Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.1.djvu/190

Cette page n’a pas encore été corrigée

36 ;

Rl’SSIE. LES THEOLOGIENS CONTEMPORAINS

366

qui ont toutes leurs sympathies sont : A. Khomjakov, auquel ils ajoutent Th. Dostoêvskij, et V. Solovèv.

La doctrine de Khomjakov sur l’Église est fréquemment exposée et commentée. Cf. par exemple N. von Arseniev, Die Lehre der russischen Slavophilen von der Kirche, dans Internationale kirchl. Zeitschr., t. xxxv, 1927, p. 156-164 ; G.-V. Florovskij, The Church of God ; An anglo-russian symposium, Londres, 1934, p. 5374, etc. L’opuscule fondamental de Khomjakov sur l’unité de l’Église, Cerkov odna, est divulgué en allemand dans VŒslliches Christentum, t. ii, Munich, 1925, p. 1-27. La théorie de Khomjakov inspire aux auteurs récents l’aversion contre le « juridicisme » ecclésiastique ; elle leur permet d’opposer l’Église orthodoxe, qui est l’Église de Jean, tout mysticisme et amour, à l’Église de Rome, fondée, disent-ils, sur le droit et la force, et symbolisée par Pierre, lequel demande si deux épées suffisent… S. Bulgakov, L’orthodoxie, Paris, 1932, p. 113.

Parmi les éléments de l’ecclésiologie de Khomjakov, les modernes développent de préférence le concept de sobornost (voir ci-dessus, col. 361). Il en est qui prétendent réconcilier la pensée de Khomjakov avec l’idée traditionnelle de la théologie russe, comme fait I. Grabbc, Istinnaja Sobornost, Varsovie, 1931 ; mais l’interprétation la plus commune est bien plutôt celle qu’expriment L. Karsavin et les théologiens de Paris, S. Bulgakov par exemple, Das Selbstbewusstsein der Kirche, Orient und Occident, Leipzig, 1930, qui tend à accentuer toujours plus l’unité des fidèles dans la « conscience collective » du corps ecclésiastique et, en conséquence, à diminuer le caractère visible de l’Église. Cf. S. Tyszkiewicz, S. J., Die Lehre von der Kirche beim russischorthodoxen Theologen S. Bulgakov, dans Zeitschr. fur kath. TheoL, t. i.i, 1927, p. 82 ; A. Pawlowski, Idea Kosciola w ujeciu Rosyjskiej Teologji i Historjozofii, Varsovie, 1935, p. 124 sq.

L’ecclésiologie de Khomjakov trouve aussi, parmi les auteurs modernes, une confirmation dans la pensée de Théodore Dostoêvskij (tl881), qui est appelé « le prophète » de la nouvelle théologie. Dostoêvskij. moins théologien que Khomjakov, eut et continue d’avoir une influence énorme sur les penseurs russes. On fait valoir surtout son thème favori sur « l’héroïsme de la liberté » et « l’abjection de l’obéissance » à la hiérarchie ecclésiastique. Sa fameuse légende du « grand inquisiteur », cette page du roman Les frères Karamazov, où le pouvoir ecclésiastique est jugé incompatible avec le christianisme, a fourni un leit-motiv qui se trouve au fond des écrits russes modernes sur l’Église. L’influence de Dostoêvskij est évidente dans les auteurs qui, comme le métropolite Antoine, Slovar k tvorenjam Dosloèvskago, Sofia, 1921 ; V. Rozanov, Legenda o Velikom Inkvisitorê, Berlin, 1924 ; A. Zakrevskij, Religija, Kiev, 1913…, prennent ouvertement son parti. Mais ceux-là mêmes qui font ressortir le péril de son concept de la liberté ecclésiastique et cherchent à modérer ses théories, tels que D. Merejkovskij, L’âme de Doslojevsky, Paris, 1932 ; V. Zênkovskij, Russkie Misliteli i Evropa, Paris (s. d.), p. 274 sq. ; N. Berdjaêv, Die Weltanschauung Dostojewskijs, Munich, 1925, ceuxlà mêmes ne laissent pas d’en subir l’attrait.

Néanmoins le culte professé par les doctrines de Khomjakov et de Dostoêvskij n’exclut pas l’influence d’autres auteurs, spécialement du plus redoutable ennemi du slavophiiisme, Vladimir Solovêv, dont la réputation de philosophe et de penseur est si solide, et dont l’ouvrage, La Russie et l’Église universelle, avait été si goûté en Occident.

Solovêv considère l’Occident comme indispensable à la réalisation de l’Église universelle telle qu’il la rêve. Cf. F. Muckermann, S. J., Solovief et l’Occident, dans Irénikon, t. iii, 1927, p. 453 sq. L’universalisme de

Solovêv favorise donc la position conciliante de ses partisans, le prince E. Trubetskoi, Th. Losskij…, à l’égard des autres confessions chrétiennes, bien qu’assez souvent ils se contentent de consulter les premières œuvres du maître, retenant, dans ses lignes générales, la théorie exposée par lui dans Histoire et avenir de la théocratie et dans la seconde partie de La Russie et l’Église universelle, tandis qu’ils l’abandonnent à l’endroit même où Solovêv trouve la solution du problème angoissant de son ecclésiologie dans l’expression : Roma-Amor !

Ceci exclu, ’es écrits de Solovêv fournissent principalement le concept du « théandrisme » de la Bogocelovêcestvo, élément essentiel de la théologie moderne russe dans l’explication des rapports entre Dieu et le monde. C’est aussi de Solovêv que provient une idée qui a provoqué de grandes polémiques et de profondes dissensions : la doctrine de la Sophie. Ce système se trouve déjà dans les œuvres de l’illustre écrivain ; cf. L. Kolilinskij-Ellis et R. Knies, Gedichte von W. Solovief, Mayence, 1925, appendice ; mais le développement de cette idée est dû à P.-A. Florenskij, Stolp i ulverzdenie istini, dans Voprosi religii, 1907, 1908.

La doctrine de la Sophie a trouvé un admirateur ardent et convaincu dans le professeur de l’académie de Paris, S. Bulgakov, lequel, par son livre Lumière sans nuit, publié en 1917, s’en fit le propagateur. En riposte aux premières critiques violentes quilui avaient été faites, Bulgakov reprit le thème dans la trilogie Kupina neopolimaja, Paris, 1927 ; Drug zenikha, Paris, 1927 ; Lêstvitsa Iakovlja, Paris, 1929 ; et plus tard dans deux autres ouvrages : Agnets Bozii, Paris, 1933 et UtéSitel, Paris, 1936, qui devaient être suivis d’une autre œuvre consacrée à l’Église.

Nous ne pouvons entrer dans les détails. La doctrine de la Sophie consiste essentiellement dans l’établissement d’un être intermédiaire entre Dieu et les créatures. La Sophie, distincte des trois peisonnes divines, se trouve pour ainsi dire à la limite entre le divin et le créé, et participe de l’un et de l’autre. Par rapport à Dieu, elle est éminemment réceptive de toute perfection communicable aux créatures ; au sujet de celles-ci, elle est éminemment féconde, parce que les créatures reçoivent d’elle, comme d’un principe féminin, l’être, l’intelligence, tous les dons ; et la Sophie, comme âme du monde, continue à conserver les créatures. La Sophie, comme l’explique Bulgakov dans son écrit de 1925 : Hypostase et hypostaséite, n’est pas une personne mais une pure subsistance, bien que, elle aussi, ait eu ses manifestations et ses concrétisations dans la sainte Vierge, le Christ, les anges, comme l’indiquent déjà les titres mêmes de la trilogie de Bulgakov. qui veut être un commentaire théologique de la célèbre icône de la Sophie à la cathédrale de Novgorod. C’est peut-être d’ailleurs l’ardeur de la lutte autour du « sophianisme » qui a amené Bulgakov à faire de la doctrine de la Sophie le pivot de toutes les questions théologiques ; ce que lui reprochent plusieurs écrivains, même ceux qui, comme Nicolas von Arseniev, appartiennent à des cercles qui lui sont assez étroitement apparentés.

Il est facile de deviner que seul un jugement superficiel peut découvrir dans les théories sophianiques une source de nouvelle et plus haute théologie. Cf. hiéromoine Lev, Sedes Sapientiæ, dans Irénikon, t. iii, 1927, p. 262 sq. Nous pouvons, il est vrai, y voir un effort sincère et comme une soif de vérité ; cependant on ne peut nier qu’elles mettent sens dessus dessous tout le dogme, , au nom de l’intuition et de l’idéalisme platonicien, adopté par Bulgakov. C’est pourquoi des protestations se sont élevées hautement là contre, même dans le camp de l’orthodoxie. Le métropolite Antoine (Krapovitskij), résidant à Carlowitz (Yougoslavie), dénonçait en 1924, dans la revue Novoe Vremja, le