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    1. RUSSIE##


RUSSIE. LE MOUVEMENT SLAVOPHILE

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dogmaticeskago bogoslovija, Kamenets-Podolsk, 1904. Ces manuels représentent la dogmatique officielle de l’Église russe, la théologie légitimement autorisée par la censure ecclésiastique. Tous ceux qui ont écrit sur la censure en Russie, comme A. -M. Skabicevskij, Ocerk istorii russkoi cenzuri (1700-1865), Saint-Pétersbourg, 1892 ; T.-V. Barsov. O dukhovnoi cenzurê v Rossii, dans Khr. Cien., 1901, t. i-ii : et principalement A. Kotoviè. Dukhovnaja cenzura v Hossii (1799-1855 gg.), Saint-Pétersbourg, 1909, reconnaissent la sévérité des tribunaux de la censure, établis auprès du Saint-Synode de Saint-Pétersbourg et dans les académies ecclésiastiques. Dans la première moitié du xix c siècle, ces tribunaux approuvèrent seulement quatre-vingt-deux ouvrages de théologie, apologétique et exégèse, et refusèrent à quarante-six autres le permis d’imprimer. Mais la rigueur des censeurs ne put empêcher la formation et le développement de nouvelles écoles, qui, sous l’influence de la philosophie idéaliste et du libéralisme théologique régnant dans l’Allemagne toute proche, rejetaient le joug de la théologie traditionnelle.,

VII. Les slavopiiiles. —

Dans la première moitié du xixe siècle, les philosophes allemands faisaient les délices de la jeunesse studieuse de Russie. Les étudiants, réunis dans l’association « Jeunes des archives », se montraient pleins d’enthousiasme pour Kant, Fichte, Schelling, Oken, c’est-à-dire pour l’idéalisme kantien, spécialement sous la forme plus esthétique qu’il revêt dans la doctrine de Schelling. Malgré les protestations du recteur de Kazan, Magnitskij, la nouvelle philosophie s’introduisit aussi dans les universités et dans les académies ecclésiastiques de Moscou et de Saint-Pétersbourg, où la philosophie de Frédéric-Guillaume Schelling était professée par Alexandre Ivanovic Galiè, M. D. Vellanskij, disciple de Schelling et ami de Oken, par Davidov, par M. Pavlov ; ce dernier, en même temps que l’idéalisme de Schelling et d’Oken, cultivait aussi le spiritualisme de Victor Cousin. A. Koyré, La philosophie et le problème national en Russie au début du.i.xe siècle, dans Bibliothèque de l’institut français de Leningrad, t. x, Paris, 1929, p. 37, 90 sq. D’ailleurs, le tempérament des philosophes russes ne pouvait demeurer dans les limites d’un système ; sous l’absolutisme de Schelling, on retrouverait dans leurs œuvres toute la philosophie postérieure à Deseartes : le criticisme de Kant, l’idéalisme de Fichte et de Hegel, le réalisme panthéistique de Spinoza, le spiritualisme de Cousin, etc. Cf. par exemple les articles de L. Linitskij, Osnovmjja certi/ ucenija ob Absoljulnom, dans Vêra i razum, 1889, t. n ; p. 197217 ; 234-246 ; Absoljutnoe samo v sebi i v otnosenii k koneenomu, dans ibid., p. 375-400 : Kritika naëal novoi filosofii. Absoliulnor est-li ideja, ili ze dèistvilelnoe susces’vo ? dans ibid., 1890, t. i, p. 1-27.

Mais ce qui attire plus fortement l’attention des penseurs russes, c’est le rapport entre la nouvelle philosophie et les problèmes religieux. Il suffit de citer quelques articles parus en divers recueils : A. Kiriloviè, sur l’ecclésiologie kantienne, Ucenie Kanta o Cerkvi, dans Ycra i razum. 1893, t. II, p. 2 : 5 sq. ; S. Glagolev, sur le concept de religion chez Kant, Religioznaja filosoftja Kanta, dans ibid., 1904, t. i, p. 91 sq. ; I. Prodak, Pravda o Kantê, dans ibid., 191 I, t. i. p. 733 sq. ; t. n. p. 28 sq. ; S. Glagolev, Religioznaja ftlosofija Fikhle, dans Bog. Vêst., 191 I, t. iii, p. 759 sq. ; T. Butkeviê, Ucenie Sellinga o suilnosti religija, dans ibid., 1902, t. i, p. 200 sq. ; T. Butkeviê, Vôenie Gegelja o religii i eja susrnosli. dans ibid., 1902, t. I, p. Il sq. Cette prédilection pour le côté religieux de L’Idéalisme se manifeste dès la première Influence exercée par la nouvelle philosophie en Russie ; elle fut l’origine du mouvement slavophile.

I’nc lettre de Pierre.1. Caadaèv, de l’année 1832, nous parle des espérances que le célèbre penseur russe mettait dans la philosophie religieuse de Schelling. L’abbé Ch. Quénet, dans son livre Tchaadæv et 1rs lettres philosophiques, Paris. 1931. cf. p. 204 sq., dépeint le milieu philosophique de Russie de 1832 à 1840. Il y montre combien ce sentiment était général. Mais quoique les partisans russes de Schelling fussent tous également pleins d’enthousiasme pour l’idéalisme, ils se divisaient cependant en deux camps : occidentaux et slavopiiiles. Et ceci était vrai aussi bien quand il s’agissait de questions politiques et sociales, où les premiers exaltaient Pierre le Grand et les autres Ivan le Terrible, que sur le terrain philosophique et religieux. Les « occidentaux », persuadés, avec Caadatv, que la nouvelle philosophie était le fruit de la culture latine, cherchaient à occidentaliser l’Église russe ; les « slavophiles » au contraire pensaient que les profondeurs de la conscience religieuse que couvre la philosophie idéaliste, étaient en opposition avec la religiosité de l’Occident ; seule, d’après eux, l’Église russe vivait pleinement ces principes. Telle est la base du slavophilisme théologique, que Bcrdjaèv. parlant du plus illustre des slavophiles, put définir comme un idéalisme concret, ou plutôt comme l’unique forme concrète qui répond pleinement aux postulats de la nouvelle philosophie. N. Berdjaêv, A. S. Khomjakov, Moscou, 1912, p. 117. À cause de cela, le slavophilisme, dans la pensée de ses propagateurs, fut éminemment national, malgré la critique tant de fois répétée que Paul Miljukov exprime ainsi : « Curieuse ironie de l’histoire ! La première et unique théorie nationaliste qui fût jamais élaborée en Russie était basée sur une pensée philosophique de l’Europe occidentale. » P. Miljukov, La crise russe, Paris, 1907, p. 35. Il est certain que les slavophiles trouvèrent les éléments de leur système dans la philosophie allemande ; mais cette philosophie, ajoutent-ils, est cependant l’expression fidèle et exclusive de l’Église russe.

Le mouvement slavophile eut pour initiateurs Novikov, Zukovskij et Jean Kireêvskij, lequel, après avoir suivi à Berlin le cours philosophique de Hegel et à Munich celui de Schelling, fonda, une fois retourné dans sa patrie, la revue Europwus, qui fut vite supprimée parla censure. Cf. A. Lisnikov, I. V. Kireêvskij. Ocerk ïizni i ucenija, dans Prav. Sob., 1914, t. ij 1915, t. m ; A. Koyré, La jeunesse d’Ivan Kireêvskij, dans Le monde slave, 1922, p. 213-237. Le grand théologien de la nouvelle doctrine fut Alexis Stepanoviè Khomjakov ; il est sans conteste le plus célèbre et le plus important. Cf. A.-L. Lusnikov, Istoriko-litcraturnaja poeva pervago slavjanofdstva, dans Prav. Sob. r 1913, t. ii, p. 180-193, 428-446, 625-032.

Khomjakov naquit à Moscou en 1804, d’une famille noble. Ses études universitaires terminées, il s’engagea dans la carrière militaire, mais ses profonds sentiments religieux et la nature de son intelligence lui firent changer de chemin et, se retirant de l’armée, il se consacra aux études théologiques, philosophiques et historiques. Les difficultés que ses théories soulevèrent en Russie l’engagèrent à se retirer à l’étranger, où il put les répandre plus librement. Il mourut en 1860. Sur Khomjakov, cf. Y.-Z. ZavitneviC, Alcksii Stepanovii Khomjakov, Kiev. 1902, 2 vol. ; N. Berdjaêv, A..S. Khomjakov, Moscou, 1912 ; G. Kolemine, Luz de Oriente : Khomiakoff, Madrid. 1912.

Khomjakov avait déjà jeté les bases de son système quand il écrivit, en 1840, la dissertation sur l’Église, publiée seulement après sa mort, Opit katikhiziskago izlozenija ucenija o Cerkvi. En juin 1811. J. Samarin, disciple de Khomjakov, défendit sa thèse sur Stéphane Javorskij et Théophane Prokopoviè, thèse où il entendait faire voir, en ces deux grands théologiens, l’unité