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    1. RUSSIE##


RUSSIE. LE SCHISME DES STAROVIÈRES

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que le patriarche Nikon était « le mauvais lui-même ». Moscou était pleine de ces rumeurs, et on interrogea les « Pères » de Pustozero. Cette fois, ils répondirent séparément, car une brouille épouvantable y avait éclaté entre Avvacum et Théodore et les gros mots accompagnaient les anathèmes quand les deux chefs se causaient… Théodore répliqua donc que l’Antéchrist n’était pas encore venu et que Nikon n’était que son « proche précurseur ». Avvacum répondit dans le même sens. Nikon, disait-il, est né d’un Tartare et d’une femme de mauvaise vie. Or, les Tartares sont de la tribu d’Agar, tandis que l’Antéchrist doit naître de la tribu de Dan. On lança aussi, mais avec peu de succès, l’idée que l’Antéchrist était le tsar Alexis Mikhailoviè. En tous cas, presque tous les premiers starovières crurent fermement à un Antéchrist individuel.

D’autres crurent que l’Antéchrist était une abstraction, quelque chose de spirituel et d’intangible. Avvacum polémisa longtemps contre cette idée, manifestement entretenue par quelques inconnus et qui se fit surtout jour au concile starovière de Novgorod (1C94), où il fut décrété que « nous devons croire sans aucun doute et enseigner aux autres que, à cause de nos péchés, nous sommes arrivés à la fin du monde, que maintenant l’Antéchrist règne dans le monde, mais règne spirituellement dans l’Église visible ; il est assis sur le trône du Dieu vivant sous le nom de Jisus et il se montre comme Dieu ».

On attendit alors la fin du monde. Des calculs, plus ingénieux les uns que les autres, fixèrent la fin du monde pour 1674 ; un autre précisa 1(391 ; un troisième enfin, qui avait dans sa possession « un autographe écrit par le doigt de Dieu avant la création du monde », calcula 1692. Il s’appelait Cosme Kosoj. Il rassembla une armée pour « purifier la terre », fut pris, envoyé à Moscou et exécuté. Les passions étaient surexcitées par ces délires apocalyptiques. Les manuscrits les plus extraordinaires, où le dragon et ses œuvres étaient peints en couleurs flamboyantes (quelques-uns se trouvent aujourd’hui à la bibliothèque de l’Institut oriental de Rome), circulaient de main en main. On en arriva à la pratique la plus extraordinaire que des illuminés inventèrent jamais.

Le suicide collectif. —

C’est la même idée que celle de la fin du monde. Les temps sont arrivés : mieux vaut mourir que servir l’Antéchrist. Il est impossible de vivre au milieu d’apostats, de procréei des enfants qui seront en danger de se damner. Le gouvernement, d’autre part, appliquait déjà des sanctions brutales aux dissidents. « A Kazan, écrivait Avvacum, les nikoniens ont brûlé trente personnes, autant en Sibérie, six à Vladimir, quatorze à Borovsk. A Niznij-Novgorod, ce fut magnifique… Ils se précipitèrent eux-mêmes dans les flammes afin de conserver leur orthodoxie entière et immaculée et, ayant brûlé leurs corps, ils livrèrent leurs âmes à Dieu ». Le 6 janvier 1679, dix-sept cents personnes se brûlèrent vives à Tobolsk ; le 24 octobre 1C87, plus de trois cents s’enfermèrent dans les environs de Tiumen et, quand la police vint les sommer de se rendre, ils incendièrent leur refuge et périrent dans les flammes. Vers 1680 ou un peu plus tard, quatre ou cinq mille firent de même dans le gouvernement de Jaroslav, près de la bourgade de Romanov. Ces horribles pratiques commencèrent aussi dans le territoire de la Pomorie. Le 4 mars 1687, le moine Ignace se brûla avec deux mille sept cents personnes ; la même année, un autre moine du nom de Pinin en réunit un millieret se brûla avec elles. Il est difficile de préciser le nombre de ceux qui périrent ainsi. D.-I. Sapoznikov compta 8 834 personnes depuis le début du raskol jusqu’à la fin du xviie siècle, mais on note dans son étude une constante préoccupation de diminuer l’ampleur de ce phénomène ; d’autres ont parlé de cent mille, mais c’est là un autre extrême. Il est difficile d’établir des comptes même approximatifs.

Il va sans dire qu’une telle folie trouva bientôt des adversaires, même parmi les dissidents, d’autant plus que ceux qui la prêchaient ne la pratiquaient pas toujours. Un concile starovière réuni en 1691, auquel participèrent environ deux cents moines et beaucoup de laïques, condamna énergiquement tous ceux qui oseraient « se tuer par le feu, se noyer dans l’eau, s’égorger avec un couteau, ou se si icider de quelque manière que ce fût ». On interdit de les commémorer dans la liturgie, dans les pannikhides, dans les autres prières : on ne pouvait observer leurs anniversaires ou les inscrire dans les livres synodiques. L’adversaire principal des prédicants du suicide volontaire fut le moine Euphrosyne qui laissa un mémoire quelque peu confus, mais de style vivant contre ces abominables abus.

Il distingua entre les martyrs pour la foi et les suicidés. Le suicide est « > un acte diabolique », pratiqué par les seuls donatistes, « comme on peut lire chez Baronius ». Puis Euphrosyne examine les exemples allégués par ses adversaires. De fait, certains martyrs dans l’antiquité se donnèrent la mort de leurs propres mains, mais ce sont là des exceptions qui ne peuvent passer en règle générale. Puis, les objections réfutées, il passe a l’offensive. On l’attaquait à l’aide des écrits d’Avvacum ; mais c’était justement la mode, alors, de composer des écrits apocryphes et de les faire circuler sous le nom de l’illustre martyr. Il décrit ensuite, et avec quelle vivacité, l’immoralité de certains brûleurs qui commettaient des infamies sur leurs victimes en leur persuadant que tout serait purifié par le feu. Il tourne en dérision ceux qui ne pratiquaient pas ce qu’ils prêchaient, mais s’enrichissaient de l’héritage des brûlés, cai il ne manqua pas de gredins qui surent profiter de cette folie qui souillait alors sur le raskol. Reconnaissons pourtant que beaucoup de chefs se suicidèrent avec leurs ouailles.

Les controverses de Pustozero. — Nous avons rapporté comment Avvacum, Théodore, Lazare et Épiphane avaient été envoyés à Pustozero, où ils vécurent dans de grandes privations. Ils jouissaient cependant d’une certaine liberté et continuaient à envoyer de nombreux écrits à Moscou pour diriger les communautés naissantes du raskol. Bientôt, pourtant, une brouille violente les divisa. Voici comment le diacre Théodore qui est, de tous les intéresses, celui dont le compte rendu est le plus calme, raconte l’incident : < Le protopope Avvacum et le diacre Lazare commencèrent à confesser que la Trinité était sur trois trônes, et qu’il y avait trois dieux et trois essences ; Lazare disait qu’elle était en trois personnes et en trois substances. Ils disent que le Christ est un quatrième dieu, assis sur un quatrième trône ; mais ils nient en lui l’essence même de la divinité disant qu’une vertu descendit de l’hypostase dans le sein de la Vierge, mais que la nature même du Fils et du Saint-Esprit ne descendirent jamais du ciel ». Il n’était pas dans le caractère d’Avvacum de se laisser attaquer sans riposter. Il écrivit donc d’épouvantables invectives contre Théodore. Théodore essaya de se justifier. Il écrivit un cahier dans lequel il rassembla sa doctrine sur les points controversés. Ce n’était pas un petit mérite, car les livres n’étaient pas abondants à Pustozero. Avvacum, profitant du fait que le geôlier, pour une raison ou pour une autre, était monté contre l’infortuné Théodore, le fil arrêter : « Ils me saisirent, dit le diacre, et se mirent à me frapper violemment, sans miséricorde, avec deux grandes verges. Ils fouettèrent jusqu’au sang tout mon corps nu. Puis ils m’attachèrent les mains derrière le dos et me laissèrent dans la neige pendant deux heures. » Avvacum et ses amis regardaient et se moquaient du malheureux 1 Pendant ce temps on fouilla sa cellule et on lui vola son cahier.