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615 SACREMENTS. CAUSALITÉ, EXPLICATIONS THÉOLOGIQUES 616

sa grâce, parce que le « prix du sang du Christ leur est communiqué ». Et cette communication s’entend fort bien si, comme l’insinue Cano, les sacrements doivent être considérés comme étant moralement les actes du Rédempteur, par lesquels il nous sanctifie. Ces actes participent donc aux mérites que le Sauveur a acquis, par l’effusion de son sang. Cf. Relecliones de sacramentis, part. VI, p. 441. Les sacrements ainsi compris, ajoute Cano, contiennent moralement la grâce, puisqu’ils en contiennent le prix : une bourse remplie d’or ne contient-elle pas moralement la délivrance d’un captif, puisqu’il y a en elle le prix de sa rançon ? » P. Pourrat, La théologie sacramentaire, p. 174-175. Outre Melchior Cano, Martin de Ledesma et Vasquez, on peut encore citer comme patronant cette opinion : de Lugo, De sacramentis in génère, disp. IV, sect. iv et v ; Tournely, ibid., q. iii, a. 2 ; les théologiens de Wurtzbourg, De sacramentis in génère, diss. I, c. ii, a. 2, et un grand nombre de théologiens de la Compagnie de Jésus : Lessius, Arriaga, Connick, Hurtado, Becanus, Platel, Antoine, etc.

Au xixe siècle, Franzelin a senti le besoin d'étoffer davantage la doctrine de la causalité morale des sacrements. On reproche à celle-ci de ne supposer dans les sacrements qu’une valeur leur provenant ab extrinseco : Qui acliones sacramentales Christi operationcs moraliler esse dicunt, hoc adverbio significant actiones sacramentales non eliciliva, sed ab extrinseco ex delegatione a Christo facta Christi operationes esse. Stentrup, Soteriologia, th. cxxv. Aussi Franzelin insiste-t-il sur la valeur intrinsèque communiquée aux sacrements par la passion du Christ : les sacrements sont des actions-vicaires du Christ et par conséquent portent en eux une dignité qui appelle infailliblement l’action de Dieu : Christus redemplor sacramenta instituit per legatos suos suo nomine et sua auctoritate administranda ad applicationem meritorum suorum pro singulis iniliatis ; unde consequens est, sacramentis, utpote quie moraliter sunt actiones Christi ipsius, inesse dignitatem suPEKNATUiiALEM ex persona et merilis redemploris, vi eu jus dignilatis exiganl cotlationem qralise pro initiatis. De sacramentis, th. xi. Parmi les modernes et contemporains qui s’inspirent de Franzelin, voir Chr. Pesch. op. cit.. n. 141 sq. ; De Augustinis, De re sacramentaria, th. xvii ; G. Lahousse, Traclatus de sacramentis in genere, de baptismo, de confirmalione, Bruges, 1899, n. 130 ; Bath, Institutiones theologicæ de sacramentis in génère…, Haaren, 1910, n. 90-103 ; Pohle, Lehrbuch der Dogmatik, t. VI, Sakramententehre, Paderborn, 190(>, p. 79 sq. ; Susse, Inslit. theol. de sacramentis Ecclesiæ, t. i, Fribourg-enB., 1897, p. 54-83 ; Einig, Tract, de sacramentis, pars I », Trêves, 1900, p. 17 sq., etc.

2. Discussion.

Le grand argument, on pourrait dire l’unique argument sur lequel s’appuie l’opinion de la causalité morale, ce sont les difficultés inhérentes au système de la causalité physique. On trouvera ces difficultés énoncées par P. Pourrat, op. cit., p. 168172. Cf. Rlondiau, De causalitate physica, morali, intentionali sacramentorum, dans Collationes Namurcenscs, t. xiii (1913-191 1), spécialement p. 202-218 ; Richard, La causalité instrumentale, physique, morale, intentionnelle, dans la Revue néo-scolastique, 1900, p. 5-31 ; 26(5-209. « La raison a toutes sortes de difficultés à concevoir cette activité que posséderait le sacrement, et qui le rendrait capable de produire physiquement un effet transcendant, la grâce. » C’est l’argument invoqué jadis par les partisans de l’ancienne causalité disposil [ve. Voir col. 578 sq. Aussi proclame-t-on le système de. la causalité physique « déroutant pour l’esprit ». Mais, ajoute-t-on, « ce qui est plus grave, c’est qu’il paraît être en opposition avec la doctrine théologique de la reviviscence des sacrements…

La théorie de la causalité physique est radicalement impuissante à expliquer ce fait, car la causalité physique exige rigoureusement la coexistence de la cause et de l’effet, et, dans la reviviscence, le sacrement opère la grâce, lorsqu’il n’existe plus depuis longtemps ». P. Pourrat, op. cit., p. 170, 172. Cf. Vasquez, disp. CXXXII, c. iv, n. 41-44 ; Franzelin, op. cit., th. xi. Enfin, comment le rite sacramentel, qui se compose d’actes et de paroles se succédant peut-il être une cause physique et à quel moment ? En somme, on le voit, ce sont les anciens arguments de Scot, à peine rajeunis. Chr. Pesch construit sa thèse en faveur de la causalité morale : 1° ex dejectu argumentorum quibus probatur physica causalitas ; 2° ex eo quod causalitas physica sacramentorum plane intelligi nequil ; 3° ex reviviscentia sacramentorum. Op. cit., n. 152-165.

Les adversaires de la causalité morale font observer que les difficultés, vraies ou prétendues, attribuées à la causalité physique ne sont pas une raison d’affirmer la vérité de la causalité morale. Sans doute cette dernière explication est facile à saisir ; elle ne heurte pas l’imagination et ne demande aucun effort de raison. Mais une doctrine plus facile à comprendre n’est pas toujours une doctrine vraie, surtout quand il s’agit d’un miracle de la toute-puissance divine dans l’ordre surnaturel : hœc positio, disait déjà saint Bonaventure, mihi videtur ad suslinendum facilior ; nescio tamen quæ sit verior, quia quum loquimur de his quæ sunt miracula, non mullum adhærendum est ralioni. In IVum Sent., dist. I, part. II, q. iv.

Les objections soulevées contre la causalité morale peuvent se ramener à deux points : la causalité morale ne sauvegarde pas la causalité instrumentale des sacrements ; elle leur enlève même toute causalité réelle par rapport à la grâce.

Elle ne sauvegarde pas la causalité instrumentale des sacrements : l’instrument est un intermédiaire entre la cause principale et l’effet, et il ne peut agir que parce que et en tant qu’il est mû par la cause principale. Or, dans l’opinion de la causalité morale, le sacrement n’est pas intermédiaire entre Dieu et la grâce ; c’est plutôt Dieu cet intermédiaire puisqu’en raison de la valeur du sacrement, Dieu est infailliblement amené à donner la grâce. D’où il suit que c’est bien plutôt Dieu qui est mû par le sacrement et non pas le sacrement qui est utilisé par Dieu dans la collation de la grâce. Le sacrement serait donc tout au plus une cause méritoire ou impétratoire.

A cette difficulté, Franzelin, op. cit., th. x, répond en affirmant que « le ministre du sacrement est le représentant de Jésus ; il agit en son nom, puisqu’il célèbre un rite institué par lui et en se conformant à ses ordres. L’action du ministre est donc moralement une action du Christ même. » P. Pourrat, op. cit., p. 176. Sans doute la causalité du Christ est d’ordre moral ; mais la causalité du sacrement, action secondaire et médiate du Christ, sera bien l’intermédiaire entre le Christ et la grâce à obtenir de Dieu. À cette instance, Billot répond fort pertinemment que le mode d’action du sacrement, dans cette conception de la causalité morale participée du Christ, demeure toujours dans l’ordre du motif qui pousse Dieu à intervenir, non dans l’ordre de l’efficience qui agit sous l’influence de la (anse principale. Cf. Billot, De sacramentis, t. i, Rome, 102 1, th. vii, § 1.

Les adversaires de la causalité morale insistent : dans cette opinion, non seulement la causalité instrumentale est supprimée, mais la causalité tout court. Car cette. » dignité intrinsèque » que Franzelin prétend communiquée au sacrement par Jésus-Christ, n’est en réalité qu’une « dignité extrinsèque », puisque tout entière elle vient du Christ, les sacrements ne faisant (pue représenter à Dieu les mérites du Sauveur. De