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    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. NOTION, LE MOYEN AGE

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Les textes cités de saint Léon et fie saint Isidore sont intéressants à un autre point de vue : celui de l’action sacramentelle. Ces auteurs suivent saint Augustin et affirment que l’action sacramentelle n’a son principe ni dans la foi ou la sainteté du ministre, ni dans les dispositions du sujet, mais dans le rite lui-même qui recouvre la vertu de Jésus-Christ ou du Saint-Esprit. Sub tegumento corporalium rerum, dit saint Isidore, virtus divina secretius salutem rorumdem sacramentorum operatur… Quse (sacramenta) ideo frucluose pênes Ecclesiam ftunt quia Sanclus in ea manens Spiritus eumdem sacramentorum lalenter operatur effectum. Même doctrine, avons-nous dit, chez saint Maxime de Turin. Toutefois, dans cette insistance à marquer que les sacrements sont reçus fructueusement dans l’Église, en raison de la présence en elle du Saint-Esprit, on trouve un écho des hésitations de saint Augustin, qui ne croyait pas que le baptême pût être reçu salubrilcr en dehors de la vraie Église, même dans le cas de bonne foi. Voir ci-dessus, col. 523-524.

C’est probablement parce que cette opinion diminuait quelque peu la valeur du rite que Bède le Vénérable, rompant sur ce point avec la tradition augustinienne, enseigna formellement, au contraire, que. dans le cas de bonne foi, on reçoit hors de l’Église fructueusement le baptême, sous l’obligation cependant de revenir à la vraie Église dès qu’on la connaîtra. Hexæmeron, t. II, P. L., t. xci, col. 101. On doit ainsi marquer à l’actif de ce docteur un léger progrès dans la conception de Y ex opère operato.


V. CHEZ LES THÉOLOGIENS DU MOYEN AGE. —

1° Avant le XIIe siècle. —

La définition isidorienne, parce qu’elle plaçait l’idée de signe au second plan, aboutissait à une notion moins précise du sacrement. Les auteurs du ixe siècle l’ont unanimement adoptée. Ainsi, Raban Maur, De institutione clericorum,

I. I, c. xxiv, P. L., t. cvii, col. 309. Voir le texte ici, t. x, col. 347, et Jonas d’Orléans, De institutione laicali, t. I, c. vii, P. L., t. evi, col. 134. Voir c. x, col. 138. Dans le De corpore et sanguine Domini, Pascase Radbert y puise le principe de son exposé eucharistique. Sacramentum.. est quidquid in aliqua celebratione divina nobis quasi pignus salutis traditur, cum res gesta visibilis longe aliud invisibile intus operatur, quod sancte accipiendum est : unde et sacramenta dicuntur a secreto, eo quod in re visibili divinilas intus aliquid ultra secretius fecit per speciem corporalem. P. L., t. cxx, col. 1275 A. Voir ici. t. xiii, col. 1634, et

II. Peltier. Pascase Radbert, Amiens, 1938, p. 203. Ratramnc s’inspire à la même source. Pour lui, les sacrements sont le secret du mystère divin, caché dans les choses sensibles : tegumento corporalium rentra virtus divina secretius salutem accipiendum (ideliter dispensât. De corpore et sanguine Domini, c. xlv, P. L.. t. CXXI, col. 110 C-117 A. Qui ne voit l’inconvénient d’une pareille notion, qui convient, certes, à tout le défini, mais non pas au seul défini ?’fout ce qui manifeste une action secrète de la divinité peut être appelé sacrement. Les auteurs de l’époque ne se sont pas privés d’étendre le nom de sacrement à toute manifestation de l’action secrète de la divinité. Ainsi, pour Pascase Radbert, non seulement le baptême et la confirmation sont des sacrements, mais l’Écriture sainte, parce que, sous la lettre des Écritures, l’Esprit-Saint agit efficacement ; mais l’incarnation, parce que, dans l’humanité visible de.lésus-Christ, la divinité agissait Intérieurement dans le secret.

Une telle application de la définition isidorienne aura pour effet de ranger parmi les sacrements tous les mystères de la foi chrétienne : « confusion qui entrava longtemps le développement du dogme du nombre des sacrements, écrit à juste titre P. Pourrai, op. rit., p. 33.

2° Au XIIe siècle. —

Le début du XIIe siècle marque un renouveau dans l’étude des sacrements : théologiens et surtout canonistes s’efforcent d’éclaircir les aspects généraux ou particuliers du problème sacramentaire. Les sources sont abondantes et l’inédit malheureusement en constitue la grande part. Le R. P. J. de Ghellinck avait annoncé un travail considérable sur ce sujet. Voir Le mouvement théologique du XIIe siècle. p. 339, note 1. Ce travail n’est jamais paru. Il faut donc se contenter d’indications sommaires.

La définition proprement augustinienne du sacrement, dans laquelle l’accent est mis sur la signification extérieure, est restaurée, on devine dans quel but hétérodoxe, par Bérenger de Tours, De sacra ccena, édit. Vischer, Berlin, 1834, p. 192 et 193. Bérenger, en effet, entendait démontrer que le corps du Christ n’est dans l’eucharistie qu’en signe. Voir ici, t. ii, col. 727. Cette définition, esquissée par les canonistes, est proposée par Abélard : Est aulrm sacramentum invisibilis graliæ visibilis species, vel sacrse rei signum (Bérenger avait dit : sacrée lei forma), id est alicujus seercti. La première partie de la formule est attribuée à saint Augustin par Roland Bandinelli ; cf. Gietl, Die Srntenzen Rolands, p. 155. En réalité, cette formule ne se trouve pas textuellement dans Augustin : elle a été formée par la juxtaposition de deux expressions augustiniennes, Qusest. in Heptateuchum, t. III, q. i.xxxiv. Voir col. 522. L’efficacité du signe sacré est nettement affirmée par Abélard qui distingue, dans le baptême comme dans les autres sacrements, d’une part, sacramentum, d’autre part, res sacramenti. La res sacramenti est l’effet intéiieur produit par le sacrement chez ceux qui le reçoivent dans les dispositions requises. Les autres ne reçoivent que le sacrement. Il semble difficile cependant à Abélard d’admettre que le Saint-Esprit n’opère aucune œuvre de sanctification dans la réception simplement valide du sacrement. Mais cette grâce ne fait que passer, ad horam transit. Epitome, pari. III, c. iii, P. L., t. clxxviii, col. 1738 sq.

Saint Bernard expose brièvement que le sacrement, sacrum signum. ou sacrum secretum ne fait pas que signifier la grâce : il la communique. C’est une sorte d’investiture de la grâce. L’anneau que poite l’héritier n’a par lui-même aucune valeur ; mais il est donné comme signe de l’investiture de l’héritage. Ainsi, appropinquans passioni Dominus, de gratia sua investire curavit suos ut invisibilis gratia signo aliquo visibili pnrstaretur. Scrmo in ccena Domini, P. L., t. clxxxhi, col. 271.

Cette définition est courante chez les auteurs du début du xii c siècle. Alger de Liège la reprend dès le début de son ouvrage De sacramentis corporis et sanguinis Domini, t. I, c. iv, P. L., t. clxxx, col. 751. Ses explications constituent une véritable réaction contre la notion isidorienne, car elles opposent très nettement sacramentum à mysterium : in hoc difjerunt quia sacramentum signum est visibile aliquid signiftcans, mysterium vero aliquid occultum ab eo signi/icatum. Id., ibid. D’autres auteurs sont pleinement d’accord avec Alger : Lanfranc, Liber de corpore et sanguine Domini. P. L., t. cl, col. 415 ; Guitmond, De corporis et sanguinis Domini veritatc, t. II, P. L., c. c.xLix, col. 1147. Lanfranc dit expressément : sacramentum dicitur a sacrando, P. L., t. cl, col. 423 BC, étymologie qu’on retrouve plus tard chez saint Thomas, In IV"" Sent., dist. I, q. i, a. 1, qu. 1, et chez Hugues de Strasbourg, Compendium theologise, t. VI, c. iv, dans les Alberti Magni opéra, édit. Borgnet, t. xxxiv, p. 203. Sur cette notion du signe sacramentel appliqué par Alger à l’eucharistie, voir L. Brigué, Alger de Liège, Paris, 1936, p. 96 sq. On doit également à Alger une rigoureuse mise au point