aident à atteindre la fin de chaque sacrement. » « C’est, dit le P. Goupil, un ensemble et non pas un don ni une grâce unique, donné, soit dans le sacrement même, comme la remise de toute peine temporelle dans le baptême, soit ensuite selon les occasions et la nécessité ; ce sont les dons et les grâces mêmes, et non pas seulement le droit ou le titre à les recevoir, car la grâce sacramentelle est comprise dans le dernier effet du sacrement : res tantum, la réalité seule… Le titre à recevoir la grâce sanctifiante comme la grâce sacramentelle est le premier effet du sacrement et participe à sa nature de signe : res et sacramentum, réalité et signe. » Op. cit., p. 38.